CHAPITRE 10
WESLEY
Après avoir laissé ce putain d’oiseau de papier avec ses semblables dans le tiroir de mon bureau, je sors du poste de police. J’ai sérieusement besoin de me reposer pour pouvoir penser plus clairement et cesser de m’inquiéter avec ces foutus origamis. Il n’y a plus rien de cohérent dans ma tête qui peut me permettre d’avancer dans mon enquête. Dormir ; c’est tout ce que je souhaite.
Une fois dans ma voiture, je me rends chez moi en mode automatique. À peine entré, je retire mes vêtements en me dirigeant sous la douche. L’eau chaude qui frappe contre mes muscles réussit à me détendre un peu. Seigneur ! Je suis épuisé. Le front contre le carrelage frais, je me dis que si je ne portais pas vingt ans de secrets sur mes épaules, je ne serais pas aussi à bout de souffle. Alors que je ferme le robinet, j’ai une pensée pour mon frère. J’espère qu’il se débrouille bien pour cacher l’existence de Mika. Il ne manquerait plus qu’elle sorte au grand jour et qu’elle devienne la cible de tous les gangs de la ville. Quoiqu’elle pourrait très bien venir s’approprier ma chambre d’amis, peut-être même mon lit, que je n’y verrais aucun inconvénient.
Aussitôt après avoir enfilé un boxer, je me laisse tomber sur ma couette. À peine ma tête est-elle posée contre l’oreiller que mes yeux se ferment d’épuisement. Mes pensées dérivent vers une magnifique jeune femme aux yeux d’un vert envoûtant ; elle me sourit tendrement tandis que je glisse une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Je visualise ses lèvres pleines qui ne demandent qu’à être embrassées alors qu’une musique perce mes songes. L’une de celles qui m’empêchent d’apprécier le moment présent. Un son qui m’irrite et qui me fait douter de sa provenance.
Weesssleyyy.
Est-ce que je dors réellement ? J’ouvre les yeux, me sentant interpelé par une force inconnue. Ma chambre est sombre lorsque la sonnerie de mon téléphone brise le silence. Bordel ! C’est mon stupide portable qui mène ce vacarme. Je viens seulement, à l’instant, de fermer les paupières. N’ai-je pas droit à un peu de sommeil réparateur ? Faut croire que non…
Attrapant mon cellulaire posé sur la table de chevet, je regarde l’expéditeur avant de répondre. Le numéro du Double Barrel est affiché. Un coup d’œil à l’horloge m’indique que le resto a fermé ses portes il y a moins d’une heure.
— Seb, chialé-je d’un air endormi, t’as intérêt à ce que ce soit important parce que je ne donne pas cher de ta peau.
— Wesley ? souffle une voix féminine.
— Mika ? répliqué-je aussitôt, maintenant très éveillé. Qu’est-ce qui se passe ?
— C’est Sebastian…
— Quoi, Sebastian ?
Une peur viscérale s’insinue jusque sous ma peau, me tordant les tripes dans l’attente de sa réponse. Il y a peu de choses qui soient si importantes que Seb l’autorise à m’appeler…
— Il saigne…
Elle n’a pas fini sa phrase que le flic en moi est déjà au garde à vous. Mon téléphone sur le haut-parleur, j’écoute ce qu’elle raconte en enfilant un jeans.
— … abondamment. J’ai entendu des coups de feu et… je suis descendue. Sebastian a été touché à l’épaule…
— Mika, garde une pression sur la plaie, j’arrive…
Attrapant une chemise dans mon placard, je la revêts sans même prendre la peine de la boutonner. Je récupère mon arme dans l’entrée que je glisse dans mon dos avant de sortir en courant jusqu’à mon véhicule. Pourvu qu’il soit encore en vie à mon arrivée. Je vous en prie, n’importe qui, faites qu’il soit toujours de ce monde.
Allumant les gyrophares, je traverse la ville sans même m’arrêter aux feux rouges. Seul le son de la sirène perce la pluie diluvienne qui tombe en ce début de nuit. Je sors de la voiture aussitôt celle-ci stationnée et, surpris par la vision des vitrines éclatées, je perds quelques précieuses secondes avant de m’agenouiller auprès de mon frère. Remplaçant les mains de Mika par les miennes, je continue de faire pression en le secouant un peu.
— Seb, réveille-toi, merde !
