Voilà. Une fois de plus je me retrouve devant le port. Au petit jour cette fois. La ville encore dans la nuit noire, la mer déjà dans une clarté douce, le ciel pâle, les étoiles ont fondu. Paysage découpé par les grilles. Partout, les ports sont ainsi ceinturés. Hauts barreaux, infranchissables, parfois terminés en piques. Enceintes ponctuées de quelques rares portes, elles-mêmes flanquées de postes de garde. Mystérieuse frontière, je me demande toujours si elle est destinée à empêcher les marins de déserter ou les terriens de prendre le large. Imaginer toute une ville qui se viderait de ses habitants saisis peu à peu par l'esprit d'aventure. Je marche vers l'est sur la voie ferrée, sautillant de traverse en traverse. Entrepôts, wagons couleur de rouille, caisses géantes frappées des sigles des compagnies. Aberdeen Line, Compañia Transatlantica Centroamericana, Compañia Chilena de Vapores, Companhia Colonial de Navegação, Italia, Flota Argentina de Navegación de Ultramar, Blue Funnel Line, Messageries Maritimes, Lloyd Brasileiro, Red Star Line, Chargeurs Réunis, Lloyd Triestino... Sur la gauche, posées sur les galets à quelques mètres de l'eau, des barques de pêche. Je marche. Pas toujours très droit. À un moment la voie ferrée s'éloigne de la rive et contourne des entrepôts, de nouveaux quais. Des rouleaux de câbles d'acier éclatés, déchiquetés, aux torons hirsutes, surgissent menaçants des zones de nuit entre les baraquements. Je dépasse cette nouvelle zone portuaire. La voie ferrée revient au bord de l'eau. Cette fois, la partie plane de la ville est terminée. Les pentes des collines viennent surplomber le boulevard du bord de mer.
Marcher dans les villes. J'ai l'impression que c'est depuis toujours ma vocation. Parcourir des avenues, emprunter des passages, monter des escaliers, descendre des rampes, franchir des ponts, traverser des parcs, croiser des rues... Se greffer la forme d'une ville dans la mémoire des jambes et des pieds. Errer à l'affût jusqu'à l'aube... La ville m'appartient, mes pas résonnent sur les façades, je sens autour de moi les chambres calmes, les sommeils profonds, les rêves ou les cauchemars des foules endormies, toute une population arrêtée comme par enchantement, noyée dans la parenthèse grise de la nuit, emportée dans une aventure sans durée... La nuit bouge doucement à l'approche du jour, la lumière tendre croît peu à peu dans les feuillages printaniers, avec les pépiements d'oiseaux, je continue à avancer, je pénètre dans les songes, je suis le vampire de la nuit, le veilleur attentif, le guetteur de l'aube. J'aime les villes, j'aime marcher dans les villes connues ou inconnues, sans savoir ce que je cherche, sans savoir où je vais, poussé par une sorte de désespoir heureux.
La marche, après le café d'Irène, m'a réveillé. Comme si le rythme de mes jambes remettait toute la machinerie en marche, encore une fois, muscles, sang, souffle... Et puis la plage s'élargit. Aux galets a succédé du sable, jaune, beau, propre. Encore des barques de pêche, tirées sur le rivage et bien rangées les unes à côté des autres. Citron, vermillon, vert pomme... Un petit wharf aux piliers battus par les vagues. Je quitte les rails, je descends vers l'eau. Je dépasse l'alignement des barques. J'ôte mes mocassins. Le sable est froid, humide. La lumière est maintenant grise, plus du tout la nuit, pas encore le vrai jour. Je m'allonge sur le sable. Dans cette position, la migraine revient. J'essaie de me raconter mon escale, de retrouver les trous de la nuit, les morceaux qui manquent, mes absences. Dans quel ordre se sont succédé toutes ces séquences ? Comment les recoller entre elles ? Qui sont ces vagues ombres d'hommes et de femmes rencontrées dans des décors flous, ici même ou dans d'autres escales, et flottant dans ma mémoire confuse ? Le barman, l'architecte, Jack, le capitaine, les campanilleros, Dolly, Rosa, Maria-Sol, Dolorès, Trane, Al, Gus, Macha, Paola, Éric, Inelda, Josefina, Costa, Irène, Guinnard, Dubois, Tounens, l'homme au chien, vrais ou racontés... Leurs fragiles silhouettes s'agitent, se brouillent, se confondent, apparaissent, disparaissent. Est-ce qu'il y a un sens à tout cela ? Question de chaque escale... Le lieu, le temps limité, cela suffit-il pour faire une unité ? Un récit ? Une histoire ? Un roman ? L'alcool est-il la vérité de tout ?
Ô bouteille
pleine toute
de mystères
d'une oreille
je t'écoute
ne diffères.
