Thèse de la « communauté internationale »

Au début des années 1990, la disparition de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide suscitent de nombreux espoirs. La démocratie qui, dans la décennie 1980, a déjà gagné du terrain en Asie et en Amérique latine, s’établit en Europe de l’Est et semble devoir progresser partout dans le monde. Les membres permanents du Conseil de sécurité agissent de concert lors de la guerre d’Irak (1990-1991) et utilisent pour la première fois la force selon les règles de droit prévues par la Charte des Nations unies. La notion de « communauté internationale » semble prendre corps. La sécurité collective n’est plus illusoire. Le président George Bush (père) célèbre l’événement d’un nouvel ordre mondial fondé sur une communauté « universelle d’États libres et souverains, le règlement négocié des conflits et les droits de l’homme ». Le politologue Francis Fukuyama soutient que les oppositions idéologiques ont disparu, et avec elles les risques d’affrontements, et il annonce la « fin de l’Histoire ». Le modèle libéral occidental n’est plus contesté même s’il n’est pas, ou pas encore, appliqué universellement. Parallèlement à la disparition du clivage bipolaire du monde, la « mondialisation » prend corps. Les progrès techniques contractent le temps et les distances, multiplient les capacités nouvelles de production, permettant une élévation générale des niveaux de vie. Les frontières s’effacent au profit des échanges libérés, multipliés et facilités sur le plan commercial au bénéfice de la circulation des idées, des hommes et des capitaux. Le libéralisme, économique et politique, et le progrès technologique se renforcent l’un l’autre.

Pour les partisans,
l’économie de marché globale
est un facteur de progrès pour tous

Les technologies de l’information donnent des capacités aux individus leur permettant de s’affranchir des anciennes barrières. L’information devient accessible à tous.

Ses partisans estiment que l’économie de marché globale assure progrès pour tous – un système win-win où tout le monde est gagnant – et qu’elle est le vecteur à l’échelle mondiale de l’extension de la démocratie et de la prospérité.

Selon Thomas Friedman, éditorialiste de politique étrangère américain et chantre de la mondialisation, le monde est « plat » car la révolution numérique accélère le processus de globalisation en abolissant les frontières commerciales et politiques. Ce ne sont plus les États ou les firmes qui entrent en relation et ou en concurrence, mais directement les individus qui forment des réseaux via Internet.

Le marché de l’emploi se dénationalise et se mondialise. L’ordinateur personnel permet à chacun de produire ses propres documents numérisés (textes, photos, musiques, etc.). Et, pour un coût quasi nul, Internet permet l’accès instantané à une information globale, illimitée, aux formats numériques : les médias traditionnels sont violemment concurrencés ; les individus acquièrent un pouvoir considérable. Les partisans de cette thèse en concluent que, malgré le phénomène de terrorisme également facilité par la globalisation en réseau, les risques de conflits géopolitiques graves deviennent moins importants. La mondialisation des chaînes d’approvisionnement, les nouvelles chaînes de valeurs, rend insupportable le coût d’une guerre en raison de la rupture des échanges commerciaux qu’elle suppose.

Ainsi dans les relations entre la Chine et Taïwan ou l’Inde et le Pakistan, les intérêts économiques conduiraient ces adversaires à collaborer malgré leurs intérêts géopolitiques antagonistes.

La globalisation en réseau facilite
le terrorisme mais limite les risques de conflits graves

Selon les tenants de cette thèse, les causes des conflits existants tiennent surtout aux inégalités dans l’accès à la mondialisation. Mais la généralisation de celle-ci, comme la démocratisation et la libéralisation de l’économie, devrait atténuer les tensions existantes. Friedman reconnaît simplement qu’il existe un monde « non plat », la moitié de la planète encore exclue des « avantages » de la globalisation. La « fracture numérique », concerne ainsi les pays les moins avancés mais existe également au sein des pays émergents : moins de 20 % des Indiens ont accès à Internet aujourd’hui.

En tout cas, les régimes autoritaires, pas encore ou pas vraiment démocratiques, seraient sur la défensive et la démocratie gagnerait inexorablement du terrain. Sauf en Corée du Nord, les gouvernements ont perdu le monopole sur l’information. La démocratie n’est pas un phénomène universel, mais partout le pouvoir des opinions publiques se renforce, et les sociétés civiles affirment à des degrés divers, selon leur histoire particulière, leur puissance.

Cette conception « mondialiste globale » a du mal à prendre en compte les causes classiques des conflits, et répugne à admettre la persistance des phénomènes identitaires.