CHAPITRE 25
MIKA
Assise sur un fauteuil berçant, je regarde à l’extérieur. Incapable de réfréner mon envie de mordiller ma lèvre inférieure, je la malmène en regardant la lune éclairer la rue en contrebas. Nous sommes au beau milieu de la nuit, mais les derniers événements m’empêchent de trouver le sommeil. Tout comme celle qui me sourit en me tendant une tasse de tisane que j’accepte volontiers.
— Difficile de dormir avec tout ce qui vient de se passer, murmure Anne.
— Ouais…
— Encore plus difficile d’éteindre ces souvenirs que tu avais oubliés…
J’esquisse un sourire à travers les larmes qui coulent silencieusement sur mes joues. En me repassant la scène, une douleur me vrille le crâne. « Tu fais moins le malin, hein ?! » dit l’homme de main de mon père avec un accent que je reconnaîtrais entre mille. Les souvenirs ont commencé à affluer, tellement rapidement que j’ai dû refréner un haut-le-cœur. En constatant que les Hunter n’avaient plus le dessus sur la bagarre en cours, je me devais de les aider. Ces deux frères qui ont assuré ma sécurité sans jamais rien me demander, excepté la vérité. Ces deux hommes qui m’ont juré de me redonner une vie. C’est la raison pour laquelle je ne me suis pas défendue lorsque l’un des larbins de mon père m’a attrapée par le bras..
— Tu souhaites en parler ? me souffle Anne.
Bon sang, cette magnifique blonde qui s’installe en face de moi est tellement belle. Elle m’a avoué être célibataire depuis plusieurs années alors qu’elle semble vouer sa vie à être présente pour les Hunter. Et je comprends pourquoi. Comment ne pas vouloir être à leurs côtés ? Ils dégagent quelque chose de puissant, quelque chose qui nous pousse à nous accrocher.
— Tu connais Wesley et Sebastian depuis longtemps ? me risqué-je.
— Hum… ouais. Je travaille au resto de Seb depuis son ouverture. Je m’y plais beaucoup, c’est un gentil garçon.
— Tu parles comme si tu étais beaucoup plus âgée alors que tu sembles si jeune.
Un sourire apparaît sur son visage avant qu’il ne disparaisse aussi rapidement. Est-ce que je l’ai vexée ?
— Je ne voulais pas… balbutié-je. Enfin, je ne voulais pas être impolie.
— Non, ça va. J’ai toujours été auprès de Sebastian, je le considère comme un p’tit frère. Et je n’ai que quelques années de plus que lui.
— Et Wesley ?
— Wes est plus inaccessible, il…
Suspendue à ses lèvres, j’attends qu’elle termine ce qu’elle a à dire. Peut-être qu’ainsi je pourrai confirmer ce que je ressens réellement à l’intérieur de moi. Mais alors qu’elle entortille ses doigts tout en mordillant l’intérieur de sa joue, elle ne semble pas vouloir aller plus loin.
— Mais peu importe, reprend-elle. Wesley est le shérif de cette ville, il a beaucoup de boulot et une relation autre qu’avec lui-même… ce n’est pas vraiment ce qu’il cherche. Il est concentré sur la sécurité de la ville ; ç’a toujours été le plus important. Puis, ces deux frères ne sont pas les plus faciles à gérer.
— Je sais. Je suis d’autant plus heureuse d’être tombée sur eux, qu’ils aient été là tous les deux pour moi. Je… j’ai…
Sans préavis, un sanglot remonte dans ma gorge, m’empêchant de poursuivre. J’ai peur. S’ils n’avaient pas été là, je serais sûrement morte à l’heure qu’il est. Je n’aurais pas hésité une seule seconde à crever pour eux un peu plus tôt, mais maintenant je crains de les perdre. En la présence de ces hommes, je suis plus vivante que je ne l’ai jamais été de toute ma vie. Si je me sens protégée aux côtés du shérif, je me sens aimée et accomplie auprès du cuisinier. Sebastian me fait éprouver des émotions que j’ai envie de chérir à chaque heure qui passe. Tout ce qui m’a été refusé avec tant d’ardeur se tient là, dans le creux de ses bras. Et maintenant, j’ai l’impression d’être coupable d’avoir laissé Wesley penser qu’il y avait de l’espoir entre nous. À la façon dont il a agi dans la cuisine quelques heures auparavant, je crois qu’il avait déjà compris ce que j’ignorais encore. Ce qui s’est imposé à mon esprit alors que j’ai aperçu le canon du revolver sur la tête de Sebastian. Je suis amoureuse de lui…
— Hey ! dit doucement la jolie serveuse. Je suis là. Il ne t’arrivera rien ici.
— Je sais, j’ai confiance en toi. Mais je suis épuisée.
— Alors prends mon lit, je vais rester sur le canapé en attendant que les Hunter reviennent.
Je hoche la tête avant de me lever pour prendre la direction qu’elle m’indique. Une fois dans la chambre, j’attrape le plaid au pied du lit, puis je m’allonge par-dessus les couvertures. Le jeté sur mes épaules, je tente de fermer les yeux. Je me revois à huit ans, saluer ma mère de la main tandis qu’un homme ressemblant trait pour trait à Wesley discute avec elle en la regardant avec convoitise. Leur père qui courtisait ma mère. Un sourire sur mes lèvres, je sombre profondément lorsque j’ai la sensation que des yeux gris tempête veillent sur moi en pensée. Pourvu qu’il ne lui arrive rien.