Thèse du « clash des civilisations »

Après la « chute » du mur de Berlin, en novembre 1989, et la dissolution de l’URSS, en décembre 1991, un vent d’optimisme submerge l’Occident. Un « nouvel ordre international » va naître, les « valeurs universelles » vont inspirer la « communauté internationale ». Cela va être, selon l’analyste Francis Fukuyama, la « fin de l’Histoire » faute de désaccords et de combattants.

Autre expert réputé des relations internationales, Samuel Huntington prend le contre-pied de cet idéalisme. Il alerte au contraire sur un risque de clash entre huit civilisations ne partageant pas les mêmes valeurs ; et notamment entre les civilisations occidentales, islamique et confucéenne (les cinq autres étant selon lui la latino-américaine, l’africaine, l’hindoue, la slavo-orthodoxe, la nippone).

Optimistes, universalistes et mondialistes sont scandalisés. Huntington les juge naïfs. Ses opposants lui reprochent d’appeler au clash, de formuler une « prophétie autoréalisatrice », alors que, au contraire, il met en garde. Les réalistes ne croient pas en une alliance Islam-Chine anti-occidentale.

Le début des années 1990 semble donner raison à Fukuyama : la croissance, la présidence Clinton, la croyance dans les Nations unies, le processus de paix au Proche-Orient, la généralisation des télécommunications et plus tard, l’expansion d’Internet.

La théorie de Samuel Huntington semble confirmée
par le 11 septembre

Puis l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995 et l’échec du processus de paix au Proche-Orient, le fiasco du sommet de l’ONU contre le racisme, à Durban, le basculement de l’opinion aux États-Unis (élections sénatoriales de 1996 et présidentielle de 2000), le piétinement de l’Europe, la montée du terrorisme islamique et, bien sûr, l’attentat d’Al Qaïda le 11 septembre 2001 à New York contre les Twin Towers et le Pentagone, rappellent que Huntington, dans ses mises en garde, est peut-être plus clairvoyant.

Depuis lors, tout se passe comme si – tout en déclarant rejeter la « théorie » du clash des civilisations – un grand nombre d’Occidentaux, à la suite de l’administration Bush et des néoconservateurs, s’inscrivait dans le cadre huntingtonien et en tirait des conséquences bien particulières. La guerre d’Irak et Guantanamo ont certainement aggravé le fossé entre monde occidental et monde musulman. Les islamistes fondamentalistes ont, symétriquement, une même position radicale et, comme le firent longtemps les chrétiens, divisent le monde entre croyants et incroyants, fidèles et infidèles (ces derniers pouvant être des chiites).

D’autres Occidentaux ainsi que les musulmans modérés nient cette perspective (cette « théorie ») au nom de l’universalisme, mais surtout parce qu’elle les inquiète.

D’autres enfin estiment au contraire que le clash Islam–Occident est un risque sérieux du fait de minorités fanatiques de part et d’autre et d’une profonde ignorance mutuelle propice à la méfiance. Ceux-ci ne combattent pas la « théorie » mais essaient de conjurer le risque et de désamorcer les conflits en tentant d’établir, pour commencer, la paix au Proche-Orient, et en prônant le dialogue. Ainsi, en 2005, Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations unies, crée une « Alliance des civilisations », pour combattre ce risque par l’éducation et les médias. En fait, ce risque planera encore longtemps. Des politiques occidentales judicieuses pourraient le contenir et le marginaliser au lieu de l’alimenter.