avant-propos

Il n’est pas très facile de donner une brève introduction au dzogchen, car c’est un enseignement très ancien qui s’est développé sur de nombreux siècles. Cela veut dire qu’il y a beaucoup à apprendre. Mais si nous allons aux principes essentiels des enseignements du dzogchen, alors peut-être pourrais-je vous donner une idée de ce que dzogchen signifie vraiment.

Nous parlons des « enseignements du dzogchen », mais la véritable signification du terme dzogchen est « la connaissance de la condition réelle de l’individu ». Dzogchen est un mot tibétain : dzog signifie « l’état parfait », et chen veut dire « total ». L’état totalement parfait est notre potentialité. Ainsi, toute personne a son dzogchen, sa propre potentialité - et pas seulement les humains, mais tous les êtres vivants. Et pour découvrir notre potentialité, nous avons des enseignements.

Pourquoi avons-nous besoin d’enseignements pour découvrir notre potentialité ? Parce que notre vraie nature ou potentialité est au-delà des mots, des jugements ou de l’analyse intellectuelle. Même si nous étudions pendant des années, nous ne parviendrons pas à cet état de connaissance et de compréhension. Cela ne s’applique pas uniquement au dzogchen mais aux enseignements bouddhistes en général. Il est difficile de pénétrer la vraie connaissance seulement avec des mots. Afin d’entrer dans la vraie connaissance, nous avons besoin d’expérience. L’expérience est liée aux enseignements et aux méthodes. Les enseignements sont donnés par ceux qui ont la réalisation de cette connaissance, et qui transmettent leur expérience. Lorsqu’il donne des enseignements, l’enseignant doit non seulement convaincre l’étudiant, mais il doit aussi lui ouvrir les yeux de manière à ce qu’il puisse découvrir sa vraie nature ou potentialité. Cela ne se fait pas seulement par des mots ou des explications mais aussi par des méthodes, et l’objectif des méthodes est d’acquérir de l’expérience.

Ainsi, le principe des enseignements du dzogchen est de découvrir notre vraie nature, notre potentialité, mais pas simplement dans le sens de croire quelque chose. Le principe n’est pas de croire. Nous pouvons croire que quelque chose est vrai aujourd’hui, puis découvrir que cela est faux le lendemain. Ce dont nous avons besoin, c’est de découvrir notre vraie nature par nos expériences. Par exemple, si je n’ai jamais mangé de chocolat et que quelqu’un m’explique le goût du chocolat, je peux l’imaginer mais je ne peux jamais vraiment en être sûr parce que je n’ai pas de connaissance de première main. Mais si je goûte un petit morceau de chocolat, c’est inoubliable parce que c’est ma propre expérience.

En termes d’expérience quotidienne, dans les enseignements du dzogchen nous parlons d’« être présent » dans la vie de tous les jours, en toute circonstance. Dans le système du Bouddhisme Mahayana, être présent signifie observer nos pensées. Si elles sont négatives, nous les transformons en pensées positives et nous nous assurons d’avoir de bonnes intentions. Du point de vue du dzogchen, c’est un peu différent. Il n’y a pas de règles dans le dzogchen. Nous ne pouvons pas dire si quelque chose est bon ou mauvais, car cela dépend des circonstances. Quelque chose peut être bon pour moi mais mauvais pour une autre personne. C’est pourquoi, dans les enseignements du dzogchen, nous parlons du fait d’« être présent », en signifiant que nous travaillons avec nos circonstances : nous voyons comment elles se manifestent puis nous faisons de notre mieux. Il n’est pas toujours facile de comprendre une situation et de savoir quelle est la meilleure façon d’agir, mais nous essayons toujours de faire de notre mieux. Et en pratiquant, nous développons davantage de clarté.

