CHAPITRE 12
WESLEY
En me stationnant devant la grande demeure de Romanov, je tente de contenir la rage qui hurle à l’intérieur de mon corps. Elle m’enflamme le sang, risquant de me faire perdre la raison à défaut de détruire ce salopard d’enculé. Comment ai-je pu me laisser berner par ce chef de mafia alors qu’il m’a offert Mika comme gage de sa bonne foi ? J’imagine qu’elle n’était qu’une putain de diversion pour s’en prendre à la seule personne qui peut faire s’écrouler mon monde. Mon sang, mon frère, mon protégé pour qui je donne ma vie depuis vingt ans. Celui pour qui j’ai juré sur la tombe de mon père que je ne serais plus jamais faible. Et j’ai bien l’intention aujourd’hui de tenir ma promesse.
Alors que les premiers rayons de soleil percent l’horizon, je sors de la voiture avec mon holster sur les épaules, mes Glocks 45 à l’intérieur. J’ai aussi pris le soin de glisser dans mon dos mon Beretta 9 mm, le revolver de mon ancêtre. Cette arme ne me quitte que rarement. C’est également elle que j’utiliserai pour tuer celui qui tire les ficelles de ce merdier.
D’une démarche affirmée, je descends l’allée en fixant la devanture de la maison au bout. Si tout ne se passe pas comme prévu, je garde un plan de secours. Même si je suis du genre à foncer tête baissée, je ne suis pas con. J’assure mes arrières. Arrivant près de la porte, je frappe à grands coups avec la paume de ma main. Aussitôt, j’entends des voix à l’intérieur. Sûrement les sentinelles de cette organisation criminelle qui se croit tout permis sur MON territoire, MA ville. À peine quelques secondes plus tard, Alekseï, le bras droit et fils de Romanov, m’ouvre l’accès. Lorsqu’il me voit, ses yeux s’agrandissent de stupeur avant de crier quelques mots en russe dont j’ignore la signification, mais je m’en balance. Tout ce que je veux, c’est mettre la main sur celui qui me fait vivre un pur cauchemar.
J’avance un pied sur le seuil de l’encadrement alors que le jeune devant moi pose une main sur mon torse pour tenter de m’arrêter. D’un mouvement rapide, j’attrape son poignet pour le tordre adroitement dans son dos, ce qui le fait grimacer de douleur.
— Shérif Hunter ! aboie-t-il. Vous entrez sur une propriété privée. Vous n’avez aucun droit ici.
— Tu te trompes, grondé-je. J’ai tous les droits depuis que ton patron a tenté d’assassiner mon frère.
À son air hébété, je suppose qu’il ignore de quoi je parle. Et, puisque je n’ai pas l’intention de moisir ici, je le pousse sur le côté pour m’introduire dans la maison. À cette heure, je n’aurais pas tort de penser qu’il est encore au lit. Quelque chose me souffle de me concentrer sur les détails, mais la rancœur qui me pollue les vaisseaux me rend aveugle à toute tentative de raisonnement. Me dirigeant vers les escaliers, je ne me préoccupe pas de celui que je viens de tasser comme une poupée qui crie des ordres à l’intention du reste des membres de la mafia. Je n’ai qu’un objectif et j’avance sans m’arrêter. J’y suis presque, mes veines palpitent d’adrénaline le long de mes tempes. Je m’imagine insérer le bout de mon revolver dans la bouche de la putain de racaille qui a voulu mettre hors-jeu mon frangin. Connaissant l’endroit pour y être déjà venu dans le passé, je stoppe devant la pièce où je suppose qu’Andreï se terre.
Avant même que je puisse placer la main sur la poignée, la porte s’ouvre, me laissant affronter l’homme que je crois responsable de l’attentat de la veille.
— Mais pourquoi faites-vous tout ce bruit ? commence le chef russe.
