1946. Le programme communiste


Le premier projet constitutionnel ayant été rejeté le 5 mai 1946, les électeurs sont invités, le 2 juin, à désigner leurs représentants à l’Assemblée consultative. Dans un appel radiodiffusé — retranscrit par le quotidien L’Humanité —, Maurice Thorez (1900-1964), secrétaire général du PCF et vice-président du Conseil dans le ministère Gouin, appelle à voter communiste.

 

FRANÇAISES, FRANÇAIS

 

Notre pays — grâce au labeur de ses fils, ouvriers, paysans, techniciens, savants —, notre pays remonte peu à peu de l’abîme de souffrances et d’humiliations où l’avaient précipité les barbares hitlériens et leurs complices munichois et vichyssois.

C’est là ce que ne peuvent supporter les hommes de la réaction qui disaient avant la guerre : « Plutôt Hitler que le Front populaire » et qui disent aujourd’hui : « Périsse la France plutôt que de laisser toucher à nos privilèges. »

Recourant au mensonge et à la calomnie, semant la panique, ils sont parvenus à nous maintenir dans le provisoire, dans cette atmosphère d’incertitude et d’inquiétude propice aux aventures et aux coups de force des ennemis du peuple.

Ils ont dit que nous voulions porter atteinte à la propriété, fruit du travail et de l’épargne, alors que par les nationalisations nous avons protégé la petite propriété contre les trusts expropriateurs, contre ceux qui, depuis moins d’un demi-siècle, ont chassé des terres familiales deux millions de paysans français.

Ils ont dit, eux les hommes des décrets-lois et de la terreur vichyste, que nous allions à la dictature, parce qu’une majorité républicaine, s’appuyant sur la classe ouvrière, s’est efforcée de réaliser honnêtement le programme du Conseil national de la Résistance.

Les hommes de la réaction sont parvenus à faire repousser une Constitution où s’inscrivaient de généreux principes répondant aux aspirations populaires vers toujours plus de liberté, de progrès et de justice sociale : droits égaux à la femme et à l’homme ; intégrité et dignité de la personne humaine ; protection de la famille, de la mère et de l’enfant ; droit à l’instruction pour tous, droit au travail et au repos ; droit à la sécurité sociale ; participation des salariés à la gestion des grandes entreprises.

La réaction veut revenir sur les avantages accordés au monde du travail : la semaine de quarante heures et les majorations de salaires pour les heures supplémentaires ; la retraite des vieux ; le statut du fonctionnaire ; le statut du fermage et du métayage ; la propriété commerciale.

Le plus grave, c’est que la réaction est parvenue à diviser les Français en deux blocs. Si une telle division persistait, tous les espoirs de renaissance française s’évanouiraient.

Aussi les communistes, tenant compte loyalement des indications du suffrage universel, rechercheront-ils, avec tous les républicains, les formules d’accord quant à l’aménagement des pouvoirs publics.

Toutefois, nous croyons nécessaire de maintenir dans la future Constitution :

— les droits économiques et sociaux,

— la souveraineté sans partage de l’Assemblée élue par le suffrage universel,

— la laïcité de l’État et de l’École.

Et nous demeurerons fidèles à la représentation proportionnelle, au scrutin juste et loyal que réclamaient Guesde et Jaurès.

 

FRANÇAISES, FRANÇAIS,

 

Si vous voulez que soit élaborée une Constitution démocratique, laïque et sociale : votez communiste.

Si vous voulez que soit poursuivie l’œuvre de redressement national, à laquelle notre Parti s’honore de contribuer efficacement, comme il avait contribué, plus qu’aucun autre, à la bataille de la résistance et de la libération : votez communiste.

Si vous voulez que soit pratiquée une politique française de paix, une politique fondée sur l’entente avec tous nos alliés, et sur la reconnaissance des droits de la France à la sécurité et aux réparations : votez communiste.

 

FRANÇAISES, FRANÇAIS,

 

Si vous voulez le bonheur de vos foyers et l’indépendance de la patrie, votez pour le parti des travailleurs, qui s’est affirmé un grand parti de gouvernement.

Méprisez les calomnies et les outrages dont nous abreuvent les ennemis du peuple.

Rappelez-vous la réponse du hibou, persécuté par les corbeaux, au philosophe qui l’interroge : « Mon crime est d’y voir clair la nuit. » Votez pour le parti qui a su voir clair et combattre dans la nuit de l’occupation et de l’oppression. Votez pour le Parti des fusillés, morts pour que vive la France, morts pour préparer à nos enfants des lendemains qui chantent.

Pour la République et pour la France :

 

Votez communiste.

M. Thorez, « Appel du 1er juin 1946 », L’Humanité, 2 juin 1946.