Après la Seconde Guerre mondiale, les Européens de l’Ouest ont bénéficié économiquement et militairement de la volonté américaine d’empêcher la mainmise soviétique sur l’Europe. Ensuite, avec la CECA et le traité de Rome, ils ont cherché à rendre irréversible cette paix entre eux et à améliorer leur niveau de vie par un Marché Commun. Une partie des élites européennes a même cru possible, jusqu’au rejet en 2005 de la « Constitution », le dépassement des identités nationales dans une sorte d’Europe fédérale, inspirée des États-Unis. Une dizaine de pays, sous l’impulsion de François Mitterrand, de Helmut Kohl et de Jacques Delors, au moment de la réunification allemande au début des années 1990, ont abandonné leur monnaie pour une monnaie unique, l’euro. Après la chute de l’URSS qui avait rendu possible la réunification allemande et l’adhésion à l’Union européenne d’une dizaine de nouveaux pays européens, les Européens ont traversé une période d’optimisme. Le monde allait s’unifier sous le double effet de l’économie globale de marché et de la démocratie et mettre en pratique les valeurs universelles proclamées par l’ONU. L’Europe, pensaient même les Français, allait devenir une Europe puissance, bénéfique au monde.
Pas d’accord entre les Européens sur la poursuite de l’intégration politique
Quelques années plus tard, le doute s’est installé. Les Européens se rendent compte que leurs valeurs universelles ne sont pas considérées comme telles. Ils voudraient ne pas croire à un risque de choc des civilisations mais sont obligés de constater que des petits groupes fanatiques, au sein de l’Islam, mènent dans cet esprit une politique du pire et que cela a des effets négatifs en Occident. Ils voudraient faire preuve d’humanisme face à l’immigration mais la pression est devenue quantitativement si forte que des règles plus strictes s’imposent peu à peu partout en Europe. Ils voudraient aider des pays pauvres à se développer mais ne veulent pas avoir à renoncer sous la pression des pays émergents à leurs acquis sociaux exceptionnels. Ils sont conscients que leurs ancêtres ont exploré et colonisé le monde pendant des siècles, et que cela est fini, mais ils espéraient pouvoir continuer à jouer un rôle positif, par l’ingérence ou des aides conditionnelles, pour propager, cette fois-ci, la démocratie et les droits de l’Homme, et ne s’attendaient pas à être placés eux-mêmes sur la défensive par tant de nouvelles puissances géopolitiques rivales.
Les Européens sont attachés à l’Union européenne. Mais les peuples ne veulent pas pousser l’intégration politique au-delà du traité de Lisbonne (sauf dans la zone euro) ou de l’élargissement géographique de l’Europe pas encore achevé. Ils prennent en plus conscience, dans les premières années 2000, du choc démographique mondial qui réduit leur poids relatif et des perspectives de pénurie énergétique. Ils sont moins naïfs qu’après 1989-1991. Ils se résignent à mettre en chantier la gigantesque métamorphose de l’économie et de la société imposée par les risques écologiques, mais ils voudraient, malgré la crise, préserver leur mode de vie. Les réformes économiques indispensables sont pourtant laborieuses et controversées, surtout en France.
Il dépend beaucoup d’eux de jouer à nouveau un rôle de premier plan dans le monde, par exemple si l’Union européenne à 28, ou la zone euro, réussissait à devenir le pôle régulateur de la mondialisation sauvage. De tous les pôles possibles du monde multipolaire, c’est le pôle européen dont l’avenir est le plus incertain.