CHAPITRE 11

SEBASTIAN

Mes tympans bourdonnent encore alors que mon cerveau frappe contre mon crâne. Assis dans mon lit, le dos appuyé contre les dix oreillers que Beryl m’a ramenés un peu plus tôt, je regarde la pluie tomber par l’énorme fenêtre qui me fait face. J’observe cette ville qui continue de vivre malgré le chaos qui règne entre les murs de mon resto. Aucun voisin n’est venu poser de questions, aucun policier n’est passé me faire remplir une déposition, aucun gang n’a daigné se pointer le bout du nez pour s’assurer que les livraisons ainsi que les soirées habituelles ne soient pas atteintes par l’attaque… Comme s’ils le savaient tous.

Je déteste nager dans le néant le plus total. Ce n’est pas la première fois que nous subissons les représailles d’une mafia contre un autre groupe. Parce que oui, à l’allure que les hommes aux mitraillettes avaient, j’en déduis qu’ils font partie d’une mafia quelconque, mais que l’assaut soit dirigé contre moi précisément est une première. N’empêche qu’il me manque beaucoup trop d’informations pour convaincre mon frère d’enquêter sur cette voie. J’ose croire que Wes est sur le coup en ce moment puisqu’il brille par son absence. Depuis mon réveil, il y a de ça quelques heures, je n’ai pas vu l’ombre de mon frangin ni même celle de Mika. Putain, j’espère qu’elle va bien. Poser la question à Beryl risquerait d’ébruiter la présence de cette inconnue qu’on essaie par tous les moyens de garder secrète. Anne, c’est bien assez. Et angoissé comme il est, il pourrait penser que Mika y est pour quelque chose dans toute cette histoire de fou.

— Hey, t’as faim ? me demande mon ami depuis la cuisinette.

En tournant la tête pour l’observer, un élancement épouvantable à l’épaule m’arrache une grimace que je tente de dissimuler, puisque chaque fois qu’il voit que je souffre, il devient ingérable et barge comme pas un.

— Ouais, un peu.

— D’acc, je te prépare un truc.

Aussitôt que j’ai ouvert les yeux au début de la journée, Beryl n’a cessé de bouger, de nettoyer, de superviser les travaux du resto comme une poule pas de tête, de prendre soin de moi comme si j’étais sur le point de crever. Bref, il m’étourdit et m’étouffe par le fait même. Je l’entends qui rumine des injures, le visage caché dans le frigo :

— Putain, t’es le cuisinier le plus talentueux que je connaisse et tu n’as que des merdes à te mettre sous la dent ?

— T’es pas obligé de me faire à bouffer, Beryl. Je sais encore marcher et me servir de ma main droite.

— Garde tes forces pour te branler. Je vais aller en bas te faire un dîner parce qu’avec des cornichons à l’aneth en conserve, du pepperoni périmé depuis la Seconde Guerre mondiale et cette chose inconnue qui ressemble à un vieux morceau de gruyère, je n’arriverai pas à faire grand-chose, dit-il en refermant le réfrigérateur avant de placer ses poings sur ses hanches et de me dévisager. Tu ne bouges pas de là, je m’occupe de tout.

Son attitude presque paternelle me fait pester. Vêtu de son éternel chandail noir à l’effigie du groupe de musique Nirvana, il me regarde tout souriant avant de lever les épaules, l’air de dire que je ne peux rien y faire.

— Mais…

— Pas la peine !

Sans en rajouter, mon ami s’éclipse de mon loft en laissant la porte de l’entrée grande ouverte. Je l’entends à l’étage en dessous qui peste à nouveau contre les employés que mon frère a engagés pour reconstruire la devanture. C’est dingue comme cet homme n’est pas lui-même depuis qu’il est à mon chevet.