Je suis confiant, comme si, au matin, tout allait d'un coup s'élucider. J'écoute le bruit sympathique des vagues. L'oreille contre le sable. Ça fait « Val-parraíso ». Val, le chuintement lointain de la lame qui s'approche. Par..., elle se concentre, prête à déferler. Raíso..., elle cascade en désordre, se mêle au sable, le soulève en le faisant crisser comme du papier de soie, et vient mourir tranquille sur la plage. Ça recommence. Je m'endors. Rêves confus.
Je m'éveille. La nuit est finie. Elle est bien derrière moi maintenant, enfuie au loin sur le Pacifique. Le soleil déjà haut sur les collines. J'ai chaud. Presque toutes les barques ont disparu. Plus que la trace de leurs quilles dans le sable. Au loin sur le port, des grues s'agitent, les tas de ballots et de caisses se multiplient, toutes sortes d'engins roulants vont et viennent. Des dockers courent. Des navires bougent sur la baie. Certains quittent le mouillage, d'autres y arrivent. « Val..par... raíso... » J'entends par-dessus le bruit des vagues le vacarme d'une ancre qu'on mouille. C'est peut-être ce qui m'a réveillé.
Je suis là. Je ne suis plus rien qu'une vague conscience. Corps, paquet inerte, chauffé par le soleil, percevant ma vie devant moi, comme un vide immense inconnu. Vertige. Comme plus tard sans doute je percevrai ces instants derrière moi comme des vides, mais ceux-là bizarres, pleins d'incidents nébuleux, incohérents, difficiles à déchiffrer, peut-être ne m'appartenant pas, ne m'ayant jamais appartenu. Les lames comme des monstres gloutons jamais fatigués, jamais rassasiés, revenant sans cesse à l'attaque des rochers, des caps et de cette plage avec ce crissement de papier de soie énervant.
Je me lève. J'ai mal partout. Je me déshabille. Je laisse mes vêtements en tas. Je vais jusqu'au bord de l'eau. Les vagues sont fortes et brisent à une quarantaine de mètres de là. Je marche dans l'eau. Elle est froide. Je sens le soleil sur mes épaules, dans mon dos, sur l'arrière de mes jambes. J'ai de l'eau maintenant à mi-mollets. J'avance. Je suis mouillé jusqu'au ventre. Puis à la poitrine. J'arrive à l'endroit où retombent les vagues. Je plonge. Je prends en plein visage la première vague. Le coup résonne dans l'arrière de mon crâne, réveillant la douleur. Je me mets à nager. Je reçois la seconde vague. Elle m'étourdit. Je fais quelques brasses.
Gestes de la natation. Vieux savoir enfoui, revient de loin. Impose son rythme à tout le corps, aux muscles, au sang, au cerveau, les masse, les lave, les lessive, les débarrasse des scories de la nuit. Corps souple, eau domptée. À moins que ce ne soit l'eau qui me dompte. Les mouvements de mes bras et de mes jambes s'accordent à ceux de l'océan. Marées, courants, vents, rotation de la Terre. Remous. De l'eau entre dans ma bouche. Amer. Salé. Je suffoque. Reprends mon souffle. Je tousse. Je crache. Ferme la bouche, idiot ! Quel fou, il se gronde lui-même. Comme s'il n'était plus dans sa propre peau. Comme s'il était mort ou retombé en enfance. Comique et funèbre.
Et puis, peu à peu, une douce sensation m'envahit. Les douleurs des muscles, du crâne et des viscères commencent à se dissoudre. Je mets toute l'énergie qui me reste dans ces gestes de mes bras et de mes jambes. Après la brasse, quelques mouvements de crawl. Je n'avance plus contre les vagues mais avec elles, dans leur rythme, leur pulsation. Mes membres bougent à l'unisson des masses mouvantes d'eau. La nuit m'avait transformé en un vieillard infirme au seuil de la mort, la mer me rend mon corps d'adolescent. Une autre journée commence, une autre vie. Ouverte, pleine d'aventures possibles. J'émerge de moi-même. Je suis lavé de toutes les vomissures de la nuit. Un nouvel être... Je plonge, je me laisse couler, j'ouvre les yeux, je vois le fond sableux trouble remué par les vagues, quelques coquilles blanches au fond, silence, calme. Mourir. Ou bien repartir pour une nouvelle vie, une vie d'aventures. À Fort-de-France, nous étions allés nous baigner sur une plage isolée. Deux types plongeaient avec masques, palmes et bonbonnes. Ramassaient des gros coquillages. Des strombes ont-ils dit. Les gens là-bas les mangent. Appellent ça des lambis. Vous voulez essayer les Cousteau ? Oui, pourquoi pas ? Deux minutes d'explication. On s'équipe. Plongée. Comme dans les rêves. Des ailes. Voler au-dessus des fonds sableux, des rochers ronds, canyons profonds, un coup de palmes, hop, descente vers les fonds verdâtres, délivré de la pesanteur, corps souple, plein de grâce, les membres légers, ailes de papillon, demi-tour