Son teint est blafard et son corps se laisse bousculer comme le ferait une pauvre marionnette. Je suis partiellement soulagé par la présence de son pouls que je sens contre sa carotide. Il est faible, mais bien existant.
— Mika, dis-je en me tournant vers la jeune femme au teint livide, prends mon téléphone, survole rapidement la liste des contacts et appelle Bennet.
Pourvu qu’il soit encore en état de se rendre ici. Il lui arrive de chercher à oublier sa vie avec des substances tellement fortes qu’il perd la notion de ce qui l’entoure.
— Bonjour, balbutie Mika avec l’appareil contre l’oreille. Vous êtes Bennet ? Wesley vous demande de venir au restaurant de Sebastian immédiatement, c’est urgent.
Allez Bennet… dis-lui que tu viens.
— Il a besoin de vous, Sebastian est…
— BENNET, aboyé-je assez fort pour qu’il m’entende. Ramène-toi ici et fais vite…
La jeune femme lève un sourcil et pose l’appareil par terre à mes côtés. Ce n’est pas nécessaire de lui demander ce qu’il a dit puisqu’elle ajoute aussitôt :
— Il arrive. Qu’est-ce que je peux faire ?
— Va en cuisine et rapporte des serviettes froides.
Tandis qu’elle part sans poser de questions, j’en profite pour retirer mes mains et vérifier si la plaie saigne encore. L’hémorragie semble être maîtrisée, mais la balle n’est pas ressortie et ce n’est jamais une bonne chose. Bennet, grouille-toi, merde !
— Putain, murmuré-je. Seb, réveille-toi. Je t’en prie. Ne me laisse pas. Ne me laisse pas.
Assis par terre, je m’accroche à ses épaules alors que je le tiens contre moi. Couchant un baiser sur son front, je lui promets de tout lui raconter. Plus aucun secret ; il doit constamment être sur ses gardes jusqu’à ce qu’on retrouve les responsables de cette attaque. C’est avec la tête de Seb posé sur ma cuisse, avec son teint cadavérique, que Bennet nous trouve quelques minutes plus tard.
— La vache, Wes ! Qu’est-ce qui s’est passé ?
— J’en sais rien. Mika m’a appelé en me disant qu’elle a entendu des coups de feu et…
— Qui est Mika ? me coupe-t-il.
Elle n’est pas censée exister. Qu’est-ce que je peux bien lui raconter ?
— Je suis la copine de Seb, intervient celle-ci en arrivant avec les linges mouillés qu’elle pose dans le cou de mon frère.
La stupeur doit être lisible sur mon visage parce qu’elle me regarde en haussant légèrement les épaules, les yeux embués. Je hoche simplement la tête parce qu’elle vient de me sauver la mise, mais elle devra m’éclaircir davantage la situation plus tard.
— La balle est ressortie ? questionne Bennet.
— Non, je ne crois pas.
— Alors, aide-moi à le porter dans la cuisine.
À nous deux, on l’installe facilement sur l’un des comptoirs à l’arrière. Sa trousse à ses côtés, le doc sort tout ce qui lui est nécessaire pour réparer mon frère. Ce n’est pas la première fois qu’il nous recoud, nous épargnant ainsi d’aller à l’hôpital. Et puis, cette fois-ci, ça fait plutôt mon affaire. Je veux éviter que les coupables sachent qu’ils ont sérieusement blessé Sebastian. Je rendrai personnellement une petite visite à chacun d’entre eux pour trouver celui qui se croit plus fort que mon autorité. Et si mon frangin ne survit pas, je les détruirai tous !
Une heure de procédure plus tard, Sebastian est tiré d’affaire. Après avoir extrait la balle, nettoyé la plaie et pansé son épaule, nous l’avons transporté dans son loft où il repose confortablement dans le lit. Sa respiration est régulière, tout comme ses battements cardiaques. Bennet lui a administré une dose d’antibiotique en prévention ainsi qu’un médicament pour contrer la douleur. Il devrait dormir pendant un bon moment.
Alors que l’ami de mon père finissait d’évaluer mon frangin, j’ai passé un appel à Beryl. Ce n’est pas que j’ai pas confiance en lui – en fait, si –, mais j’ai hésité un instant avant de composer son numéro. Seb l’apprécie énormément ; il mettrait sa vie entre ses mains n’important quand. C’est ce qui a pesé dans la balance. Aussi, j’ai besoin de lui pour veiller sur le seul membre de ma famille qu’il me reste. Adossé contre le bar, je le vois qui regarde autour de lui en passant les portes du resto. C’est un foutoir sans nom…
— Wes… tu peux m’expliquer ? demande-t-il sans détour.