Le temps s’arrête lorsque ses pupilles croisent les miennes ; j’ai l’impression qu’il ne comprend pas la raison de ma présence chez lui. Pourtant, ça devrait être limpide. Quand on tente d’organiser un meurtre, on doit s’attendre à des représailles de la partie adverse. Mais tout ce que je lis dans son regard est une totale ignorance. La voix de Hoyt me revient : c’est un pistolet russe. La fureur qui me consume m’empêche encore de raisonner convenablement. J’agis sans réfléchir davantage, attrapant le haut de sa robe de chambre, puis je le propulse contre le mur avant de l’immobiliser avec mon avant-bras sous sa gorge. Il tente de contre-attaquer, mais j’augmente la pression tandis que de mon autre main je sors mon Beretta que je pointe sur son ventre.
— Wes… ley, crache-t-il avec peine. Qu’est… ce… que… tu fais ?
Sa voix n’est plus qu’un sifflement ; le poids sur sa trachée empêche l’air d’atteindre ses poumons qui doivent brûler comme en enfer.
— HUNTER ! crie Alekseï. Lâche-le ou nous ouvrons le feu.
Un coup d’œil derrière moi me permet de constater qu’une quinzaine d’hommes au rez-de-chaussée sont prêts à m’éliminer d’une simple pression sur la gâchette. Je ne survivrai pas à une attaque de cette envergure.
— Dernière chance, Shérif, lance-t-il d’une voix méprisante. Nous n’hésiterons pas à faire feu. T’as trente secondes pour le laisser aller.
Trente secondes, c’est suffisant pour mettre fin à ses jours. Mon instinct de survie prend le dessus ; je range mon arme, sors mon téléphone et m’apprête à appuyer sur une touche de rappel. Je dois mettre mon plan de secours en branle avant que leurs balles percutent ma peau. Levant la tête, je croise à nouveau les yeux de Romanov qui ne semble pas comprendre pourquoi je lui en veux autant. Mon bras maintenu sous son menton l’empêche de poser la question ; une cyanose apparaît autour de sa bouche. Lâche-le, me souffle ma conscience. Si tu meurs, plus personne ne prendra soin de ton p’tit frère.
— Si tes hommes font feu, je vais quand même avoir le temps de peser sur cette touche et toute la cavalerie de police arrivera dans moins d’une minute. Lorsqu’ils me verront me vider de mon sang, aucun de vous ne pourra éviter la prison. C’est ce que tu veux pour ta famille, Romanov ? Hoyt et les renforts ne sont qu’à deux rues d’ici ; ils attendent mon appel. S’il n’a pas de nouvelles de moi dans exactement trois minutes quarante-sept secondes, ils viendront défoncer cette porte pour procéder à vos arrestations.
Cette fois, je ne bluffe pas. J’en ai assez de cette vie de merde de toute façon, alors le fait qu’ils croupissent derrière les barreaux ne me fait ni chaud ni froid. À mon air déterminé, le chef devant moi comprend que j’ai raison. Lentement, il lève la main pour faire reculer ses sbires.
Un homme coupable ne recule devant rien ; il éliminera la menace avant que celle-ci le tue. Donc pourquoi ne leur fait-il pas signe d’attaquer ? Je croyais devoir me battre corps et âme pour venger ma famille, mais il se rétracte. Et s’il était innocent ? Putain, Wes ! Réfléchis correctement. T’es flic, bordel ! Alors que les sous-fifres de Romanov se replient en gardant leurs armes près d’eux, j’analyse les événements depuis l’instant où j’ai frappé à la porte. Celui qui prend la place de son bras droit m’a répondu en pyjama, tandis qu’Andreï, qui cherche encore son souffle, dormait profondément dans son lit. Tournant la tête, je plante mon regard dans celui de chacun des hommes qui sont encore là, refusant de laisser leur chef en position de faiblesse. Tous, sans exception, ont des marques de sommeil sur le visage et sont pieds nus. Malgré la hargne qui traverse leurs regards fixés sur moi, ils respectent la décision du patriarche. Celui-là même qui me supplie de lui épargner la vie. Il serait prêt à me laisser le tuer pour que son clan soit libre. Sa famille… Un homme innocent peut très bien dormir sur ses deux oreilles tandis que celui qui a du sang sur les mains se préparerait à parer mon attaque. Ce ne sont pas eux les coupables que tu cherches, Wes…
Alors que cette pensée traverse mon esprit, je relâche la pression sur sa gorge. Mon instinct me dit que je prends la bonne décision. La première goulée d’air qui s’infiltre dans ses poumons provoque une quinte de toux qu’il peine à maîtriser. Rendues faibles par le manque d’oxygène dans son corps, ses jambes menacent de le faire s’écrouler par terre. Pour rattraper la bourde monumentale que je viens de commettre, je passe mon bras autour de sa taille pour le supporter. Il s’appuie sur mon épaule tout en se concentrant pour respirer normalement.