Mais comme chaque fois qu’il déserte, l’angoisse s’empare de moi. Mon corps tremble comme si j’avais le Parkinson, un poids immense et invisible pèse sur mes épaules, des gouttes de sueur commencent à perler sur mon front et ma respiration se fait pressante. Une cigarette. J’ai besoin d’une cigarette, maintenant ! Je me redresse du mieux que je peux en tentant de gérer les vagues d’élancement qui s’accentuent dès que je bouge le petit doigt, puis mon pied touche enfin le sol. Mon bras gauche en attelle plaqué contre mon torse, je ne peux m’aider que de ma main droite pour me propulser sur mes deux jambes. L’effort m’en fait voir de toutes les couleurs jusqu’à brouiller ma vision de points lumineux, ou est-ce dû à la crise de panique qui approche ? Probablement un peu des deux. Je repère les clopes près du pot de comprimés que Beryl me fournit aux quatre heures et avance lentement comme si ma carcasse me préparait à mes futurs soixante-dix ans. Je saisis le bout de carton avant de le regarder un instant. Si je n’arrive pas à l’ouvrir d’une seule main, que vais-je faire pour tout le reste ? Avec l’impatience et le stress qui m’habitent, j’arrache de mes dents l’ouverture du paquet en laissant retomber la moitié de son contenu sur le sol. En coinçant une cigarette entre mes lèvres, je constate que ce simple geste agit déjà comme un effet rassurant. Je tâte mes jambes à la recherche d’un briquet dans les poches de mon jeans. Putain ! Je suis complètement nu… Balayant la pièce des yeux, je vois que le ménage a été fait dans tous les recoins de mon loft. Plus aucune pile de vêtements qui traînent, plus de vaisselle sale ni même de mégots dans les cendriers de fortune.

— Qu’est-ce que je vous ai dit tout à l’heure, bande d’idiots ? Ne laissez personne entrer ! C’est fermé, mademoiselle.

La voix de Beryl qui hurle depuis la cuisine du resto me pousse à retrouver rapidement l’intimité des draps de mon lit. Heureusement, je repère le briquet métallique près de mon téléphone posé sur le baril de bière vide. Puis, sans attendre, je m’installe comme si je n’avais jamais quitté ma position initiale. Mon dos sur les oreillers, ma tête appuyée contre le mur, j’allume enfin ma cigarette. L’effet est instantané.

— Sebastian n’est pas disponible pour l’instant, l’entends-je gueuler pour la deuxième fois.

Je ferme les yeux pour savourer l’impact de la nicotine sur mes sens.

— Vous mentez, il n’a pas de petite copine. Sortez d’ici ou j’appelle la police.

En coinçant dans mes poumons le plus longtemps possible la seconde bouffée, je sens que mon corps se détend malgré tout.

— Si vous montez, je vous amène moi-même dehors de force. Seb n’a pas de copine et encore moins une dans votre genre.

À qui peut-il bien parler de cette façon ? Une copine ? Je n’ai pas de… Merde !

— NON ! MADEMOISELLE, ARRÊTEZ !

Le bruit de pas rapides qui gravissent les marches en fer forgé me fait tourner la tête brusquement vers l’entrée de mon loft. Et là…

— Sebastian, murmure Mika depuis l’encadrement de la porte laissée ouverte.

À bout de souffle, la jeune femme pénètre dans la pièce en fixant aussitôt ses magnifiques yeux verts dans les miens. Vêtue d’une robe moulante noire sans bretelle et beaucoup trop courte, Mika avance en dessinant, malgré elle, une multitude d’empreintes mouillées au sol à chacun de ses pas. Elle semble trempée des pieds à la tête. Beryl, qui arrive derrière elle, la saisit par les épaules.

— Vous n’avez rien à faire ici, espèce de…

— Hey, Beryl, ça va, mec ! Elle est avec moi.

Mon ami, complètement abasourdi, me dévisage de ses yeux foncés. Je crois ne l’avoir jamais vu aussi étonné de toute ma vie. Il cède l’emprise qu’il avait sur la faible silhouette de la femme et vient me rejoindre avant de nous regarder à tour de rôle, Mika et moi.