sur le dos, la surface des eaux tout en haut, lame d'argent lumineuse, les rayons du soleil réfractés tombant dans le plancton trouble, cascades de bulles se ruant vers la lumière, bruit calme et sifflant de l'air dans le tuyau, pirouette à la verticale, à l'horizontale, nager en vrille, faire le dauphin, travelling le long des rochers, madrépores, actinies, crevettes translucides, étoiles, petits poissons multicolores, lenteur des images filantes, tiédeur de l'eau, chuintement du sable labouré par une grosse raie qui s'enfuit, prairie verte ondulante, talus, traces d'une épave ensablée, langouste hérissée qui se sauve par saccades brouillonnes, gros poissons argentés, bande espiègle et craintive, changeant de direction tous ensemble, zigzaguant autour de moi, frôlant mes mains, chatouillant mes jambes, fossé profond, la nuit verte et noire au fond, peur de descendre, me retourne, en haut la surface bien plus lointaine, remonte un peu, redescends, me retrouve dans le fossé, me laisse couler, bouge les pieds, vole encore le long de parois constellées d'anémones décolorées verdâtres, arrive au fond de la fosse, presque nuit, un gros strombe rampe sur le sable vaseux, trace plus sombre sur le sol lisse, filaments brillants, serpentant, remués par de légers courants, respiration plus lente, plus difficile, remonte un peu, retour vers la lumière, bord du fossé, pente vers la plage, le bruit des petites vagues du rivage revient, pirouettes ultimes, bonheur d'avoir des ailes, temps aboli, repos intégral, quiétude, un autre corps...
À Ipanema, bien plus tard dans la saison, assis sur la plage, après la baignade. Des petits Brésiliens, des noirs et des café au lait, jouaient avec des planches, de simples bouts de bois récupérés, parfois taillés en pointe. Partaient loin, là où s'enflaient les ondes. Nageaient vite au-devant du gonflement qui accourait. Tour de reins, agiles, à genoux sur la planche, droit vers la plage, sur la crête de l'énorme lame maintenant dressée, puis un pied, l'autre, debout, bras écartés faisant balancier, se déhanchaient, glissaient, fonçaient, viraient, skiaient, toujours à cheval sur le bourrelet d'eau, dansaient, alertes, tournaient, filaient le long de l'étroit talus roulant vers la plage, repartaient avec la crête, petit sillage d'écume derrière eux, maintenant proches de la zone où s'ébattaient les baigneurs, les surplombaient de très haut, légers, oiseaux, valseurs, maigres, souples, élégants, attentifs, savants, rieurs, parvenaient jusqu'à la limite extrême de la déferlante, plongeaient en hurlant dans la prodigieuse cascade, bousculés cul par-dessus tête, retournés, secoués, pilonnés, reprenant pied, on voyait leurs fesses plus claires, rattrapant leur planche, s'ébrouant, se frottant les yeux, crachant, remontant leur maillot, riant, criant, repartant, vifs comme des poissons, vers la zone calme où se formaient les rouleaux.
Je reviens sur le sable. Étourdi. Je m'allonge au soleil. Ce n'est plus le noir, le gris, le caniveau, la mort poussiéreuse, les ténèbres. Mais le clair, le soleil, le sable chaud, les forces retrouvées. La chaleur dans tout mon corps. Je me rendors. Rêves chaotiques. Je me réveille encore une fois. C'est un réveil comme je les connais à bord. Mon corps se retrouve. Aussi heureux, tiède et confiant que celui qu'il était dans son berceau dix-huit ans plus tôt. Seule différence peut-être, cette chose de chair chaude qui se dresse, dure, au bas de mon ventre chaque matin avant le réveil et qui persiste un long moment dans sa raideur obstinée, comme le rappel mystérieux et crispé de l'animalité sauvage tapie au plus profond. Retour à la vie ? Présage ? Innocence perdue ? Évidemment, Arthur me revient, « Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la grève ». Une phrase à chaque circonstance de la vie. Nous ne faisons que rejouer des fragments d'anthologie...
Les pêcheurs m'ont sans doute réveillé. Ils sont en train de tirer leurs barques à nouveau sur le sable. Ils crient. Ils rient. Ils râlent. Contents, pas contents. La pêche, les paniers. Ils passent devant moi, me montrent leurs plus belles prises, montent vers la route. Chargent les paniers dans des camionnettes. Vont vers une petite paillote où ils boivent en parlant fort et en interpellant ceux qui sont restés plus bas sur la plage. Un matin en mer, dans l'Atlantique Nord, un peu avant l'aube, j'étais monté à la passerelle. J'ai remarqué que la mer était légèrement phosphorescente à perte de vue. J'ai demandé au timonier s'il avait remarqué le phénomène.