Dans une situation comme celle-ci, on oublie le « Shérif »…
— Quelqu’un a attaqué le resto. Sebastian a reçu une balle à l’épaule. Il va bien, dis-je rapidement alors qu’il s’apprêtait à parler. Il est là-haut ; un ami médecin a pris soin de lui.
— Et qu’est-ce que tu attends de moi ?
— Je veux que tu veilles sur lui et que tu m’appelles lorsqu’il se réveillera ou si tu vois quelque chose de suspect. Au matin, j’enverrai quelqu’un nettoyer tout ça et poser de nouvelles vitrines. Laisse un mot quelque part que le resto sera fermé pour la journée, le temps de tout réparer.
— T’es sûr que tu veux que je reste avec lui ?
— Est-ce que tu prendras soin de lui comme si c’était ta famille ?
— Oui, bien sûr !
— Alors oui, je suis certain. Puis, je n’ai pas beaucoup d’options.
Le saluant du menton, je marche sur les morceaux de vitre concassée. Bennet est parti il y a une quinzaine de minutes et Mika est assise dans ma voiture. Il n’est pas question que je la laisse seule ici avec Beryl. Je sais qu’il ne fera pas de mal à mon frère ; il l’aime, après tout, même s’il le nie encore. Cependant, juste pour m’en assurer…
— Oh, Beryl ! lancé-je en plantant mes pupilles dans les siennes. Ne me fais pas regretter de t’accorder ma confiance. Va savoir ce qui pourrait te tomber dessus.
Sans rien ajouter de plus, je sors. Faisant signe à la jeune femme que j’arrive, je traverse la rue, m’arrêtant à l’endroit où plusieurs objets de métal brillent sur le sol. Je récupère quelques douilles qui rejoignent la balle dans le fond de ma poche et retourne à mon véhicule. Mon but est maintenant de retrouver l’instigateur de cette menace. Parce qu’à mes yeux, c’en est bel et bien une… Et l’une de celles qu’on n’oublie pas.
Le trajet pour se rendre au poste dure quelques minutes. Le silence est maître à bord de l’automobile. Mika regarde par la fenêtre. Même s’il fait nuit, elle ne manque rien de l’environnement. Elle n’a rien vu depuis son arrivée, cloîtrée dans le loft de Seb.
— Je dois faire quelques trucs ici, puis je t’emmène chez moi. On pourrait en profiter pour faire tes empreintes maintenant…
— Mmm. OK.
Elle est ailleurs. Son corps est là, mais son esprit semble encore dans le resto de mon frère. Ses yeux sont vitreux, inquiets.
— Est-ce que ça va ? demandé-je une fois descendu de la voiture.
— Oui, c’est juste que… commence-t-elle avec difficulté, que… même si je ne me souviens pas de qui je suis, je sais que je ne suis pas le genre de personne à vouloir que les gens souffrent. Et si Sebastian avait été blessé parce que je suis là ? Et si c’était ma faute ?
— Hey ! soufflé-je en l’attirant vers moi. Rien de ceci n’est ta faute. Puis, personne ne savait que tu étais là, donc t’inquiète pas. Je répète, ce n’est pas ta faute. Crois-moi, je vais mettre la main sur l’enfant de chienne qui est derrière ça.
Je la garde près de moi lorsque nous entrons dans l’immeuble ensemble. L’homme en service à l’accueil me sourit en nous laissant aussitôt passer. Il n’est pas rare que je reste plusieurs heures ici, en pleine nuit. Un shérif, ce n’est jamais vraiment hors service. Une fois dans mon bureau, j’invite Mika à s’asseoir tandis que j’attrape le combiné sur mon plan de travail.
— Hoyt, dis-je à l’homme qui a répondu à la première sonnerie, t’es encore au bureau ?
— Oui, Shérif.
— Passe me voir, j’ai un truc à te demander.
Sans attendre la réponse, je repose le téléphone avant de m’affaler dans mon fauteuil. Putain, je donnerais cher pour être encore couché sur mon lit. Peut-être que tout ça, c’est un cauchemar après tout. Lorsque je plante mes iris dans ceux de la jeune femme assise devant moi et que j’y vois à quel point elle est désemparée, je sais que tout ceci est bien réel. Soupirant, je m’apprête à la rassurer, mais la porte s’ouvre avant que j’aie le temps d’en placer une.