— Alekseï, appelle-t-il avec une voix rauque.
Des pas dans les marches confirment que son fils nous rejoint. Inquiet, il soutient son père en me lançant un regard meurtrier. C’est entièrement mérité, je le lui accorde !
— Wesley, souffle Romanov. Nous devons parler. Attends-moi au salon pendant que je me rends présentable.
Je hoche la tête avant de redescendre au rez-de-chaussée. Accompagné du reste de ses hommes, je vais patienter dans la pièce spécifiée. J’en profite pour envoyer un texto à Hoyt pour lui assurer que tout va bien. Personne ne mourra ce matin ; s’il avait voulu me buter, je le serais déjà à l’heure qu’il est. Dix minutes plus tard, maximum, le chef de la mafia russe, dans toute sa splendeur, entre en m’affrontant d’un air que je lui connais si bien : de la supériorité agaçante.
— Maintenant, dit-il froidement en se dirigeant vers le fauteuil en cuir brun, tu m’expliques pourquoi tu chamboules une journée où j’avais décidé de faire la grasse matinée ? Quelle loi ai-je encore enfreinte ?
Soupirant, je passe ma main dans mes cheveux, tentant de rassembler mes idées. Puis, n’ayant d’autres choix que de le mettre au courant des derniers événements, je m’assois en face de lui pour raconter l’attaque contre Sebastian. Au fur et à mesure que je révèle les faits, ses sourcils se froncent de contrariété.
— Tu te rends compte que celui qui a commis ces actes veut nous faire porter le chapeau ?
— Et si c’était ta façon de me faire croire que tu es innocent ?
Je me dois de poser la question parce qu’il existe toujours un infime doute dans mon esprit, et je ne commettrai pas l’erreur de le croire sur parole.
— Wesley, soupire-t-il, fais-toi le plaisir de fouiller mes armes. Ironiquement, aucune d’elles n’est d’origine russe. Ne me demande pas pourquoi, mais mes préférences sont ailleurs.
Un rapide coup d’œil me confirme que les pistolets que tiennent toujours ses hommes sont très différents du modèle que mon spécialiste m’a envoyé sur photo.
— Puis, je ne suis pas ton adversaire, Shérif ! Je crois même que c’est le moment de te dire que nous avons un ennemi commun. Si je suis dans l’impossibilité d’entrer dans une guerre qui détruirait tout ce que je possède, toi, en revanche, tu as le pouvoir de mettre un terme à l’emprise qu’il a sur nous.
— Mais bordel ! m’exclamé-je. De qui est-ce que tu parles ?
— Tout ce que j’ai trouvé, c’est que tu as en ta possession la clé pour le détruire.
— Romanov ! grondé-je en me levant. J’en ai assez des devinettes ! Qu’est-ce que t’essaie de me dire ?
Celui qui était prêt à m’offrir sa vie pour que j’assouvisse ma colère se lève et s’approche de moi. Aussi faible qu’il fût plus tôt, il est maintenant imposant lorsqu’il fixe ses iris aux miens. La sévérité du moment me surprend tandis que son fils vient poser une main sur mon épaule, m’obligeant à écouter ce que le ruskof a à me dire.