– Un banc de harengs ! Ça fait dix minutes qu'on le croise. Il doit y en avoir des milliers de tonnes !
Dans les vagues, on voyait de petits éclairs furtifs et toute la surface de la mer était tissée de ces pâles irisations nacrées. J'ai contemplé longtemps la surface des eaux. Le jour se levait. Le prodige n'a plus été perceptible. Mais j'ai vu alors autre chose : partout où la surface bougeait, de minuscules éclats de lumière. Et quand le soleil a paru au-dessus de l'horizon, la mer s'est transformée en une véritable féerie, comme si on avait partout jeté de fines paillettes d'aluminium.
– Il n'y a plus de poissons..., a dit le timonier. C'était un ancien pêcheur de Dunkerque. Seulement leurs écailles. Ils sont si serrés les uns contre les autres, ils se frottent tellement que, dans leur sillage, ils laissent derrière eux sur des kilomètres des nuages d'écailles...
Le sable est chaud maintenant. Je suis allongé. Comme je l'étais cette nuit mais c'est une autre façon d'être allongé. Pas mort ! Le sable qui gratte et qui coule entre les doigts, geste de plage de vacances répété avec bonheur comme mille fois jadis. Le soleil, sa chaleur sur les épaules, les bras. La peau lisse et propre qui cuit doucement. Je sens la vie regagner mon corps, chasser les démons noirs de la nuit, dissoudre la folie macabre de l'alcool. Je sens la chaleur dans les vertèbres lombaires, les fesses, les cuisses, le sexe raide. Montée lente du bien-être. Résurrection. Les dernières zones de résistance, omoplates, vertèbres cervicales, cerveau, se rendent l'une après l'autre. La journée s'annonce belle. Encore une fois, je me rendors, content.
C'est une odeur qui me réveille. Une odeur forte de poisson. Ce n'est pas un rêve. Je suis sorti du sommeil et je perçois cette odeur de marée avariée plutôt désagréable. J'ouvre les yeux. Je sursaute. À quarante centimètres de moi, un gros œil intrigué me regarde. Entouré de peau plissée, effrayant. Je me dresse, je recule. C'est un pélican. Une bande de cinq pélicans est perchée à quelques mètres de mon corps inerte, sur le liston d'une barque de pêche. Celui-là, intrépide, s'est aventuré jusqu'à moi. La tête penchée de côté, il m'observe avec curiosité. Il pue. Voyant que je bouge, il agite ses ailes pour m'impressionner, il redresse son cou, secoue la poche molle qui pend sous son bec, se détourne et repart en se dandinant, lourd et gauche, retrouver sa bande. Curieux animaux. Laids, mais touchants. Vivant comme des clochards paresseux dans la proximité des pêcheurs. Qui leur jettent les abats et les petites prises. Ont l'air égoïstes et voraces. On ne les imagine pas s'ouvrant le bide pour nourrir leurs petits comme dans le poème. Ils ont dû manger un instant auparavant : ils se nettoient pattes et plumes, se lissent les ailes avec une étrange délicatesse du bout pointu de leur interminable bec, font claquer leurs mandibules de façon comique, somnolent, bâillent, se chamaillent, chient, couvrant de leur fiente grasse et blanchâtre la barque et le sable.
J'ai chaud. Je brûle. Ma peau cuit. J'ai dû prendre des coups de soleil. Je me lève. Je repars à l'eau. Elle me paraît glacée. Je m'allonge dans les vagues. Volupté. J'ai soif. J'ai faim. Ma bouche est sèche. Le sel me pique les lèvres et les yeux. Je nage lentement, avec tendresse, sans lutter contre les vagues qui, dès lors, me traitent bien, me soulevant gentiment, me berçant. Me remodelant peu à peu. Je deviens vague, molécule d'eau, je me fonds dans le mouvement énervant et paisible du Pacifique, je suis léger, invulnérable, immortel, éternel. Je suis le Pacifique lui-même...
Des heures ont dû s'écouler. Les marins sont sortis puis rentrés. Le soleil a déjà dépassé le zénith. Et moi je nage comme un vacancier insouciant. Personne ne peut deviner que je viens d'échapper aux maléfices de toute une nuit de délire. J'aurais pu aussi bien rouler ivre mort dans la nuit d'un étroit ravin, entraînant tout un éboulis, recouvert par lui, étouffé, mort, enseveli à jamais sous un tas d'immondices, vieux matelas humide, tuyaux éclatés, vaisselle cassée, légumes pourris, chien crevé, devenant charogne moi-même, restant enfoui dans les fondations antiques de la ville comme ces Indiens du temps de la Conquête qu'on avait massacrés et qui tapissaient les couches archéologiques de tout le continent, peu à peu métamorphosé à mon tour en squelette blanc ivoire, prêt à la faveur d'une secousse à glisser encore un peu plus bas et même à resurgir comme tous ceux qui avaient dansé la gigue sur les pentes et sur les toits, dans les rues et dans les cours, le jour du glissement de terrain. Cette nuit, c'était : tu peux mourir, si tu veux. Maintenant, c'est : vis, tu le peux, tu le veux... Je n'étais pas mort, j'étais bel et bien vivant, et jeune, et souple, et amoureux de la vie, et capable de danser, certes, mais pas avec les squelettes, avec de belles et rondes vivantes. D'ailleurs j'allais maintenant beaucoup mieux et il était temps que je reparte en ville achever quelque chose qui me semblait inachevé. Resurgam ! Comme avait dit l'autre... Je ressusciterai...
