1943. Le giraudisme


Évadé en avril 1942 de la forteresse de Königstein, le général Henri Giraud (1879-1949) gagne l’Afrique du Nord et s’empare après l’assassinat de Darlan du commandement civil et militaire. Fort du soutien américain, il s’oppose au général de Gaulle et maintient en Afrique du Nord la législation vichyste. L’allure réactionnaire de cette politique desservant son prestige, Giraud, conseillé par Jean Monnet, se résout à prononcer « le premier discours démocratique de sa vie » le 14 mars 1943 devant un public d’Alsaciens-Lorrains.

 

[…] Ce sera la France tout entière qui partagera avec ses alliés la victoire de la cause pour laquelle elle a tant souffert. La France reprendra ainsi sa place parmi les nations victorieuses, le peuple de France redeviendra alors maître de ses destinées. Les conditions essentielles de la libre expression de sa souveraineté seront restaurées en France. Le peuple de France formera alors son gouvernement provisoire d’après les lois constitutionnelles de la République. L’expression de la souveraineté du peuple français a été interrompue par l’occupation allemande, elle ne sera reprise que lorsque la France sera libérée. Je donne au peuple de France l’assurance la plus solennelle que son droit sacré de déterminer par lui-même, le choix de son gouvernement provisoire sera entièrement sauvegardé. Je l’assure que les conditions qui lui permettront de faire ce choix dans l’ordre et dans le cadre de ses libertés rétablies seront assurées. Je l’assure que cette situation sera créée dès que la France sera libérée. Je suis le serviteur du peuple français, je ne suis pas son chef : tous les Français groupés autour de moi, tous, de moi au dernier soldat de l’armée de la victoire, nous sommes les serviteurs du peuple de France. Nous serons, demain, les serviteurs du gouvernement provisoire qu’il se sera librement donné.

Depuis cette date du 22 juin 1940, la volonté du peuple français a cessé de s’exprimer librement et publiquement. En occupant les deux tiers de la France et sa capitale, en contrôlant le gouvernement et tous les services publics, en dirigeant l’économie ouvertement et secrètement, en limitant ou en déformant la vie intellectuelle, en agissant sur la vie sociale, en imposant les législations d’exception, intolérables à la conscience française, le Reich a interdit au peuple français de faire connaître son opinion. La volonté du peuple, seule, peut fonder la loi ; en dehors d’elle, les textes sont frappés du vice de nullité : ou ce sont des constructions doctrinaires sans signification collective, ou ce sont des ordres de la puissance occupante sous l’apparence de lois nationales.

En l’absence du fondement légitime, que seule peut donner la volonté du peuple français, la législation postérieure au 22 juin 1940, ou spontanée mais bureaucratique, ou dictée et étrangère, est dénuée de valeur légale : elle ne peut être considérée que comme nulle, élaborée et promulguée sans le peuple français ou contre lui. De cette situation nous devons tirer les conséquences et dans les textes et pour les hommes. Nous répudions l’arbitraire, imposé au peuple français. […]

Français mes frères, je souhaite de tout mon cœur l’union de tous. Cette union doit être effective, généreuse, elle rassemblera non seulement les Français de France actuellement courbés sous le joug de l’ennemi, mais également les Français qui comme nous se trouvent hors de France. Cette union est indispensable, c’est une question de vie ou de mort pour notre pays ; la désunion est le signe de la défaite, l’union, la marque de la victoire.

Je suis prêt pour ma part à coopérer avec tous ceux qui, acceptant les principes fondamentaux et traditionnels dont j’ai parlé plus haut, se joignant aux engagements solennels que je prends vis-à-vis du peuple de France, participent à la lutte contre l’ennemi.

Permettez-moi de demander au Seigneur que la victoire soit prochaine, qu’elle empêche le retour des horreurs que nous avons vécues, que nous vivons encore, et qu’elle donne aux hommes de bonne volonté le moyen de vivre en paix, en se comprenant, en s’aidant, je n’ose pas dire en s’aimant. N’est-ce pas cependant l’ordre qui nous est tombé du ciel que nous avons si souvent méconnu ? Tâchons après cette tragique épreuve de moins l’oublier et de mieux l’appliquer, cela n’exclut pas l’énergie, croyez-en l’évadé de Königstein.

H. Giraud, discours du 14 mars 1943, in Discours et Messages du général Giraud, Alger, Commissariat à l’Information, 1943, p. 31-35.