— Les gens ici présents sont tous de ma famille, je tiens énormément à eux. J’en ai suffisamment perdu ces derniers temps pour ne pas rester les bras croisés à attendre qu’ils meurent. J’ai besoin de ton aide.
— En quoi puis-je t’être utile ? répliqué-je, plus curieux que je veux bien l’admettre.
— Tout ce que je peux te dire est que le corps que tu as trouvé près de la berge est celui de mon neveu et que celui qui lui a fait ça est le même qui a assassiné ton père il y a vingt ans.
— Quoi ? soufflé-je, estomaqué.
— Charles Hunter était un homme respecté de mon clan ; nos affaires étaient alors florissantes comme elles le sont avec toi. Nous ne voulons pas que ça change. Continue seulement d’enquêter et les indices te mèneront à lui.
— Qu’est-ce qui me prouve que ce corps non identifié est l’un des vôtres ? C’est peut-être l’un de vous, l’assassin…
— Alekseï, montre-lui ton tatouage.
Son fils se retourne en soulevant son chandail. Là, dans son dos, est dessiné le symbole russe du marteau et de la faucille. Il semble identique à la partie visible du tatouage sur le macchabée.
— Chacun de mes hommes porte fièrement le tatouage de ma famille, m’explique Romanov. J’ose croire que tu l’as vu sur le corps du défunt.
Abasourdi par les révélations de l’homme qui m’irrite au plus haut point, je hoche la tête en étant incapable de dévier mon regard de la sincérité de ses yeux. Les indices qui te mèneront à lui. Ces simples mots me prouvent qu’il sait très bien qui est le meurtrier de mon paternel. Tout comme son air inébranlable me confirme qu’il ne me dira rien de plus. Putain de Russe de merde ! Quel choix me reste-t-il ? Faire mon boulot, voilà ce qu’il me reste ! Mais puis-je lui faire confiance ?
— Tu me dis que je dois simplement continuer mon travail ?
— Oui.
— Si je t’aide, qu’est-ce que ça m’apporte ?
— Nous trouverons pour toi ceux qui ont tenté d’abattre Sebastian.
— Et vous me laisserez leur régler leur compte ?
— Si c’est ce que tu souhaites…
Andreï Romanov avance la main dans ma direction tandis que la paume de son fils lâche mon épaule pour se placer aux côtés de son chef. Songeant à la possibilité qu’il puisse aisément me rouler dans la boue, j’envisage quand même d’accepter cet accord. Je risque de le regretter, mais je n’ai pas d’autres idées de génie pour l’instant.
— T’arrêtes de me faire chier en tentant de contourner les règles avec Seb et j’accepte.
— Marché conclu.
Dans un mouvement fluide, j’attrape sa main pour sceller un partenariat entre moi, le shérif-qui-se-croit-intouchable, et lui, le mafieux-qui-me-fait-suer en me cachant une vérité qui pourrait assurément alléger mes souffrances.
Après avoir quitté le domicile de Romanov, je suis passé au poste. J’ai hésité entre retourner m’allonger auprès de Mika ou tenter de trouver d’autres indices sur ce foutu meurtrier qui peuple mes nuits depuis trop longtemps. Me disant que la jolie femme qui monopolise mon appartement ne voudrait pas de mon humeur de merde, je suis allé travailler.
Hoyt est venu quémander des détails dès mon arrivée. Me sentant coupable de l’inclure dans mes actions louches et malhonnêtes, j’ai choisi de le mettre dans la confidence. Il m’a surpris en me disant qu’il avait des soupçons sur mon comportement pas totalement réglo, que tant que j’étais capable d’assurer la sécurité de la ville en essayant de garder les gens innocents en vie, il n’y voyait aucun inconvénient. Il est même prêt à me seconder lorsque j’aurai besoin de lui. En l’entendant me dire qu’il était derrière moi, j’ai eu l’impression qu’un poids immense quittait mes épaules. Difficile d’admettre que je n’arrive plus à tout gérer seul. Je suis d’accord que Seb m’aide avec la réception des marchandises, que Bennet s’occupe des cadavres non identifiables, mais il y a tellement plus que ça. Couvrir les règlements de comptes me pue au nez. J’ai bien besoin d’un ami dans toute cette merde. J’ai foi en lui. Qui n’aurait pas confiance en un homme qui peut démonter et refaire une arme plus vite que son ombre !?