— Je suis là, Sh… oh merde ! s’exclame-t-il en voyant le sang qui couvre nos vêtements. Vous sortez d’une bagarre ou quoi ?
— Quelque chose comme ça, dis-je en me levant.
Ouvrant mon deuxième tiroir, j’y attrape un sac à preuves avant de glisser la main dans ma poche pour récupérer les douilles et la balle. En les laissant tomber dans le plastique, j’ajoute à l’intention de mon spécialiste en armes à feu :
— Je veux que tu me trouves le type d’armes utilisées et tout ce que tu peux en lien avec ceci. Tu m’appelles aussitôt que tu as terminé l’analyse. TOUT, t’as bien compris ?
— Oui, chef. J’y passe la nuit s’il le faut.
— Et tu gardes cette info pour toi. Hum… je te revaudrai ça.
— Le shérif Hunter qui me devra une faveur…
— Hoyt ! le coupé-je. N’en prends pas une habitude, mais cette fois, c’est personnel.
Peut-être est-ce la lueur de colère qui brille dans mes yeux, nos habits effrayants teintés d’hémoglobine ou notre amitié précaire, mais il hoche la tête et récupère le sac avant de sortir de mon bureau. Son air satisfait, du fait que je lui en doive une, avait disparu de son visage. Et il ne m’a jamais déçu jusqu’à maintenant.
Je tends la main à Mika. Elle me regarde d’un air inquisiteur avant que je lui explique que nous allons relever ses empreintes. Elle accepte ma paume et me suit sans rien ajouter. Le poste est tellement plus silencieux la nuit qu’en plein jour. Nous entrons dans une salle où se trouve tout le matériel d’identification biométrique, des simples marques digitales à la reconnaissance vocale. Tout y est. Il ne m’arrive pas très souvent de m’en servir, mais c’est là, si jamais.
Après s’être rigoureusement lavé les mains, on passe l’heure suivante à entrer les données dans le système informatique. Malheureusement, aucune empreinte ne concorde avec ce que nous avons dans la base. Elle n’est fichée nulle part. Quand nous terminons, il est plus de 2 h. Mika peine à garder ses yeux ouverts. Elle est épuisée, tout comme moi, d’ailleurs. Reportant le reste de l’identification, je la ramène chez moi pour qu’elle puisse dormir un peu. Sur le pas de la porte de ma demeure, elle semble mal à l’aise lorsqu’elle demande :
— Ça te dérange si je prends une douche ?
— Non, bien sûr que non.
— Tu savais que ton frère n’a pas d’eau chaude ? J’ai failli mourir frigorifiée…
À l’évocation de celui-ci, je le revois à terre. J’entends Mika répondre à Bennet : « Je suis la copine de Seb. » Incapable de m’empêcher d’être un tantinet jaloux, je m’avance vers elle jusqu’à ce que son dos frappe le mur de l’entrée. Elle ne quitte pas mon regard une seule seconde. L’air se charge d’une électricité qui fait frissonner ma peau.
— Ouais, je sais… Il doit constamment faire réparer le système d’eau. Tu ne devrais pas avoir ce problème ici. Alors, t’es la copine de Seb ?
— C’est ce qu’il a trouvé comme excuse pour expliquer ma présence à sa serveuse…
— Anne ?
À son évocation, je ne peux pas m’empêcher d’esquisser un léger sourire.
— Je crois, oui. Et j’ai embarqué dans son jeu.
— Mais t’as envie d’être sa copine ?
— Je… j’en sais rien. Je ne sais même pas qui je suis… J’ai juste le sentiment que je dois être ici.
— Ici, dans cette ville ? Ou ici, chez moi ?
— Hum… j’en ai aucune idée. Les deux ?
Moi aussi, je veux qu’elle soit à cet endroit. Là où je peux avoir un œil sur elle. Où je peux la protéger. Admirer son corps, parcourir sa peau de mes yeux et la voir frémir alors que je la dévore du regard.
— Je meurs d’envie de goûter tes lèvres, échappé-je sans pouvoir me retenir.
Elle est couverte du sang de ton frère… me souffle ma conscience. Je ne peux pas l’embrasser en pensant à lui.