— Tu… Vous… êtes ensemble ? Impossible.

— Je te confirme, elle et moi…

— Impossible, répète-t-il, la bouche grande ouverte.

— Beryl, je te présente Mika, ma… petite amie, ma blonde, ma copine, appelle-la comme tu veux. Mais nous formons bien un couple.

Une minute interminable passe avant qu’il se décide enfin à réagir. Il se tourne en plantant son regard sérieux sur moi, avec ses sourcils qui se touchent et une moue enragée qui se dessine sur son visage ; mon ami est furieux comme jamais. Alors que je pensais qu’il me ferait la morale pour l’avoir tenu dans l’ignorance, il en fait tout autrement et se dirige vers la sortie en bousculant Mika au passage. Sans dire un mot de plus, il part sans regarder derrière lui.

— Je suis désolée, je l’ai contrarié, ce n’était pas mon intention. Il ne voulait pas me laisser te voir et…

— Ce n’est pas ta faute, la coupé-je. Après ce qui est arrivé entre ces murs, Beryl s’inquiète pour moi.

— C’est un bon ami.

— Un peu trop, je crois.

Nous nous taisons au son des engueulades qui nous proviennent de l’étage en-dessous. Décidément, mon sous-chef s’est résolu à jeter sa colère sur les pauvres employés. Mika ne me lâche pas des yeux, et c’est alors que je me rends compte qu’elle tremble comme une feuille.

— Je peux te prendre une serviette ? me demande-t-elle en faisant un nouveau pas dans ma direction.

Je hoche la tête puisque mon cerveau reste complètement figé par tant de beauté. Ses cheveux habituellement frisés sont aplatis le long de son visage, tombant jusqu’à l’échancrure de son magnifique décolleté. Ses minuscules doigts ne cessent de triturer l’ourlet de sa robe comme si elle semblait mal à l’aise à l’idée d’être devant moi dans cet état.

— J… je ne sais pas si Beryl en a laissé, tu peux regarder dans l’armoire juste là, dis-je en pointant la petite porte près de la salle de bain.

Sans faire de mouvements brusques, Mika part à la recherche de n’importe quoi pouvant servir à s’essuyer.

— Où étais-tu ?

Est-ce que j’ai prononcé cette phrase à voix haute ou l’ai-je seulement pensée ? La voyant fouiller sur chaque tablette de la penderie sans m’accorder d’attention, j’ose croire qu’elle ne m’a pas entendu. Elle ne doit surtout pas s’imaginer que je suis jaloux de mon frère, puisque je sais très bien qu’elle se trouvait avec lui depuis l’incident d’hier. Même si je n’ai pas parlé à Wesley pour qu’il me le confirme, j’avais le pressentiment qu’elle était à ses côtés.

— Il n’y en a pas, dit-elle en se retournant vers moi.

— Regarde dans la commode, prends ce qu’il te faut.

Quelques secondes après avoir ouvert chaque tiroir, Mika revient vers le lit avec des yeux larmoyants, grelotant encore plus que lors de son arrivée.

— Il… n’y a plus rien, murmure-t-elle avec une voix sur le point de se briser.

Je me relève légèrement pour éteindre ma cigarette sur le fût de bière tout en ravalant la douleur lancinante de ma blessure, puis m’étire pour attraper sa main du bout des doigts.

— Hey, Mika… ne pleure pas, s’il te plaît. Tout va bien aller.

— C’est q… que j’en peux plus de tout ce qui arrive, et j… j’ai froid.

— Où est Wesley ? Pourquoi n’es-tu pas avec lui ?

— Il m’a laissée seule chez lui. Il ne revenait pas et je commençais à… avoir peur.

Quel con ! Abandonner une femme amnésique sans repère dans un endroit qu’elle ne connaît pas. Elle était quand même en sécurité chez lui…

— Mais comment as-tu fait pour te rendre ici ? Le Double Barrel est à plus de dix kilomètres de chez Wes.