Lorsque je sors du bureau, le soleil a déjà entrepris de descendre à l’horizon. Souriant, j’embarque dans ma voiture pour rouler jusqu’à chez moi. Depuis quand suis-je aussi heureux de rentrer à la maison ? Depuis qu’une femme magnifique s’y trouve. Ce soir, je ne serai pas seul à affronter mes démons. Je pourrai enfouir mon nez dans la douceur de ses cheveux. Peut-être même lui dire à quel point elle est belle. L’embrasser encore… À cette pensée, ma queue pulse sous ma ceinture. Si elle me le permet, cette fois, je ne me retiendrai pas de vénérer son corps comme j’en meurs d’envie. Lécher sa peau pour me rassasier de son goût, la faire jouir jusqu’à faire trembler les murs de la chambre. Juste à m’imaginer me glisser entre ses jambes, je dois retenir un gémissement. Les mains frémissantes, j’insère la clé dans la serrure de la porte avant d’entrer en anticipant sa présence.
Un pas… deux pas…
— Mika ? dis-je doucement.
Seul le silence me répond.
— Mika, t’es là ? répété-je plus fort.
En regardant dans toutes les pièces, je réalise qu’elles sont vides. Elle est partie. Mon appartement est plus silencieux que la tombe de mon père. Mon lit est refait, aucun pli sur les draps, comme si elle n’y avait jamais dormi. Je survole mon portable pour voir si j’ai manqué l’un de ses appels. Aucun. Elle avait pourtant mon numéro… Qui voudrait d’un homme qui part sans rien dire ? D’un homme qui la laisse seule dans un endroit inconnu alors qu’elle est désemparée par l’incident dont elle a été témoin ? Personne. Mais où peut-elle être allée ? Au seul endroit qu’elle connaît.
Après avoir composé le numéro de Sebastian, la voix bourrue de Beryl me répond :
— Ouais, il est réveillé ! lance-t-il d’entrée de jeu.
— Bordel, Beryl ! Je t’avais demandé de m’appeler à la seconde où il ouvrirait les yeux.
— Il avait besoin d’aide avant. J’allais le faire, mais une…
— Il va bien ? le coupé-je.
— Hum… ouais.
— Beryl ! T’es pas convaincant !
— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Il respire, il parle, et pour quelqu’un qui a eu une balle dans l’épaule, il va bien.
— OK. T’aurais pas vu une fille par hasard ?
— Du genre peau mate, cheveux bouclés, un accent latino ?
— Ouais, dans le genre.
— Donc, c’est la copine de Seb que tu cherches ; elle est là-haut !
La copine de Seb. Un léger pincement au cœur me fait grimacer malgré moi. Je devrai m’y faire puisque c’est la couverture qu’ils ont trouvée pour expliquer sa présence. L’important, c’est qu’elle soit en sécurité. Mais elle n’est pas avec toi. Personne d’autre ne devrait se pointer cette nuit ; j’ai ordonné à mon adjoint de faire le guet jusqu’au matin. Je lui ai dit que des petits branleurs avaient détruit les vitrines du resto et qu’il aurait une prime s’il réussissait à les coincer. Il faut ce qu’il faut pour couvrir les malfrats.
— D’accord. Dis-lui que je ferai la réception demain matin et qu’il se repose.
— Je lui transmets le message.
— Euh… et merci de t’être occupé de lui.
— J’en ai l’habitude. De toute façon, on ne laisse pas un ami dans le pétrin.
Mettant fin à la communication, je m’affale sur le sofa, devant la télé. Avec le souvenir de la veille, je préfère être prêt à toute éventualité. Les jambes sur la table basse, la tête contre le dossier, mon arme près de ma cuisse, je sombre dans un monde où la torture n’a plus aucun secret.