— Mais ce n’est vraiment pas le bon moment, dis-je aussitôt en pointant les taches sur ses vêtements. La salle de bain est juste là. Tu pourras utiliser les vêtements qu’il y a dans la penderie de la chambre, ils sont sûrement à ta taille.
Me reculer ; il faut que je mette de l’espace entre nos deux corps. Elle fait un pas avant de s’arrêter, hésitante. Elle s’apprête à dire quelque chose puis secoue la tête avant de filer dans la salle de bain. J’omets de lui dire que le linge appartient aux femmes qui ont passé la nuit ici et qui sont reparties en oubliant des trucs. Ça ne ferait que la rendre mal à l’aise.
D’un pas résolu, je marche jusqu’à la cuisine pour passer un coup de fil à Beryl. Personne ne répond. L’anxiété me tord aussitôt les tripes ; j’imagine le pire des scénarios. Les tireurs sont venus terminer le boulot ? Les mains tremblantes, je compose son numéro une seconde fois. Un soulagement monstrueux s’abat sur moi lorsque j’entends sa voix à l’autre bout du fil.
— Bordel ! juré-je. T’étais où ?
— Désolé, j’étais aux toilettes.
— C’est bon, soupiré-je en tentant de calmer mon cœur désordonné. Comment il va ?
— Il dort toujours. Sa respiration est lente et profonde, il ne semble pas souffrir.
— Bien. S’il se réveille et qu’il a mal, j’ai laissé des comprimés près de l’évier.
— OK.
— Et tu m’appelles…
— S’il se réveille. J’ai compris, Wesley, je ne suis pas con.
Si seulement il n’y avait que ça qui m’inquiétait… Mettant fin à la communication, j’attrape une bière dans le frigo puis m’assois sur l’un des tabourets de l’îlot. Je vais avoir besoin d’aide ; il y a trop d’éléments dans cette enquête pour un seul homme. Ironiquement, celui qui est le plus susceptible de pouvoir m’aider, c’est Sebastian. Allez savoir tout ce qui se cache dans ses sombres souvenirs ; si seulement il voulait bien me parler. Perdu dans mes pensées, je sursaute lorsque j’entends la porte de la salle de bain s’ouvrir. Mika en sort, vêtue d’une simple serviette autour de la taille. Momentanément, j’oublie où je suis et toute réflexion cohérente quitte mon esprit. Où croit-elle aller comme ça ? Elle se dirige vers moi, s’arrêtant à quelques pas seulement pour me demander :
— Je peux ?
Pointant ma bière, elle fait un demi-sourire, presque provocateur. Elle est sérieuse, là ? Levant un sourcil stupéfait, je lui tends la bouteille en attendant de voir sa réaction face à ce goût de malt prononcé. Ce n’est certainement pas de la light. Elle l’attrape, pose le goulot contre sa bouche et la vide d’un trait. Elle ferme les yeux de plaisir. Putain, ce qu’elle est bandante !
— Comment t’as su ? osé-je demander.
— Comment j’ai su quoi ?
— Que t’aimerais la bière. Parce qu’à te voir la prendre sans hésitation, c’est comme si tu savais quel goût elle aurait.
Surprise de ma constatation, elle ouvre grands les yeux. Elle n’y a même pas pensé ! Se rendant seulement compte que ça ne lui a pas traversé l’esprit, elle hausse les épaules.
— Euh… j’avais l’impression d’en connaître la saveur, c’est tout. Je n’ai simplement pas réfléchi, j’ai laissé mon instinct prendre le dessus.
— Et tu crois que cette démonstration m’aidera à faire passer mon désir de t’embrasser ? T’as fait que me provoquer.
— Qu’est-ce qui t’en empêche maintenant ?