— J’ai marché, chuchote-t-elle en évitant maintenant de me regarder dans les yeux.

— Tu te souvenais du trajet ?

— Non… j’ai demandé mon chemin.

L’entendre refouler ses sanglots me brise le cœur. Mon connard de frangin était responsable d’elle pendant que moi j’étais cloîtré ici, impuissant à lui venir en aide, et surtout ignorant de sa situation. Si j’avais su…

— Mika, regarde-moi, je t’en prie.

Son attention figée sur le sol, signe qu’elle me fuit, remonte lentement, très lentement, vers moi. Elle examine mon attelle collée à ma poitrine nue puis arrive finalement à mes yeux. Cette vision d’elle, fragile et vulnérable, qui me contemple en se disant probablement la même chose à mon égard, me laisse sans voix.

— J’ai f… froid.

Ses mots viennent aussitôt frapper ma conscience obnubilée par toute cette pureté qu’elle dégage. Sans réfléchir, je tire doucement sur sa main. Soit elle comprend où je veux en venir, soit elle me prend pour un désaxé. Comme si Mika avait été dans ma tête au moment de songer à cette phrase, elle se défait de ma poigne sans me lâcher une seconde des yeux puis s’active à retirer le bout du tissu qui lui sert de robe. Je tente avec le plus de conviction possible de garder mon attention sur son magnifique visage pour oublier qu’elle est maintenant face à moi, habillée uniquement de ses sous-vêtements trempés.

Elle reste plantée là, sur le seuil de mon lit, à m’observer avec ses yeux terriblement anxieux quand je comprends ce qu’elle attend. Je lève légèrement le drap pour qu’elle puisse venir s’y réchauffer.

— Euh… Sebastian, tu es…

Suivant son regard pour trouver ce qui la laisse ainsi, je baisse la tête pour immédiatement tomber sur ma queue bien droite sous la couverture. Merde… J’avais oublié. L’effet qu’elle a sur moi n’est plus un secret à présent. Bordel, je viens littéralement de passer pour un détraqué sexuel.

— J… je suis désolé. C… comme tu peux le voir, il n’y a p… plus de vêtements. Beryl a dû tout emporter chez le nettoyeur pour me r… rendre service.

Avec tous mes bégaiements, elle va me prendre pour un vrai fou, c’est clair. Putain ce que je gère mal la pression !

Je peine à garder mes yeux qui reflètent mon anxiété dans les siens, alors que je remarque un bref et unique rictus s’étirer sur ses lèvres charnues. Une seconde plus tard, la voilà qui passe par-dessus moi en m’enjambant pour s’installer de l’autre côté du lit. Je suis tellement surpris par son geste que je reste figé, toujours dans la même position, celle où je lui présente l’étendue de mes atouts personnels.

— Merci, dit-elle en appuyant ses mains gelées contre mon flanc droit.

En me redressant sur la pile d’oreillers, je blottis mon bras contre son dos pour la rapprocher de moi. Son corps en entier, aussi froid qu’un morceau de glace, se détend tranquillement alors que le mien se raidit comme jamais.

Un silence paisible s’installe entre nous, laissant le boucan des travailleurs toujours au resto prendre toute la place. J’ai la plus grande misère du monde à penser à autre chose qu’à cette femme presque nue dans mon lit. Curieusement, la panique ne se pointe pas. Comme si l’angoisse qui m’habite constamment m’avait donné congé pour vivre ce moment pleinement.

— Sebastian ?

Le son doux et mélodieux de sa voix brouille tout le self-control que je tente de conserver avec acharnement.

— Hum ? réponds-je en inspirant profondément pour dissimuler les tressautements de mon engin.

— Ceux qui t’ont fait ça… est-ce à cause de moi ?

— Je ne crois pas.

— Comment peux-tu en être certain ? Si personne ne sait qui je suis, peut-être suis-je quelqu’un de recherché ou même de dangereux ?