M’éveillant en sursaut, j’attrape mon fusil avant de me lever d’un bond. Le pointant droit devant moi, je constate que seule la sonnerie de mon téléphone retentit dans le silence du matin. J’ai expressément mis une alarme pour pouvoir faire la réception de la marchandise. Grognant parce que je n’ai pas pu récupérer tout le sommeil qui manque à mon corps, je passe à la salle de bain me brosser les dents et vider ma vessie sur le point d’exploser. Puis, retrouvant ma veste dans l’entrée, je me rends au Double Barrel. Il me reste une heure avant que le bateau n’accoste. Aussi bien aller voir comment se porte mon petit frère.
Je grimpe les marches deux par deux. Le fait de m’assurer de mes propres yeux qu’il va bien me redonne un regain d’énergie. Et j’avoue que de la revoir, elle, y est aussi pour quelque chose. Comme à mon habitude, je frappe deux coups rapides avant d’ouvrir la porte. J’avance de quelques pas et active la lumière de la grande pièce. Mes yeux font le tour par le canapé ; je m’attends à l’y voir allongée confortablement, mais il n’y a personne. Et là, à cette seconde, malgré les avertissements de mon frère, je redoute le pire…
Je fais un pas de plus et mon regard tombe sur deux corps enlacés dans le lit. Sebastian est torse nu, son bras est placé autour du corps de Mika qui semble… Putain de bordel de merde ! Il n’a pas osé ? Je l’avais pourtant mis en garde. Mais pourquoi m’aurait-il écouté ? Elle est belle, sensuelle et tellement attirante. Comment pourrait-il ne pas être séduit par une telle femme ? C’est simplement impossible. Ils semblent paisibles, comme si, l’un contre l’autre, rien ne pouvait les atteindre. Même si j’étais heureux que Seb ait quelqu’un dans sa vie, je ne peux pas imaginer que ce soit elle. Pas avec ce que je ressens en sa présence.
Dois-je les réveiller ou non ? Je m’apprête à faire du bruit pour mettre fin à cette vision d’eux qui me broie l’estomac, mais Mika bouge dans son sommeil et glisse sa paume sur le thorax de mon frère. Un geste familier, empreint de douceur, qui me donne la nausée. Pourquoi est-ce que je m’inflige ça ? La boule dans mon ventre menace d’exploser ; avant de commettre un acte que je regretterais, je ferais mieux de partir. Silencieusement, je quitte le loft. La déception et la jalousie s’infiltrent dans chacun de mes pores de peau. Elles percent profondément mes cellules, me donnant envie de briser quelque chose devant moi. Je dois libérer cette tension qui s’accumule avant de remonter à l’étage pour faire une putain de connerie.
C’est en traversant la cuisine que j’entends du bruit provenant de la salle de repos. Personne ne devrait être ici à cette heure. Il me semble que le resto est fermé aujourd’hui, il y règne un bordel sans nom. Un cambrioleur peut-être ? Enfin quelqu’un sur qui me défouler ! M’armant de mon revolver, j’avance jusqu’à la source du raffut. Quelqu’un jure derrière la porte. L’adrénaline libérée dans mon corps, j’entre aussitôt en attrapant le bras de l’individu pour le plaquer contre le mur. Le bout du fusil sous son menton, je siffle :
— Je te donne cinq secondes pour décliner ton identité.
— Wes ? souffle une voix douce.
Une voix de femme. De mon bras gauche, j’ouvre la lumière de la petite pièce tout en la gardant en joue. Devant moi se tient Anne, les yeux écarquillés de peur. Je jure tout bas avant de baisser mon arme. Elle lève sa paume à son cœur, sûrement pour tenter de faire diminuer ses battements frénétiques. Je suis son mouvement en remarquant qu’elle ne porte qu’un jogging et un léger débardeur, ses seins pointant effrontément alors qu’un frisson de frayeur parcourt sa peau. Sa chevelure blonde tressée tombe sur son épaule droite, elle mordille nerveusement sa lèvre inférieure. Cette vision m’oblige à ravaler un grondement.