Je sors de l'eau. Le corps frais. Les cheveux collés, coulant, l'eau salée dans les yeux et la bouche. Souffler, envoyer les gouttes le plus loin possible devant soi. Air chaud maintenant. Courir, marcher en projetant du sable sec, tomber à genoux près de ses affaires, jeux de plage. Les pélicans alignés me regardent, la tête un peu penchée, puis se regardent, étonnés. Personne d'autre sur la plage que ces six bestioles grosses comme des dindons, malhabiles, plutôt ridicules. Une vie de pélican... lassé d'un long voyage... le mien n'est pas terminé. Reprendre la route, reprendre la mer. Ne plus boire. On dit ça. Serments d'ivrogne. Encore des escales, des bars, des filles, vertige.
En attendant, j'aurais bien envie d'un liquide chaud et désaltérant pour nettoyer d'un coup toute la tuyauterie. Un thé par exemple. La putain de Cork, belle Irlandaise laiteuse, tout en plis roses, sentant bon la lavande. M'avait proposé une tasse de thé. Une tasse de thé ! Après ablutions vénériennes, lave-boyaux ! Glou glou glou ! Pourquoi pas en effet une tasse de thé ? Come and have a nice cup of tea ! Toujours nice. La tradition britannique jusqu'au fond des bouges et des lupanars. Et, ma foi, il était délicieux son thé. Elle, assise en jupon sur le bord du lit, ses jolis seins roses aux tétins pâles dans la douceur du soir, et moi, en chemise, cul nu, assis à côté d'elle, amusé, enfin apaisé. Dehors, le vent sifflait, c'était juste avant la grande tempête. On aspirait la surface du liquide brûlant en faisant pfuit ! pfuit ! comme un couple de paisibles retraités !
À Fort-de-France, c'était plutôt le pur rhum blanc dans une bouteille sans étiquette. Les trois belles putes noires nous avaient cueillis déjà bien mûrs au sortir d'un bar, nous avaient entraînés vers la case obscure de l'une d'elles, grand lit bas, la petite fille qui dormait dans son berceau fait d'une caisse, les deux premières sur le lit chacune son marin, faisant semblant, oh, chéri, c'est bon, c'est bon, je la sens bien, plus fort, ah, oui !, la troisième, la plus grosse, assise dans un fauteuil, tricotait une longue écharpe bariolée, la mienne a tendu le bras vers la bouteille, s'en est enfilé une rasade pendant que je continuais à la besogner, t'en veux ?, tout à l'heure, pas facile dans cette position, ça n'en finissait pas, enfin l'opération terminée, me suis assis sur le bord du lit, mon camarade continuait sa gym fastidieuse, sur le sol en terre battue, près du berceau, une cuvette d'émail pleine de capotes anglaises usagées refermées par d'élégants petits nœuds bien serrés, les récupéraient peut-être, chut !, pas de bruit, la petite dort, la grosse qui tricotait a levé les yeux, a regardé mon sexe encore un peu gonflé, posé là, tout bête, dans le creux de mes cuisses nues, m'a interrogé en hochant la tête, prête à poser son tricot, à se lever, à ôter sa chemise, son seul vêtement, et à venir s'allonger à son tour, non, j'ai dit, ça ira pour le moment, et j'ai bu une grande rasade de leur eau de feu, terrible, percutante comme la foudre, j'en ai eu aussitôt les larmes aux yeux, la grosse a ri, mais sans faire de bruit...
