1935. Socialisme et liberté


Georges Valois (1878-1945), de son véritable nom Alfred-Georges Gressent, avait fréquenté les cercles anarchistes de la fin du siècle. En 1903, il se convertit au catholicisme et tente une synthèse entre le nationalisme intégral de Maurras et le syndicalisme révolutionnaire de Sorel. Il est l’un des principaux fondateurs du Cercle Proudhon. Candidat de l’Action française aux élections législatives de 1924, il se détache de l’organisation royaliste pour créer le premier mouvement fasciste français, le Faisceau, le 11 novembre 1925. Éditeur (il dirige la Librairie Valois) et animateur des Cahiers bleus, Valois cherche à promouvoir une nouvelle culture au-delà des clivages habituels. Au début des années 1930, il se rapproche de plus en plus de la gauche sur une base coopérativiste et syndicaliste. En 1935, sa demande d’adhésion à la SFIO est pourtant refusée à cause de son passé.

 

Vous pensez bien que je ne m’associe pas un instant à ceux qui accusent fascistes et communistes d’employer les mêmes méthodes à l’égard de la liberté. Il n’y a rien de commun entre fascisme et communisme : le premier regarde la liberté comme un mal en soi ; le second en redoute l’usage chez des hommes encore mal informés et pouvant se laisser séduire ou tromper par les artifices intellectuels de leurs ennemis. C’est donc une grande sottise que d’assimiler fascisme et communisme en raison de la censure qu’ils exercent sur la vie intellectuelle.

Je ne retiens donc que le fait d’une censure en URSS, l’existence d’une orthodoxie idéologique qui limite la liberté intellectuelle. Je sais bien qu’il y a un bouillonnement intellectuel considérable en URSS tandis que c’est l’anémie en Italie et en Allemagne. Mais il reste que, au-dessus de toute la vie intellectuelle, il y a une orthodoxie idéologique, et que, dans un certain nombre de cas, il est dangereux de ne pas s’y conformer. Il reste également que, dans la vie civique de l’Union soviétique, il est extrêmement difficile d’exprimer une pensée, une tendance qui soient contraires à la pensée officielle, au système imposé par le Parti.

Je ne veux pas opposer à cette limitation la liberté dont nous jouissons en France. Je suis de ceux qui savent mieux que quiconque par quel ingénieux système le capitalisme, sans toucher aux apparences de la liberté, a établi un contrôle rigoureux pour étouffer la liberté intellectuelle et la liberté politique. Tout de même, il reste un domaine assez étendu où ces deux libertés peuvent être exercées, et c’est de ce domaine que l’on peut menacer et parfois atteindre le capitalisme dans ses œuvres vives.

Enfin, j’ajoute que je me rends parfaitement compte des nécessités rigoureuses qui se sont imposées au gouvernement soviétique menant contre l’Europe capitaliste une lutte gigantesque, où il était obligé de défendre des populations encore incultes, illettrées, contre la perfidie de tous les « services d’intelligences » de la coalition.

Tout ceci considéré (et bien d’autres choses encore), il reste une chose grave : qu’il y a en URSS une idéologie orthodoxe, au nom de laquelle l’État gouverne, et que, dans tout le socialisme politique, de la IIe et de la IIIe Internationale, il y a la même tendance à la création d’une idéologie orthodoxe.

C’est ici que je vous dis, camarades, que nous sommes nombreux, dans quelques pays d’Europe, à vouloir, en même temps, réaliser le socialisme, par le plus court chemin, et à nous opposer totalement au gouvernement d’une orthodoxie socialiste.

Nous sommes convaincus qu’il est possible d’édifier le socialisme dans la liberté, par la liberté et pour la liberté. Nous le disons en philosophes, en techniciens et en citoyens. Nous ajoutons que cette édification d’un socialisme libertaire n’est possible que si, premièrement, nous sortons des habitudes d’esprit que nous tenons tous des religions dont nous avons bu le lait, et si nous résolvons un problème d’organisation économique où, jusqu’ici, faute de solution, le socialisme a agi par décision autoritaire.

Georges Valois, Technique de la révolution syndicale, Paris, Éd. Liberté, 1935, p. 72-74.