— Ça aussi, je ne le crois pas. T… tu dois comprendre, Mika, qu’ici, au Double Barrel, on traite de choses illégales. Plusieurs personnes pourraient nous vouloir du mal, à moi ou à mon frère.

Elle semble réfléchir à ce que je viens de lui balancer puisqu’elle garde le silence pendant un bon moment. Sa tête posée sur mon biceps droit se lève tranquillement pour trouver mon regard. Le vert pâle de ses iris ne m’est jamais apparu aussi étincelant, tandis que je remarque des petits éclats dorés autour de ceux-ci.

— J’ai eu peur pour toi, me souffle-t-elle.

— Ça va m… maintenant.

Un léger sourire égaye tendrement son visage alors qu’elle se blottit finalement contre mon buste à demi recouvert par l’attelle.

— Je te fais mal ?

— N… non. On devrait essayer d… de dormir.

— Avec tout le bruit en dessous ? Je ne crois pas que ce soit faisable.

— Tu as raison.

Je sens contre mon ventre une main délicate s’aventurer près de mon nombril. À la tonne d’images qui proviennent de mon imagination tordue, mon corps se crispe. Heureusement, Mika remonte ses doigts pour venir attraper une mèche de ma tignasse tombant sur le pansement de ma blessure. Heureusement ? Vraiment ?

— Tu as encore du sang séché dans les cheveux, dit-elle.

— J… je ne pourrai pas prendre de douche tant que j’aurai ça, lui réponds-je en bougeant légèrement mon bras invalide.

— Je t’aiderai.

Une multitude d’idées me traversent l’esprit à nouveau. Ça doit bien faire une heure que je suis bandé, maintenant ! Pourquoi est-ce que ça ne se calme pas, putain ?! C’est une chance que je sois assis et non couché, sinon Mika aurait la vue directe sur le chapiteau.

— Beryl a dit que le réparateur doit venir demain matin pour le chauffe-eau, tenté-je malgré tout pour changer de sujet.

— Bonne nouvelle.

— Mika ?

— Oui ?

— Pendant que j’étais dans les vapes, que faisiez-vous, mon frère et toi ?

J’ose enfin poser cette question que je refoule depuis la première seconde où elle est revenue dans mon loft. Elle me pèse au point où je m’étonne moi-même de l’avoir lancée sans bafouiller. La femme semble réfléchir pendant qu’en bas j’entends mon ami dire au revoir aux employés.

— Nous avons été au poste de police, puis chez lui, réplique-t-elle d’une voix hésitante qui me fait douter.

— D’accord. Est-ce que Wesley a été…

— Gentil ? Oui, le shérif était très gentil avec moi.

« Gentil dans quel sens ? » ai-je le goût de lui demander, mais mon peu d’assurance n’ayant jamais été mon allié, je vais devoir me contenter de ses réponses.

— Pendant que je marchais pour venir ici, j’ai eu comme des sortes de flashs.

— Ah oui ?

— Les édifices, les maisons, les magasins sont tous différents de ce que je crois être habituée de voir. J’avais l’impression que tout manquait cruellement de couleurs vives, que tout était trop sombre, comparativement aux teintes qui m’entouraient.

Sa peau métissée, son petit accent que je ne sais toujours pas déchiffrer, son intolérance au froid, quelque chose me dit que cette femme ne vient pas d’ici ni même du Canada. Je vais devoir en parler avec Wes… ou pas.

— Je me sens tellement…

Le murmure de ses paroles reste coincé dans sa gorge, comme si elle tentait de ravaler ses pensées, de peur que ses craintes ne reviennent. Je monte lentement ma main valide jusqu’à ses cheveux, qui commencent tout juste à sécher, puis caresse délicatement le sommet de sa tête. Son corps se détend aussitôt et elle entrelace l’une de ses jambes contre les miennes. Mon estomac se noue lorsque son genou frôle mon sexe. Je déglutis bruyamment.