Elle a raison. Qu’est-ce qui m’en empêche ? J’en ai envie. Bordel, que j’en ai envie ! Elle est là, presque nue devant moi, me mettant au défi de joindre mes actes à mes paroles. Depuis quand je me retiens de faire ce qui me passe par la tête ? Tardant à répondre, la femme face à moi tourne les talons, prenant sûrement mon silence comme un signe de lâcheté de ma part. Mais je ne vois pas les choses de cette façon. D’un geste rapide, j’attrape son poignet pour la tirer vers moi. Mon cœur frappe frénétiquement contre ma cage thoracique. Elle me fait tellement d’effet…
Surprise par mon geste, elle ne peut s’empêcher de torturer sa lèvre inférieure de ses dents. Celle-là même que je ne cesse de fixer. Ma langue glisse lentement sur les miennes alors que sa respiration se fait plus rapide. Elle est tellement belle. De mon pouce, je caresse cette bouche que je rêve de m’approprier. Progressivement, afin de lui permettre de m’arrêter si jamais elle le désire, je glisse ma paume sur sa joue. En échappant un soupir, elle ferme les yeux, savourant mon contact. Me rapprochant davantage, je laisse mes doigts errer dans ses cheveux. Comme si c’était la chose la plus délicate qui existe, je me penche doucement avant de poser ma bouche contre la sienne. Ses lèvres sont parfaites. J’aurais très bien pu la rencontrer dans un bar que je ne suis pas certain qu’elle m’aurait fait autant d’effet. Est-ce sa vulnérabilité qui m’attire ? Son innocence ? Ou simplement le fait qu’elle ignore qui je suis réellement ? Tout comme moi, d’ailleurs. Avec elle, je peux être moi-même, sans jouer de rôle. Je peux être le Wesley que j’ai toujours voulu être, vrai et authentique, pas celui qui pose des limites et qui s’assure que chacun respecte la loi. Alors que je sens le bout de ses phalanges effleurer mon flanc, je passe un bras autour de sa taille pour la coller contre mon torse. Je suis toujours assis sur le tabouret. De cette façon, nous sommes de la même grandeur. Ma langue taquine alors la sienne, la faisant gémir. Putain ! La tension dans mon jeans manque de me faire perdre toute contenance. Sebastian dirait que c’est du moi tout craché.
Sebastian. Je revois la façon dont il la regardait ; c’est lui qui l’a sauvée de cette caisse de bois minable. Il semble lui aussi s’être épris d’elle. Un soupçon de culpabilité s’immisce dans mon esprit, m’obligeant à mettre fin à ce baiser qui me rend fou. À contrecœur, je me recule donc, exigeant de moi tout le sang-froid dont il m’est possible de faire preuve.
— J’ai fait quelque chose de mal ? demande-t-elle.
C’est moi qui l’embrasse et elle croit être fautive. Seigneur ! Cette femme aura certainement ma peau. Faites qu’elle retrouve rapidement sa mémoire… ou au contraire, qu’elle ne se souvienne jamais et qu’elle habite dans le coin pour toujours.
— Non, pas du tout, mais si je ne m’arrête pas maintenant, je ne le ferai jamais.
Allez ! Dis-moi que c’est ce que tu souhaites et je te traîne à nouveau sous la douche. Je te ferai hurler de plaisir jusqu’à ce que tu n’en puisses plus. Vénérer ton corps sera ma priorité pour le reste de la nuit ainsi que les autres à venir… Depuis quand j’ai l’impression qu’une seule nuit ne serait pas suffisante ? Et depuis quand ai-je suffisamment de respect pour une femme pour m’arrêter avant qu’elle n’éprouve du regret ? Le silence dans la pièce est dérangeant, rempli d’envies et de désirs refoulés. La déesse devant moi ne dit pas un mot. Je m’entends alors ajouter :
— On ferait mieux d’aller dormir pour récupérer un peu.
Me levant du tabouret, je crée volontairement une distance entre nous. Alors qu’elle acquiesce perceptiblement, je pose un baiser sur son front avant de filer à mon tour sous la douche. Ne voulant pas m’attarder inutilement, je m’essuie rapidement, enfile un boxer et me dirige vers la porte afin de m’assurer qu’elle est bien verrouillée. Je vérifie aussi que celle de la chambre d’amis est close et vais m’installer sous mes couvertures.
Mes paupières sont tellement lourdes que je suis incapable de les garder ouvertes, même lorsque ma porte grince. Sur mes gardes, je m’étire le bras pour récupérer l’arme sous l’oreiller. Au son de sa voix, je la laisse en place puis me tourne vers elle.
— Wesley ? souffle-t-elle.
— Quoi ? réponds-je sur le même ton.
— Hum… ça te dérange si je dors avec toi ? J’arrive pas à m’endormir seule.
Est-ce que je veux que son magnifique corps soit sous les couvertures avec moi ? Oui, évidemment ! Mais est-ce que je saurai me tenir ? Aucune idée… et je suis trop épuisé pour lui refuser un peu de réconfort. D’un geste du bras, je soulève la couette couleur marine, lui signifiant mon accord. Quelques secondes plus tard, son poids fait légèrement pencher le matelas vers elle. Une fois que je la sais étendue, je laisse tomber la couverture.
