Le 19 juillet 1936, le gouvernement Giral, issu de la victoire électorale du Frente popular, appelle la France à l’aide, deux jours après le pronunciamiento du général Franco. La gauche de la SFIO et les communistes pressent Léon Blum d’y répondre favorablement. Pacifistes et radicaux s’y opposent. Sur le plan international, la Grande-Bretagne fait savoir qu’elle est hostile à tout engagement aux côtés du gouvernement républicain. Le 1er août, Blum propose un accord international de non-intervention puis fait accepter un contrôle maritime auquel participent l’Allemagne et l’Italie. C’est cette politique de non-intervention directe dans le conflit que le président du Conseil défend le 6 septembre 1936 dans le discours qu’il prononce à Luna-Park devant des militants socialistes.
Camarades, je vous parle gravement, je le sais, je suis venu ici pour cela. Je sais bien ce que chacun de vous souhaite au fond de lui-même. Je le sais très bien. Je le comprends très bien. Vous voudriez qu’on arrivât à une situation telle que les livraisons d’armes puissent être faites au profit du gouvernement régulier et ne puissent pas l’être au profit des forces rebelles. Naturellement, vous désirez cela. Dans d’autres pays, on désire exactement l’inverse.
Je vous le répète, c’est bien ce que vous pensez, j’ai traduit votre pensée ! Mais, vous comprenez également qu’ailleurs on veuille agir de telle sorte que les rebelles soient munis sans que le gouvernement régulier reçoive quelque chose.
Alors, à moins de faire triompher la rigueur du droit international par la force et à moins aussi que l’égalité même sur le plan du droit international ne soit rétablie par la reconnaissance de fait, alors ? Devant quelle situation se trouve-t-on ? N’espérez dans la possibilité d’aucune combinaison qui, sur le plan européen, permette d’assister les uns, sans qu’on assiste par contre les autres.
Demandez-vous aussi qui peut fournir dans le secret, par la concentration des pouvoirs dans la même main, par l’intensité des armements, par le potentiel industriel, comme on dit ; demandez-vous aussi qui peut s’assurer l’avantage dans une telle concurrence. Demandez-vous cela ! Une fois la concurrence des armements installés, car elle est fatale dans cette hypothèse, elle ne restera jamais unilatérale. Une fois la concurrence des armements installée sur le sol espagnol, quelles peuvent être les conséquences pour l’Europe entière, cela dans la situation d’aujourd’hui ?
Et alors, si ces pensées sont maintenant suffisamment claires et suffisamment présentes devant votre esprit, ne vous étonnez pas trop, mes amis, si le gouvernement a agi ainsi. Je dis le gouvernement, mais je pourrais aussi bien parler à la première personne, car j’assume toutes les responsabilités.
[Vifs applaudissements.]
Au nom du gouvernement que je préside, je n’accepte pas d’exception de personne ou d’exception de partis. Si nous avons mal agi aujourd’hui, je serais aussi coupable, en ayant laissé faire qu’en le faisant moi-même ; je n’accepte pas ces distinctions…
Ne vous étonnez pas si nous sommes venus à cette idée. La solution, ce qui permettrait peut-être à la fois d’assurer le salut de l’Espagne et le salut de la paix, c’est la conclusion d’une convention internationale par laquelle toutes les puissances s’engageraient, non pas à la neutralité — il ne s’agit pas de ce mot qui n’a rien à faire en l’espèce — mais à l’abstention, en ce qui concerne les livraisons d’armes, et s’engageraient à interdire l’exportation en Espagne du matériel de guerre.
Nous sommes donc arrivés à cette idée par le chemin que je vous trace, chemin sur lequel nous avons connu, je vous l’assure, nous aussi, quelques stations assez cruelles. Je ne dis pas que nous n’ayons pas commis d’erreurs, je ne veux pas nous laver de toute faute possible. Qui n’en commet pas ?
Le Populaire, 7 septembre 1936.