Et cette autre, à Cherbourg. Levée près de la basilique. Petite, blonde, normande, grande bouche, beaux yeux gris-bleu, sourire fin. Si tu veux, je me mets toute nue, ça coûte pas plus cher. Fait proprement son travail. Et après, on se lave, on se rhabille. Qu'est-ce que tu as à faire ? Rien. Viens, dit-elle, j'ai fini ma journée, je t'offre à boire. Partis au bistrot. Un peu froid. Buvons un grog, pas mauvais, puis un deuxième. Cette fois, c'est moi qui paye ! On rit beaucoup, on se raconte des histoires de nos vies, la mienne bien sûr tellement plus courte que la sienne. Elle était de Granville. On rit, on reboit. Troisième grog. Elle me regardait. Elle devait me trouver bien jeune. Elle me dit : Tu sais que tu es vraiment un joli garçon. Et moi : C'est comme les petits chats, ça devrait toujours rester comme ça ! Elle a continué à rire. Belle bouche, belles dents. Elle me plaisait. Légère, spirituelle, pas pesante comme beaucoup. Quatrième grog. À la fin, tous les deux bien pompettes. J'avais à nouveau envie d'elle. Je le lui dis. Elle rougit ! Oui, elle rougit. Elle hésite. Elle réfléchit. J'ai fini mon travail. Faudrait pas que mon homme le sache. Elle réfléchit encore. Elle m'embrasse dans le cou. Elle me dit : Bon d'accord. Retournons, mais dans un autre hôtel. Et, très sérieuse, me regarde, ses grands yeux écarquillés. Mais alors, ce sera par amour !
Je commence à me rhabiller. Les pélicans suivent l'opération avec attention. Chemise, pantalon. Mes vêtements ont séché mais sentent encore. Odeur aigre, écœurante. Je garde ma veste toute froissée à la main. En mettant la main dans la poche de mon pantalon, je sens quelque chose. Je tire. Bizarre chiffon blanc, mouillé, oublié par Irène pendant sa lessive, ratatiné. Je déplie. La culotte de Macha ! Mon geste machinal au Kentucky. Me voilà devenu fétichiste ! En route ! Je jette la culotte aux pélicans. Ils se penchent tous les six pour examiner le chiffon blanc tombé sur le sable près d'eux. Aucun ne daigne sauter de son perchoir. Puis ils se regardent. C'est comme s'ils haussaient les épaules avec mépris. Comme le chien qui passait, cette nuit. Même les animaux sont contre moi ! Les pélicans se remettent à se lisser les plumes et à caqueter. Je leur tire la langue. Je m'en vais. Il doit être tard. J'ai faim. J'achète deux empanadas à la devanture d'une petite échoppe et je les dévore tout en marchant dans les avenues qui mènent vers le centre.
Je me retrouve devant la librairie. Je regarde les livres anciens dans la vitrine. Je prends mon carnet, je note les titres. Il y en a aussi un que je n'avais pas remarqué : De l'influence de l'Amérique sur le bonheur du genre humain, par l'abbé Genty, censeur royal. La porte est ouverte. Le libraire sort.
– Vous vous intéressez à la navigation, aux découvertes ?
– Oui. J'aime surtout beaucoup les titres. Ils sont immenses. Ils essaient toujours de résumer tout le contenu !
– J'ai mis les belles pièces en vitrine. J'en ai une ou deux autres à l'intérieur, venez voir.
J'entre derrière lui. Il attrape dans un rayon quatre volumes brochés retenus par une ficelle.
– Tenez, regardez ça. Les voyages de William Dampier. La première édition. Un grand navigateur, un flibustier hors pair, et, en plus, on peut le dire, un excellent écrivain ! Ça se lit comme un roman et pourtant tout est vrai. Il passe à travers abordages, pillages, massacres, toutes sortes d'horreurs, et, en même temps, il s'arrête pour cueillir une fleur, la disséquer, la dessiner. C'était un botaniste distingué. Il s'est intéressé aussi aux courants marins, aux vents. Il avait commencé dans la marine britannique. Après, il a suivi des flibustiers. Il est revenu servir sous le capitaine Cook. Il a fait le tour du monde. Il est allé partout, en Australie, en Chine. Je vous résume, parce que ses voyages, ses aventures sont innombrables et inextricables. Il avait un caractère de cochon. Inimaginable ! Au point qu'un jour on l'a débarqué sur une île ! Rentré en Angleterre, il rassemble ses notes, raconte ses aventures. Succès. Il repart explorer l'Australie. C'est un capitaine tyrannique. Il passe en cour martiale. Radié de la marine, il s'engage comme corsaire. Il rentre, une fois de plus pauvre comme Job. Sa seule fortune, ses livres ! En 1708, il s'engage comme pilote dans l'expédition de Woodes Rogers vers la mer du Sud, le Pacifique. Cette fois, ils rapporteront une belle petite fortune. Mais le plus étonnant, avec Dampier, et sur ce point personne ne lui rend justice, c'est qu'il est à l'origine du roman moderne ! Oui, oui ! Après le passage du cap Horn, lui et Rogers font escale dans une des îles de l'archipel Juan Fernández. Juste en face, à sept cents kilomètres de Valparaíso. Et là ils tombent sur un homme poilu, chevelu, vêtu de peaux de chèvres. Un certain Alexander Selkirk, ancien maître d'équipage à bord du Cinque Ports, un navire qu'avait justement commandé Dampier bien des années plus tôt. Selkirk, d'origine écossaise, avait lui aussi très mauvais caractère. Quatre ans auparavant, il avait eu un différend avec son capitaine et avait préféré courir sa chance dans cette île déserte plutôt que de rester sur un navire qui prenait l'eau. Il n'avait que son coffre de marin, sa literie, un fusil, de la poudre, des balles, du tabac et une Bible. Vous connaissez la suite, bien sûr. Il y avait des chèvres dans l'île. Il mangea les chèvres. Il y avait des tortues. Il mangea des tortues. Il s'installa un logement confortable et ne s'ennuya pas un seul jour. Dampier et Rogers engagent Selkirk, le ramènent à Valparaíso d'abord et plus tard à Londres. Son histoire, racontée à son retour, frappa l'imagination d'un troisième homme, encore un homme à caractère de cochon, Daniel Defoe. Defoe, commerçant, aventurier, spéculateur, espion, journaliste, pamphlétaire, politicien, conseiller royal... il a connu le pilori et la prison. Écrivain d'une prolixité phénoménale, la liste de ses livres, articles, brochures et pamphlets prendrait tout un autre livre encore. En 1719, il publie Robinson Crusoé, le plus grand succès de librairie du XVIIIe siècle. Le roman d'aventures à la première personne ! L'île déserte !