— Anne ! dis-je tout bas en tentant de reprendre la maîtrise de mes sens. Mais qu’est-ce que tu fais ici ?
— Je suis désolée, mais Beryl m’a appris ce qui s’est passé. Je voulais venir nettoyer pour donner un coup de main.
— Tu te rends compte que j’aurais pu te tuer ou te faire du mal ; je croyais que c’était…
Incapable de terminer ma phrase, je range mon arme puis passe ma main dans mes cheveux désordonnés. Je ne me serais pas pardonné si je l’avais frappée avant de savoir qui avait osé s’infiltrer dans le resto sans préavis. Seigneur ! Même Sebastian m’aurait passé un savon.
— Wes… murmure la jolie serveuse en glissant sa paume sur ma joue. Ça va, je n’ai rien. Tu ne m’as pas blessée.
— Je sais, mais j’aurais pu.
— Peut-être, mais ce n’est pas le cas. Relaxe ! T’es tellement tendu que tu trembles…
Je ne m’étais pas rendu compte que mon corps supporte très mal toutes ces émotions qui prennent possession de ma tête autant que de mon cœur, ces derniers jours. Si, par miracle, ce dernier tient bon, mon esprit est sur le point de me rendre fou…
— T’as besoin de relâcher la pression, continue l’employée sexy de mon frère, et je sais très bien comment t’aider…
Je n’ai pas le temps de comprendre ce qui se passe qu’elle plaque ses lèvres contre les miennes. D’abord doucement, jusqu’à ce que ma bouche s’ouvre pour l’inviter à continuer. Putain ! Qu’est-ce qui me prend ? Ce n’est pas le moment pour s’envoyer en l’air. Mais bordel, c’est tellement bon ! Fait chier ! Je dois réceptionner la cargaison dans peu de temps. Sans la brusquer, je la repousse en tentant de trouver les mots justes pour ne pas la blesser.
— Anne, je t’en prie, je ne…
— Wesley ! m’interrompt-elle. Je sais qu’il n’y a rien entre nous. T’es tendu ; un orgasme est ce qu’il y a de mieux pour repartir à neuf. Ce n’est que du sexe. Puis, t’as qu’à te laisser faire…
Où est la serveuse qui se cache habituellement derrière un air intouchable, quoiqu’aimable ? Il y a, devant moi, une femme séduisante et déterminée à me donner ce qui pourrait bien être le remède à toute cette pression ; elle va me faire craquer. La lueur machiavélique qui passe à l’instant dans ses iris bleus lorsqu’elle réalise qu’elle est sur le point de gagner la partie déclenche un besoin primaire, animal. Ses mamelons semblent s’offrir à moi en étirant le tissu de son vêtement. Ils me font peser le pour et le contre.
— Allez, Wes, laisse-toi aller ; nous ferons ensuite comme si rien ne s’était passé, promis…
Malicieusement, Anne glisse sa paume sur mon sexe qui, bien malgré moi, est déjà prêt à entrer en action. Mon corps me hurle de libérer tout ce que je tente de retenir à l’intérieur. Mon esprit me repasse la vision de ceux qui dorment encore au-dessus de ma tête. Je serre les dents au moment où je sens ses doigts tirer sur la boucle de ma ceinture. Je grogne en me disant que j’analyserai mes états d’âme plus tard ; je suis sur le point de céder. Mes pulsions ont besoin d’être assouvies, maintenant, et l’offrande sous mes yeux me prie silencieusement du regard de la laisser mener la danse…
Abdiquant, je glisse une main derrière sa nuque pour l’attirer vers moi en posant brutalement ma bouche contre la sienne. M’embrassant comme si sa vie en dépendait, la femme aguichante que je ne reconnais plus me pousse jusqu’à ce que mon dos frappe le mur derrière moi. D’un geste adroit, elle ouvre mon jeans avant d’y glisser ses doigts pour attraper ma queue en érection. Continuant ses mouvements de va-et-vient, elle laisse descendre ses lèvres le long de ma mâchoire, arrive à mon cou. J’ai la sensation que ses mains sont partout sur ma peau. J’ai presque peur lorsque je me rends compte que mon corps souffre de cette carence que je lui impose depuis que j’ai rencontré Mika ; j’ai vraiment besoin de baiser. Nymphomane…
Je comprends seulement ce qu’elle s’apprête à faire lorsque cette femme sexy tombe à genoux au sol et baisse mon pantalon par la même occasion, libérant ma verge impressionnante.
