1956. La loi-cadre Defferre


Le gouvernement de Guy Mollet doit affronter une situation difficile dans la France non métropolitaine, notamment en Algérie où une guerre s’esquisse depuis l’insurrection de la Toussaint 1954. Gaston Defferre (1910-1986), actif maire de Marseille, qui s’est illustré par son désir de négociation en Indochine, est nommé ministre de la France d’Outre-Mer. Il prépare, avec célérité, pour l’Afrique noire, une loi-cadre instaurant partout le suffrage universel direct et le collège unique qu’on hésite au même moment à établir en Algérie. Le pouvoir fédéral doit appartenir au haut-commissaire français et à une assemblée, ou Grand Conseil, désignée par les assemblées locales, et souveraine en matière budgétaire, économique et sociale. Les indigènes doivent avoir accès à tous les emplois. Le 21 mars 1956, Gaston Defferre présente son projet devant les députés qui le votent le 23 mars.

 

Le plan de réformes que nous propose le gouvernement constitue incontestablement un grand pas en avant dans la voie tracée par la Constitution qui rappelle — c’est une citation qui a été souvent faite à cette tribune, mais j’espère qu’aujourd’hui elle va être enfin suivie d’effet — que, « fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ».

Ce pas est-il trop grand et le projet du gouvernement est-il prématuré, est-il imprudent, est-il dangereux ? C’est la première question à laquelle je dois répondre, car si tout le monde dans cette assemblée est, je crois, d’accord pour reconnaître qu’il faut faire quelque chose nous ne le sommes pas tous sur ce qui doit être fait. Certains, en effet, estiment que les réformes proposées devront être un jour réalisées, mais qu’il est encore trop tôt et qu’il est imprudent de ne pas ménager davantage de transition.

Écoutez à ce propos, mesdames, messieurs, le rappel de déclarations qui prennent aujourd’hui un relief particulier :

« En Afrique française comme dans tous les territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n’y aurait aucun progrès qui soit un progrès si les hommes, sur leur terre natale, n’en profitaient pas moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient pas s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. »

Ces déclarations ont été faites il y a plus de douze ans, le 20 janvier 1944, par le général de Gaulle dans un discours d’ouverture de la conférence de Brazzaville, qui avait d’ailleurs commencé par ces mots : « Attendez, nous conseillerait sans doute la fausse prudence d’autrefois. »

Depuis, les populations d’outre-mer ont obtenu le droit d’élire des députés, des conseillers de la République, des délégués à l’Assemblée de l’Union française. Puis les assemblées territoriales ont été constituées, des communes de plein exercice seront en place avant la fin de l’année.

Ces réformes, contrairement à ce qu’avaient annoncé certains, n’ont pas provoqué de trouble, n’ont pas rompu les liens qui unissaient ces territoires à la métropole. Elles ont permis aux populations d’outre-mer de s’exprimer librement, elles ont commencé à leur apprendre le fonctionnement des institutions démocratiques.

Je suis convaincu que c’est en grande partie parce que nous avons su accorder à ces populations les libertés qu’elles nous demandaient qu’elles sont restées calmes et fidèles à la France [applaudissements à gauche et au centre] alors qu’en Indochine et en Afrique du Nord le sang a coulé et coule encore.

D’autres réformes ont été promises, sont attendues, sont nécessaires au point d’évolution où en sont arrivées les populations des territoires d’outre-mer. Ne donnons pas l’impression de n’agir qu’à demi, qu’à regret, de reprendre d’une main ce que nous accordons de l’autre. Rappelons-nous que rien n’est plus imprudent qu’une certaine forme de prudence ; sachons faire confiance à ceux dont la fidélité ne nous a jamais fait défaut et qui attendent, certes avec impatience, mais dans la paix, que le gouvernement et le Parlement français, dont leurs représentants font partie, leur accordent ce qu’ils espèrent maintenant de nous.

Ne lassons pas encore une fois la confiance de ceux qui croient encore en nous.

Journal officiel, 21 mars 1956 (1re séance).