1935. La main tendue


Maurice Thorez (1900-1964) est secrétaire général du PCF depuis 1930. Il soutient la politique de rapprochement avec les catholiques depuis le Comité central d’octobre 1935. En décembre, une affiche rédigée par Jacques Duclos déclarait que les jeunes communistes n’éprouvaient aucun « ressentiment envers les jeunes ouvriers chrétiens qui veulent que ça change ». Sur le terrain, les communistes font grand cas de l’aide apportée dans la banlieue sud par les amis et les sœurs du Secours aux chômeurs. Les progrès de la Jeunesse ouvrière chrétienne posent en outre la question des rapports à entretenir entre communistes et jocistes. Ce n’est pourtant que le 17 avril 1936 que Thorez fait une déclaration radiodiffusée popularisant la « politique de la main tendue ». Le thème est déjà annoncé dans un discours de 1935.

 

LA CHARITÉ

 

« L’entente dans l’ordre de la charité » est possible, a écrit quelque part un prêtre catholique. C’est le but essentiel de notre politique de la main tendue, préciserons-nous. Nous entendons même le terme de « Charité » au moins dans le sens large « d’amour du prochain ».

 

La charité, pour nous, n’est pas une philanthropie hypocrite qui fait de la misère humaine, obligée de recourir à l’aumône, l’amusement des aristocrates de l’argent, procurant ainsi des satisfactions à leur amour-propre et à leur arrogance. La charité pour les communistes, c’est la vieille règle de solidarité humaine : « Un pour tous, tous pour un. »

[Applaudissements.]

 

Et comme il n’y a pas chez les communistes la croyance qu’il pourrait leur être tenu compte dans une autre vie de leurs mérites et de leurs œuvres, de leur « renoncement temporel », la charité, l’esprit de solidarité, le dévouement au bien commun de nos militants sont le témoignage du désintéressement le plus pur, à l’exemple du bon Samaritain.

[Applaudissements.]

D’ailleurs, pourrait-on se refuser de collaborer entre croyants et athées, lorsqu’il s’agit de sauver tant de pauvres innocents, des enfants, des femmes, des malades, des déshérités. Lorsque montent les flammes de l’incendie, s’inquiète-t-on de l’opinion de celui qui fait la chaîne ?

 

Dans nos villes de la banlieue parisienne, communistes et catholiques, laïcs et croyants, ont ensemble réalisé de fructueuses collectes au profit des sans-travail. Le maire communiste et le curé de la paroisse ont ensemble stimulé le zèle de tous les hommes de cœur ; les représentants des syndicats, les anciens combattants de toutes tendances, les jeunes et les femmes ont ainsi recueilli de quoi soulager la détresse des chômeurs et de leurs familles.

[…]

 

LA DÉFENSE DES LIBERTÉS

 

Il en est de même, pensons-nous, en ce qui concerne la défense, contre la menace fasciste, des libertés démocratiques, au premier rang desquelles figure la liberté de conscience. Et la liberté de conscience suppose le libre exercice du culte, le libre choix de l’enseignement.

 

Les communistes sont contre toute législation d’exception visant une catégorie de citoyens à raison de leurs opinions, de leurs croyances lorsqu’elles sont professées dans le respect de la liberté républicaine.

 

L’article 124 de la Constitution de l’Union des républiques socialistes soviétiques déclare expressément :

« Afin d’assurer aux citoyens la liberté de conscience, l’Église en URSS est séparée de l’État, et l’école de l’Église. La liberté de pratiquer les cultes religieux et la liberté de propagande antireligieuse sont reconnues à tous les citoyens. »

L’article 136 prescrit :

« Les élections des députés se font au suffrage égal : tout citoyen a le droit d’élire et d’être élu, indépendamment de la race ou de la nationalité à laquelle il appartient, de sa religion, du degré de son instruction. »

 

« La coexistence de communistes et de catholiques, la collaboration entre eux est possible dans un régime de démocratie, et, il va de soi, dans cette forme supérieure de la démocratie qu’est le régime soviétique.

 

Mais il apparaît bien de plus en plus clairement que le fascisme dans les pays soumis à sa brutale et sanglante dictature ne peut tolérer la moindre liberté politique ou religieuse, qu’il ne supporte pas plus les catholiques fidèles à leur foi que les communistes attachés à leur idéal.

 

L’idéologie totalitaire du fascisme lui fait craindre et combattre toute manifestation de non-conformisme, même si elle se présente sous les aspects de la religion.

Maurice Thorez, Communistes et Catholiques, la main tendue, Paris, S.C., 1935, p. 78-80.