– Quel est le prix du Dampier ?
– Quarante dollars...
Je sors ma petite liasse. Il me reste cinq billets. J'en donne quatre au libraire. Il a l'air étonné. Il prend les livres, les emballe dans un solide papier kraft, ficelle le tout. Il me tend le paquet.
– Merci. Je resterais bien à vous écouter encore. Mais, hélas, je suis pressé...
Je m'apprête à sortir.
– Attendez !
Il me rattrape. Il me rend un des billets.
– En général, les acheteurs marchandent. Vous êtes jeune. Vous êtes sympathique. Trente dollars suffiront... Et... bonne lecture !
À nouveau, grands édifices, corniches, marbres, balcons, atlantes, coupoles, banques, assurances, armateurs, bourse, magasins. Je pense aux séismes. La menace est là, chaque jour, à chaque instant. La secousse pourrait faire glisser tous ces beaux immeubles d'un seul coup dans le caniveau. La terre qui s'ouvre, cisaille les tuyaux d'eau, les câbles électriques, les égouts... Les gens dans les bureaux et les boutiques, écrasés par les murs, tables et machines à écrire, caisses enregistreuses volant dans les rues, les collines glissant vers le bord de mer, les chalets se télescopant, s'écrasant, se recouvrant, scènes de vaudeville et de tragédie à la fois, les ravins se secouant, recevant les pauvres et les riches, les beaux et les laids, les jeunes et les vieux, pêle-mêle, chacun surpris dans sa tenue du moment, habillé ou à poil, cascade de corps, pesée des âmes, ange de la mort, jugement dernier, avec les chiens hurlant, une sorte de vague énorme, épaisse de terre et de maisons, de meubles et de corps, se déversant vers le bas, bientôt le port est bouché par toute cette merde tombée des collines, et les feux s'allumant partout, les escaliers se transformant en toboggans, les belvédères plongeant vers les rues en contrebas, le tout sur un superbe rythme de boogie, les boîtes à matelots, les bars enfumés, les bordels avec leurs troupes de filles écrasés eux aussi, les ascenseurs marchant à l'envers avec un joli bruit de ferraille froissée, tous les promeneurs regrettant de ne pas être en mer. Mais en mer, pas la joie non plus, raz de marée, grosse vague qui achève de nettoyer les abords du port et monte même à l'assaut des collines. Le monde sens dessus dessous, le désastre absolu...
Heureusement, ce n'est qu'un rêve, ou un cauchemar, peut-être ce que chacun dans cette ville imagine deux trois fois par jour en parcourant les rues, les montées, les rampes et les quais. Pour l'instant tout le monde semble insouciant. Deux amis, la cinquantaine, en bras de chemise, la veste sur l'épaule, l'air enjoué s'apprêtent à entrer au Bar Inglés où ils vont sans doute déjeuner en se racontant des histoires du bon vieux temps, le temps des cap-horniers et du nitrate et de la course du thé et de la ruée vers l'or. Un jeune garçon qui porte sa caisse de cireur de chaussures, tabouret de bois avec tiroir, couvert de tapis, orné de deux larges semelles de caoutchouc, émigre en sifflotant vers la place Sotomayor où il pense trouver une meilleure clientèle, peut-être des officiers de marine ou des douaniers, et sûrement des touristes américains débarqués le matin même du beau paquebot de la Grace Line. Un conducteur d'âne remonte la rue en tapotant de sa badine les fesses de son animal, mais c'est presque une caresse et le bestiau aux grandes oreilles bien dressées vogue au petit trot, une allure rare pour un âne, comme s'il jouissait de ce léger stimulus culier. L'homme et l'âne croisent une superbe femme montée sur de hauts talons qui claquent sur le trottoir, brune, un nœud dans ses boucles assorti à sa robe rouge très décolletée, où va-t-elle ainsi pomponnée, retrouver son amant ou voir son mari à la prison ? Rayer la mention inutile. Le ciel est bleu, le soleil haut, c'est une belle journée, une des premières de l'été... l'océan calme, les arbres tout en fleurs et en oiseaux... les chiens aboient plutôt gentiment... les avenues bruissent en douceur... les gamins jouent au foot avec des cris tendres... les navires cornent gaiement sur la baie... les grues dansent et grincent mélodieusement au-dessus des cargos... même les marteaux jouent comme des tam-tams africains... tout le monde semble heureux malgré les appels à la grève générale des travailleurs badigeonnés en lettres de sang sur les murs... il n'y a pas de raison pour qu'un séisme se déclenche à cet instant précis.