Toutes les traditions tibétaines parlent beaucoup de leur point de vue ou manière de voir. Il y a fréquemment des conflits entre les différentes écoles de pensée, chaque école souhaitant protéger son propre point de vue. Dans les enseignements du dzogchen, en revanche, nous ne considérons pas la façon de voir, tawa, de la même manière. Tawa n’est pas quelque chose que nous utilisons pour regarder à l’extérieur de nous-mêmes et juger les autres. Dans les enseignements du dzogchen, nous prenons l’exemple des lunettes et du miroir. Les lunettes servent à regarder les choses extérieures afin de pouvoir les juger et les analyser. Mais dans le dzogchen, nous utilisons un miroir, pas des lunettes. Si vous regardez dans un miroir, vous voyez votre visage. Bien sûr, vous ne pouvez pas voir vos limitations et vos problèmes, mais vous pouvez voir votre visage. En général, chaque fois qu’il y a un problème, nous regardons à l’extérieur pour chercher la cause. Nous sommes toujours prêts à accuser d’autres personnes et à voir leurs fautes, mais nous ne nous regardons jamais nous-mêmes. Utiliser un miroir signifie que nous nous regardons nous-mêmes. Nous découvrons notre propre état et nos limitations, comment nous sommes vraiment.

Dans les enseignements du dzogchen, nous disons que le plus important est de découvrir la nature réelle de l’esprit. Mais pour commencer, nous devons découvrir notre esprit de tous les jours. Si nous ne découvrons jamais véritablement notre propre esprit et ses limitations, nous sautons trop vite dans la vraie nature de l’esprit. Cela n’a aucun sens. Il est donc très, très important que nous commencions effectivement par comprendre notre véritable condition et aussi notre condition relative : notre corps physique, notre énergie et notre esprit, et comment ces éléments sont en rapport avec notre existence et notre propre monde, avec tous ses problèmes.

Dans les enseignements du dzogchen, nous comprenons que toute chose est en rapport avec sa cause. Si nous avons un problème d’estomac, il est possible que nous ayons mangé quelque chose qui ne nous convient pas. Quand nous découvrons la cause, il y a alors une possibilité de surmonter notre problème. Si, par exemple, vous vous sentez paresseux et que vous n’avez pas envie de faire aucune pratique du dzogchen, il y a une raison pour cela et il vaut bien mieux découvrir la cause et travailler avec plutôt que lutter contre. Cela est particulièrement vrai de la pratique dzogchen, parce que si vous êtes tout crispé et contracté et que vous vous forcez à pratiquer sans être détendu, vous ne pouvez jamais pénétrer votre vraie nature. C’est pourquoi, dans le dzogchen, nous ne forçons jamais rien. Même si nous nous sentons occasionnellement paresseux, nous ne forçons rien mais tâchons de rester conscients de ce qui se passe. C’est le point essentiel. Si nous ne sommes pas distraits et si nous nous offrons de l’espace, nous pouvons alors découvrir la cause de nos problèmes. De cette façon, nous n’avons pas besoin d’avoir aucun problème. C’est l’un des principes les plus importants des enseignements du dzogchen.

Être conscient signifie que l’on a une certaine présence. Mais comment pouvons-nous apprendre à avoir une continuité de cette présence ? Cela peut arriver de différentes manières par l’apprentissage de la contemplation. Dans les enseignements dzogchen, nous employons le mot « contemplation » plutôt que « méditation ». La méditation signifie généralement que l’on médite sur quelque chose, ce qui est une sorte de concept. Avec la contemplation, il n’y a pas de concept sur lequel se focaliser, pas de forme ou de couleur. Nous demeurons simplement dans notre vraie nature. Selon les enseignements, si quelqu’un est vraiment un bon pratiquant du dzogchen, alors il y a une continuité de la présence. La contemplation est aussi liée à la transmission des enseignements. En suivant un maître et en recevant des instructions, nous pouvons avoir des expériences, et par ces expériences nous découvrons ce qu’être dans un état de contemplation signifie.

Quand nous sommes présents, cela veut dire que nous ne sommes pas distraits. Nous essayons toujours d’être conscients, quelle que soit la situation. Par exemple, si nous allons à la cuisine nous faire une tasse de thé, nous pouvons prendre une sorte d’engagement : « Je veux être conscient jusqu’à ce que j’aie réussi à faire cette tasse de thé. » Puis nous nous levons, marchons jusqu’à la cuisine, préparons le thé et sortons de la cuisine. Et il se peut que nous parvenions à faire tout cela avec présence, ou bien que nous soyons distraits par une foule de pensées.