— Merci… murmure-t-elle.
— Ne me remercie pas maintenant, répliqué-je aussitôt. T’es quand même couchée dans le lit d’un homme qui te désire comme personne.
— T’as dit que tu me protégerais, alors j’ai confiance en toi.
Ces mots me touchent sans que j’en comprenne la raison. Probablement le fait que personne ne m’a jamais ouvertement dit qu’il avait confiance en moi. Je crois que même Sebastian n’éprouve pas ce sentiment à mon égard. Il sait que je suis là pour lui, peu importe ce qui se passe, mais pourquoi ne le démontre-t-il pas ? Mika, elle, a foi en moi.
Impulsivement, je passe mon bras autour de sa taille et l’attire vers moi. Calant son dos contre mon torse, sa tête se pose naturellement sur mon biceps. Comme si c’était sa place. Les yeux fermés, la paume sur son ventre, je sombre dans l’inconscience…
En ouvrant les yeux, je suis toujours dans la même position, le corps de Mika collé contre le mien. Seigneur, j’aurais envie de promener mes mains sur sa chair. Elle ne bouge pas. Sa respiration régulière prouve qu’elle dort profondément. Un bruit provenant de l’autre pièce me met en état d’alerte. Tendant l’oreille, j’écoute attentivement jusqu’à ce que je reconnaisse la sonnerie de mon téléphone. Putain ! Je l’ai oublié sur le comptoir de la cuisine.
Regardant la femme dans mes bras, je balaie quelques mèches de cheveux de son visage avant de poser mes lèvres sur son épaule nue. Sans la réveiller, je me dégage du lit et cours presque jusqu’à mon portable.
— Hunter, me présenté-je en répondant.
— Shérif, c’est Hoyt. J’ai terminé l’analyse.
Passant dans la salle de lavage, j’attrape un jogging que j’enfile rapidement.
— Vas-y ! Je t’écoute.
Je récupère aussi un t-shirt que je passe illico.
— Le sang sur la balle appartient à ton frère, mais ça, je crois que tu le savais déjà…
— L’arme, Hoyt ! Parle-moi de l’arme.
— J’y viens. Donc, la balle est de calibre 9 mm Parabellum. Elle concorde avec les douilles que tu m’as remises. Le tout provient d’un pistolet mitrailleur semi-automatique qui coïncide avec le Bizon PP-19. C’est une arme puissante. Dis-moi seulement que Sebastian est toujours en vie.
— T’inquiète pas, il va bien. Et quelle en est l’origine ?
— C’est un pistolet russe.
À ce constat, mes jointures blanchissent tant je suis sur le point d’écraser le cellulaire que je tiens contre mon oreille. Mes yeux se rivent sur la porte de ma chambre ; je ne peux pas croire que j’ai embarqué dans son jeu sans poser plus de questions. Lui, de son côté, tente d’abattre mon frère en pleine nuit. Le salopard de merde !
— T’es certain de ce que tu avances ?
— Écoute, il y a toujours un risque d’erreur. Mais habituellement, chaque arme possède des spécificités propres à leur fabrication. Je ne pense pas me tromper…
— L’enfant de pute…
Il ne s’attend certainement pas à ce que je lui rende une petite visite à l’improviste et, croyez-moi, cette fois il répondra à mes questions.
— Merci, Hoyt. Si tu trouves autre chose, appelle-moi.
— Pas de problème, chef.
D’un pas lent, j’avance jusqu’à l’entrebâillement de la porte. Je regarde Mika, couchée sur le côté, endormie. Souviens-toi, elle ne sait rien. À moins qu’elle joue un rôle, elle aussi ? Je n’y crois pas une seconde ; il n’y a pas une seule personne qui dégage autant de sincérité qu’elle. Comment fait-elle pour me chambouler autant ? Jamais quelqu’un ne s’est incrusté dans mon lit pour seulement y dormir. Le Wesley d’avant n’aurait aucunement permis que ça arrive. Mais qu’est-ce qu’elle est en train de me faire ? Je dois le découvrir avant que je ne puisse plus revenir en arrière.
Attrapant mon arme ainsi que mes clés de voiture, je sors précipitamment de la maison. Laissant la rage me consumer de l’intérieur, alors que le soleil perce à l’horizon, je me dirige tout droit vers celui qui me doit des explications : Andreï Romanov.