Soudain, un petit retour de nausée. J'avise un passage entre deux immeubles et je cours m'y réfugier. Ça passe. Je suis au pied d'un grand escalier qui repart à l'assaut d'une colline. Je m'appuie contre le mur de la montée. À droite, une palissade borde un jardin hirsute d'où jaillissent des touffes de jasmin et des grappes de roses rouges, tous parfums mêlés. Un mur un peu en ruine, très haut, d'une beauté fanée, et bien sûr, couvert d'inscriptions qui n'attendent que d'être déchiffrées une à une. Il me faut donc une dernière fois, avant de quitter cette ville, lire les oracles des murs.
MAÑANA CUMPLO VEINTE AÑOS
Voilà une phrase précisément pour moi. Demain j'aurai vingt ans. Et puis ? Et puis trente et puis quarante et puis je n'ose même pas y penser. Mort avant. Impossible d'imaginer. D'autres graffitis informes, infâmes. Des initiales que je ne comprends pas : politiques ou messages secrets entre amoureux du quartier. Et puis, gros caractères en travers des autres, ¡ GRINGOS CARAJO ! Merde aux gringos !
UN RINCÓN DE PARAÍSO
Un coin de paradis... Ce mur ? La ville ? Phrase de chanson ? Publicité ? Où est le paradis ? Qui le possède ? Qui peut prétendre l'avoir rencontré ?
Deux noms enlacés par un cordage ciselé dans le plâtre avec une petite silhouette de navire.
ROB LERNER
SANTA CECILIA
NY
Typique du marin américain qui a gravé son nom là, mais pourquoi là en particulier ?, avec le nom de son navire new-yorkais, et conservé, croit-il, pour l'éternité. Éternité éphémère, pauvre garçon. Le mur s'écroulera peut-être même avant que la Santa Cecilia n'ait coulé. Enfin, dernière citation lisible, toujours sur le mur pelé :
El alcohol desinfecta la razón
Inventé par le scribe de passage ou bien citation d'un auteur classique ? En tout cas, joli, très joli mot, mérite de figurer dans une anthologie. « L'alcool désinfecte la raison. » Et l'autre inscription, sur la digue du Pirée... En lettres géantes. Elle disait juste
JE SUIS PASSÉ ICI
Sans nom, sans date, seulement cette phrase, en français. Inquiétante. Isolée. Flamboyante. Alors que les autres, qui se chevauchaient, se grimpaient dessus, s'effaçaient les unes les autres, grouillaient, en noir, en rouge, en bleu, en petits ou en très gros caractères latins, arabes ou cyrilliques, mettaient le nom du navire, ou la date, ou le pays, ou l'ancre éternelle, lui, non, à l'écart des autres, dans une des rares zones encore vierges du ciment, juste je suis passé ici et vous ne saurez jamais qui je suis ni d'où je viens ni quel est le nom de mon navire, je vous emmerde, drôle de type, un provocateur, un poète...
Un homme en salopette grise est en train de coller une affiche. Un chien errant s'approche, vient flairer le contenu du pot de colle posé sur le sol. L'homme fait un geste avec son pinceau. Le chien s'enfuit. Los mejores amigos... Tiens ! Il déplie l'autre partie de l'affiche, de la mujer... Il s'arrête un instant. J'attends. Le soleil me fait mal aux yeux. Et mes yeux réveillent les élancements de mon cerveau. Les poisons de l'alcool ne s'évaporent pas si vite... Peut-être bien que l'alcool désinfecte la raison, mais pas à si haute dose... Pourvu que je ne sois pas frappé de cécité avant d'avoir la révélation. L'homme retrempe son pinceau dans la colle, déplie le bas de son affiche... los nilones ! Deux jambes minces, blondes, jolies, et la marque Chesterfield. Il suffisait d'y penser ! Les meilleurs amis de la femme, les bas nylon ! Tout finit toujours par un pied de nez. Je m'en vais à travers la ville, je continue dans la direction du port.