Conduire une voiture est un moyen d’avoir une expérience de présence très précise. Quiconque conduit doit être présent. Même quand vous regardez à droite ou à gauche, ou que vous êtes en train de parler, vous devez toujours être présent, faute de quoi vous aurez un accident. Nous pouvons apprendre la présence en conduisant une voiture, mais nous pouvons aussi l’apprendre dans la vie quotidienne. Par exemple, si vous êtes distrait quand vous cuisinez, vous vous couperez le doigt au lieu de couper les légumes ou la viande. Ce type de présence est donc, très, très utile dans la vie quotidienne, et dans les enseignements dzogchen, c’est un type pratique. Mais il ne s’agit pas de la contemplation. Cela vous donne une idée de ce que signifie la vue du dzogchen.

Un autre point important dans la voie du dzogchen est la pratique, ou l’application des enseignements, que vous devez apprendre de votre maître. Notre attitude et notre conduite sont aussi très importantes. Je vous ai déjà dit que la chose la plus importante c’est d’être présent et non distrait. Ce sont les trois points essentiels de la voie.

Dzogchen veut donc dire notre vraie nature ou potentialité, et pour découvrir notre vraie nature nous avons les enseignements du dzogchen. Les enseignements nous aident à découvrir notre vraie nature. Une fois que vous avez une compréhension du dzogchen, vous êtes aussi capable de comprendre différents enseignements bouddhistes, comme les soutras ou les tantras. Il existe de nombreuses méthodes différentes, mais leur but à toutes est que les gens découvrent leur vraie nature et s’y maintiennent. C’est très, très important. Les enseignements existent pour la personne, et non pas la personne pour les enseignements. C’est la manière de voir du dzogchen. Dans le dzogchen, les différents enseignements existent pour que les personnes réalisent leur vraie nature et développent cette connaissance. Si vous utilisez les enseignements de cette façon, ils vous seront plus bénéfiques et vous ne deviendrez pas confus. Il est facile de devenir limité par un enseignement, mais l’objectif des enseignements n’est pas de nous limiter. Certains enseignants enseignent aussi d’une manière limitée, mais vous devez comprendre que cela n’est pas vraiment correct. Les enseignements sont un moyen de vous éveiller, d’ouvrir les yeux et de faire comprendre que vous avez de nombreuses limitations.

Les limitations sont la manifestation de la vision dualiste, et la vision dualiste est la source de la souffrance, du samsara. Nous suivons donc les enseignements afin de nous libérer de nos limitations et d’atteindre la libération. C’est ainsi que les enseignements doivent fonctionner. De nombreuses personnes croient que si elles suivent un enseignement puis changent pour adopter une autre tradition, ce sera source de conflit. Ça ne doit pas être le cas, parce que les enseignants eux-mêmes doivent être réalisés, éveillés, ce qui veut dire qu’ils doivent être arrivés au-delà des limitations. Personne ne peut être réalisé tout en restant limité.

C’est par les enseignements du Bouddha, Dharma, que nous découvrons le sens de tous les phénomènes, y compris de nous-mêmes et de notre véritable condition. C’est la vraie signification des enseignements du Dharma. Mais si nous ne comprenons pas ou n’utilisons pas le Dharma correctement, au lieu d’être une cause de libération, il peut aussi être une force pour l’existence cyclique, le samsara. Atisha, un maître très célèbre, a dit : « Si vous n’utilisez pas le Dharma correctement alors, qu’est-ce que le Dharma ? Le Dharma peut aussi être la cause du samsara. » C’est parfaitement vrai. Si nous faisons semblant de pratiquer le Dharma tout en étant simultanément impliqués dans les choses mondaines, avec notre intérêt personnel et nos limitations, nous nous créons de nombreux problèmes. Nous avons déjà une infinité de limitations, et c’est la raison pour laquelle nous sommes dans le samsara. Nous n’avons pas besoin d’en développer davantage. Ce qu’il nous faut, c’est découvrir nos limitations et nous en libérer.

Regardez-vous dans le miroir et vous pourrez vraiment vous découvrir, devenir libres et entrer vraiment dans les enseignements. De cette manière, le Dharma peut être bénéfique pour tous les êtres vivants - pas seulement pour les gens que l’on considère comme spirituels mais aussi pour des personnes qui ne sont pas sérieusement intéressées par les enseignements. Le Dharma est utile à tout le monde.

CHöGYAL NAMKHAI NORBU