1947. La scission syndicale


Le climat social extrêmement tendu, la violence des manifestations parfois accompagnées de morts, la révocation des ministres communistes le 5 mai 1947, ont mis à nu la fragilité de l’unité syndicale. Au début de l’automne 1947, la scission de la CGT semble être devenue inévitable. Les militants du groupe Force ouvrière emmenés par Léon Jouhaux sont favorables à une reprise du travail. Réunis en conférence nationale, salle des Horticulteurs, les 18 et 19 décembre, ils se mettent d’accord sur le texte suivant qui conduit à la création d’un nouveau syndicat en avril 1948 : la CGT-FO.

 

Confirmant son précédent manifeste des 3 et 9 novembre, renouvelle son attachement à l’indépendance du mouvement syndical à l’égard de tous les partis politiques et de tous les gouvernements quels qu’ils soient, ainsi que son souci d’une véritable démocratie à tous les échelons de la Centrale syndicale.

Constate que son appel en vue de maintenir l’unité ouvrière n’a pas été entendu par la majorité qui a violé elle-même ses propres décisions du Comité confédéral des 12 et 13 novembre.

Ces décisions prévoyaient en effet la consultation jusqu’au 15 décembre des travailleurs organisés et des inorganisés sur les moyens d’action à adopter pour faire aboutir les revendications posées, le CCN du 19 décembre devant seul prendre les mesures conformes à l’opinion des travailleurs démocratiquement consultés.

Les ordres de grève, lancés immédiatement après le CCN par certains syndicats, fédérations ou unions départementales, l’ont été dans le mépris le plus total de la démocratie syndicale et souvent contre la volonté de la majorité des travailleurs.

En conséquence :

La Confédération approuve pleinement l’action de la minorité du Bureau confédéral, agissant en plein accord avec le groupe central Force ouvrière, et les démarches effectuées pour obtenir une solution conforme aux véritables intérêts des travailleurs et mettre ainsi fin à des conflits préjudiciables au redressement économique du pays.

Elle fait siennes les différentes déclarations du groupe central Force ouvrière, qui ont permis, à un moment décisif, de redonner confiance à de nombreux salariés.

La Conférence rejette les accusations calomnieuses lancées par les dirigeants majoritaires de la CGT contre les militants qui se réclament de Force ouvrière.

Elle constate, au contraire, que, malgré le solennel avertissement adressé au CCN par la minorité, la majorité confédérale, pour des fins étrangères au syndicalisme, n’a pas hésité à lancer la classe ouvrière dans une aventure qui ne pouvait que rompre l’unité syndicale.

La Conférence s’incline devant les manifestants tués au cours des récentes grèves. Mais elle dénonce et condamne les sévices et les actes de violence graves commis envers des ouvriers qui, usant de leur droit le plus strict de travailleurs, s’étaient prononcés contre la grève politique.

De telles exactions risquent de déshonorer le mouvement syndical si elles étaient passées sous silence.

La Conférence portera devant l’opinion publique le dossier qu’elle a constitué sur ces faits.

Elle salue la combativité et le courage des travailleurs qui, même trompés par certains de leurs chefs, se sont admirablement comportés dans une bataille malencontreusement engagée.

Consciente de la valeur qui s’attache à l’unité syndicale, mais constatant que cette unité est d’ores et déjà brisée par des départs massifs dus à la politique pratiquée par les éléments majoritaires :

Constatant également que les éléments minoritaires du Bureau confédéral risquent, dès maintenant, de n’être plus que des otages au sein de l’organisation :

La Conférence considère que la véritable Confédération générale des travailleurs continue en dehors de l’organisation existante, qui n’a plus de la CGT que le nom, puisqu’elle a violé délibérément ses propres statuts et bafoué les véritables principes du syndicalisme traditionnel ;

Tirant les conséquences logiques de cette situation, qu’elle n’a pas voulue et qu’elle a tout fait pour éviter, la Conférence Force ouvrière :

Demande à tous les militants responsables de constituer sans délai l’organisation sur le plan des syndicats, des unions départementales et des fédérations, afin de préparer, dès que possible, un congrès constitutif de la véritable Centrale confédérée de tous les travailleurs ;

Demande à ses camarades du Bureau confédéral de démissionner de leur poste ;

Charge le groupe central Force ouvrière d’assurer provisoirement la direction du Mouvement et de prendre tous les contacts nécessaires en vue de réaliser le rassemblement le plus large.

 

L’organisation Force ouvrière affirme sa volonté de conserver à son compte, pour le faire triompher et appliquer intégralement, le programme constitutif qui fut celui de la vieille Confédération générale du travail, dont elle se déclare la véritable continuatrice.

L’organisation Force ouvrière affirme son inébranlable hostilité à toute instauration du pouvoir personnel ; par sa puissance et ses réalisations, elle saura faire échec à toute tentative de cet ordre.

Consciente des dangers qui menacent la paix internationale, l’organisation Force ouvrière exprime son opposition à la politique de blocs antagonistes dont la France constitue l’un des enjeux ; elle estime que tout doit être mis en œuvre pour opérer un rapprochement économique entre toutes les nations, condition indispensable à la paix mondiale.

 

L’organisation Force ouvrière lance solennellement un appel à tous les travailleurs de France et d’outre-mer pour adhérer au Mouvement et réaliser ainsi l’unité véritable et féconde de tous les ouvriers, employés, agents de maîtrise, techniciens, fonctionnaires, agents des services publics, travailleurs agricoles, ingénieurs et cadres, dans une grande et puissante Confédération syndicale qui sera LA VÉRITABLE CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL, déterminant elle-même, et elle seule, son action, librement et démocratiquement, sur les plans revendicatif et gestionnaire, pour l’émancipation totale des travailleurs.

En libérant le Mouvement syndical français de toute emprise politique Force ouvrière, fidèle à l’idéal de fraternité humaine, salue tous les travailleurs du monde qui luttent également pour leur affranchissement.

Office universitaire de recherches socialistes.