— Anne, tenté-je de l’arrêter.
— Pas un mot, Wes… laisse-toi simplement aller.
Il faut que je m’impose davantage. Cependant, les mots refusent de sortir de ma bouche lorsque la sienne entre en contact avec mon gland qui pulse d’approbation. Sa langue glisse sur ma veine proéminente avant qu’elle me prenne complètement entre ses lèvres. Putain de bordel de merde ! Je laisse tomber ma tête vers l’arrière en inspirant un grand coup. Ses gestes sont précis, me laissant penser que ce n’est pas sa première pipe. C’est tellement bon ! J’échappe un grognement de plaisir quand ses joues se creusent, emprisonnant ma queue entre elles. Ne pouvant m’en empêcher, je glisse mes mains dans ses cheveux, l’agrippe fermement et donne un puissant coup de bassin. Elle gémit tout en m’empoignant aussitôt les fesses. Prenant sa réaction pour un accord, j’y vais une seconde fois. Puis, une troisième. Lorsque sa langue tourne autour de mon sexe, j’oublie tout et lui baise la bouche jusqu’à ce que des points de lumière flottent devant mes yeux. Au moment où j’explose, un râlement m’échappe et tout ce que je souhaite, c’est que le sentiment qui m’oppresse la poitrine disparaisse. Mais quand je croise des iris bleus satisfaits, je ferme les paupières en me disant que je viens de faire une belle bourde. J’ai franchi une limite que je m’étais imposée : ne pas succomber aux employées de mon frère.
Anne se relève, essuie le coin de sa bouche, dépose ses lèvres délicatement sur les miennes puis murmure :
— On fait comme si rien ne s’était passé, mais je dois te dire que t’es foutrement bien monté, monsieur le shérif !
Je suis sur le quai depuis seulement quelques minutes quand je vois le bateau au loin. Finalement, je ne regrette pas ce qui s’est passé dans la salle de repos. Ironiquement, je me sens très détendu et prêt à faire avancer les choses. J’ai l’impression d’avoir les idées beaucoup plus claires. J’ai décidé que j’allais me battre pour obtenir ce que je veux. Mais qu’est-ce que je veux, au juste ?
Attrapant la corde que le capitaine me tend, je l’amarre au poteau de bois. N’en pouvant plus de me tourner les pouces, j’aide finalement les hommes de Romanov à décharger leur cargaison. Une fois les boîtes transportées dans leur camion stationné devant le resto, Alekseï m’offre une poignée de main que j’accepte.
— Depuis quand tu aides la mafia dans leur réception de marchandises ? dit une voix familière derrière moi.
— Depuis que t’es blessé et que t’arrives pas à te torcher toi-même ! répliqué-je à mon frère.
L’image de Mika et lui blottis sous la couverture clignote comme un panneau de néon fluorescent, c’est pourquoi je n’ai pas pu m’empêcher de l’emmerder un peu. Il reste mon frangin malgré tout, alors je souris lorsqu’il me répond :
— Non, mais quand même, j’arrive à le faire ! Bon, j’avoue que c’est difficile d’une main, mais j’y parviens.
— T’es debout depuis longtemps ?
— Non, la sirène du bateau m’a réveillé.
— Alors, tant mieux ! Sers-nous un café, il faut qu’on parle !
L’entraînant à l’intérieur du resto, je le tire en cuisine tout en me préparant mentalement à lui révéler la majeure partie de toute cette merde que je dois gérer depuis la mort de notre père. Nous devons impérativement avoir un plan de sécurité.