1936. L’accord Matignon


Les élections des 26 avril et 3 mai 1936 portent au pouvoir le Front populaire. Le 4 juin, le président de la République, Albert Lebrun, appelle à la présidence du Conseil Léon Blum dont le parti dispose du plus fort groupe parlementaire. La constitution de ce nouveau gouvernement se fait sur fond de grèves. C’est aux usines Breguet du Havre, le 11 mai, qu’un vaste mouvement de grèves « sur le tas » a pris naissance. Les occupations d’usines poussent certains patrons à souhaiter l’arbitrage rapide du gouvernement. Après avoir rencontré les délégués d’une CGT réunifiée depuis le 25 mars 1936 et ceux du patronat, Blum les rassemble à l’hôtel Matignon où est signé, dans la nuit du 7 au 8 juin, l’accord du même nom.

 

Article premier — La délégation patronale admet l’établissement immédiat de contrats collectifs de travail.

Art. 2 — Ces contrats devront comprendre notamment les articles 3 à 5 ci-après :

Art. 3 — L’observation des lois s’imposant à tous les citoyens, les employeurs reconnaissent la liberté d’opinion ainsi que les droits pour les travailleurs d’adhérer librement et d’appartenir à un syndicat professionnel constitué en vertu du livre III du Code du Travail.

Les employeurs s’engagent à ne pas prendre en considération le fait d’appartenir ou de ne pas appartenir à un syndicat pour arrêter leurs décisions en ce qui concerne l’embauchage, la conduite ou la répartition du travail, les mesures de discipline ou de congédiement.

Si une des parties contractantes conteste le motif de congédiement d’un travailleur comme ayant été effectué en violation du droit syndical ci-dessus rappelé, les deux parties s’emploieront à reconnaître les faits et à apporter au cas litigieux une solution équitable.

Cette intervention ne fait pas obstacle au droit pour les parties d’obtenir judiciairement réparation du préjudice causé.

L’exercice du droit syndical ne doit pas avoir pour conséquences des actes contraires aux lois.

Art. 4 — Les salaires réels pratiqués pour tous les ouvriers, à la date du 25 mai 1936, seront, du jour de la reprise du travail, réajustés suivant une échelle décroissante commençant à 15 % pour les salaires les moins élevés pour arriver à 7 % pour les salaires les plus élevés. Le total des salaires de chaque établissement ne devant en aucun cas être augmenté de plus de 12 %. Les augmentations de salaires consenties depuis la date précitée seront imputées sur les réajustements ci-dessus définis. Toutefois, ces augmentations resteront acquises pour leur partie excédant lesdits réajustements.

Les négociations pour la fixation par contrat collectif de salaires minima par région et par catégorie qui vont s’engager immédiatement devront concerner en particulier le réajustement nécessaire des salaires anormalement bas.

La délégation patronale s’engage à procéder au réajustement nécessaire pour maintenir une relation normale entre les appointements des employés et les salaires.

Art. 5 — En dehors des cas particuliers déjà réglés par la loi, dans chaque établissement employant plus de 10 ouvriers, après accord entre organisations syndicales ou, à défaut, entre les intéressés, il sera institué deux titulaires ou plusieurs délégués ouvriers (titulaires et suppléants) suivant l’importance de l’établissement. Ces délégués ont qualité pour présenter à la direction les réclamations individuelles qui n’auraient pas été directement satisfaites visant l’application des lois, décrets, règlements ou code du Travail, des tarifs de salaires et des mesures d’hygiène et de sécurité.

Seront électeurs tous les ouvriers et ouvrières âgés de dix-huit ans, à condition d’avoir au moins trois mois de présence à l’établissement au moment de l’élection et de ne pas avoir été privés de leurs droits civiques.

Seront éligibles les électeurs définis ci-dessus, de nationalité française, âgés d’au moins vingt-cinq ans, travaillant dans l’établissement sans interruption depuis un an, sous réserve que cette durée de présence devra être abaissée si elle réduit à moins de cinq le nombre des éligibles.

Les ouvriers tenant commerce de détail, de quelque nature que ce soit, soit par eux-mêmes, soit par leur conjoint, ne sont pas éligibles.

Art. 6 — La délégation patronale s’engage à ce qu’il ne soit pris aucune sanction pour fait de grève.

Art. 7 — La délégation confédérale ouvrière demandera aux travailleurs en grève de décider la reprise du travail dès que les directeurs des établissements auront accepté l’accord général intervenu, et dès que les pourparlers relatifs à son application auront été engagés entre les directions et le personnel des établissements.

Paris, le 7 juin 1936.
L’Humanité, 8 juin 1936.