— Mika…

À son nom, elle relève son splendide visage pour me contempler les yeux dans les yeux. Qu’est-ce qu’elle est belle !

— T… tu es en sécurité, maintenant.

Sans vraiment croire ce que je dis, je délaisse ses sublimes iris une fraction de seconde pour observer un instant le contour de ses lèvres pulpeuses. Elles semblent si douces, si tendres. Comme si, inconsciemment, son esprit répondait au mien, son audacieuse langue rose passe sur cette bouche parfaite pour l’humecter. Pour moi. Le moment d’après, Mika s’étire pour enfin déposer un baiser à la commissure de mes lèvres. À peine son geste est-il terminé que je pousse légèrement sa tête pour qu’elle recommence. Et là, comme si nous avions fait ça toute notre vie, nos langues se trouvent puis s’entremêlent délicieusement. Je l’embrasse avec une passion que je n’ai jamais ressentie auparavant. Comme un affamé qui n’a pas mangé depuis des années. J’ai faim d’elle et elle de moi. Sa jambe caresse maintenant mon membre gorgé de sang pendant que l’une de ses mains se cramponne à mon cou. Les petits couinements érotiques qu’elle lâche vont finir par avoir raison de mon excitation. Sa poitrine parfaite recouverte de ce soutien-gorge sans bretelle frotte lascivement mon torse tandis que l’humidité de son sexe contre ma hanche grimpe en intensité.

— Hum, hum…

Le raclement de gorge de Beryl depuis l’entrée nous fait tous les deux sursauter. Mika s’éloigne au fond du lit en remontant le drap jusqu’à son menton.

— Putain, Beryl, t… tu aurais pu…

— Ouais, j’aurais pu, mais je m’en fous.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Ton frère. Il la cherche, dit-il en pointant Mika du doigt. Il fait dire aussi qu’il sera là demain matin pour réceptionner la livraison spéciale et de ne pas t’en faire, qu’il se charge de tout.

L’expression sur le visage de mon ami est indéchiffrable. Comme s’il était triste, furax et jaloux en même temps.

— C’est OK, tu peux partir maintenant. Ah ! Je ne vais pas ouvrir le resto demain donc prends congé, tu veux ?

— …

— Merci pour aujourd’hui, Beryl. Bonne soirée.

Putain, mais pourquoi il reste là ? Il ne voit pas que je suis occupé, bordel ?

— Seb…

Une ombre ténébreuse semble passer devant son regard avant qu’il se ravise.

— … non, laisse tomber, ajoute-t-il.

Il pivote alors sur lui-même pour disparaître dans l’escalier en colimaçon sans que je sache ce qu’il voulait me dire.

— C’était vraiment étrange, lance Mika.

— Ouais, mais c’est Beryl, je ne m’inquiète pas trop pour lui.

Je tourne la tête pour admirer la douce et sublime créature qui squatte mon lit et probablement mes rêves. Ses paupières entrouvertes semblent lutter contre le sommeil. Je crois que la suite se déroulera effectivement dans mes songes…

— Allez, viens, on a besoin de dormir, dis-je en l’accueillant contre moi.

Un soupir de bien-être s’échappe de ses lèvres généreuses qui, il y a de ça quelques minutes à peine, étaient prêtes à m’engloutir fiévreusement. Son corps maintenant chaud se pelotonne comme s’il n’attendait plus que ce moment alors qu’elle plonge sa tête contre mon ventre ferme.

Aucune idée de comment je vais faire pour dormir alors que ma queue me supplie de la libérer de toute cette pression insoutenable… J’ai tellement envie d’elle, et quelque chose me dit qu’elle ressent exactement la même chose. Mais je dois être patient, ne pas la brusquer, y aller doucement pour éviter qu’elle me voie comme un prédateur sexuel. Cette inconnue, cette femme aussi belle que le jour et la nuit me rend plus vivant que jamais lorsqu’elle est près de moi.

Un sentiment lourd de sens quand on pense que je suis mort depuis vingt ans.