1967. La légalisation de la contraception


Le 1er juillet 1967, les députés discutent la proposition de loi formulée par Lucien Neuwirth (1924) visant à autoriser la contraception. Dans son discours, le député UDR de la Loire, rapporteur de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, développe les motifs qui l’incitent à modifier la loi du 31 juillet 1920, une analyse que Jacques Hébert (1920), médecin et député UDR de la Manche, conteste avec vigueur. Votée le 19 décembre 1967, la loi Neu wirth n’entre que progressivement en vigueur, les décrets d’application n’étant pris qu’en 1969 et 1972.

 

M. Lucien Neuwirth, rapporteur : […] Pour nous, il ne s’agit point de permettre aux Français de ne pas mettre au monde les enfants qu’ils ne désirent pas, mais au contraire de les aider à créer une famille dont il leur appartiendra en propre de fixer l’importance et le rythme d’accroissement en fonction de leurs possibilités.

M. le ministre de l’Économie et des Finances souhaite une jeunesse nombreuse. Moi aussi. Mais qui veut la fin, veut les moyens.

Il est établi que le pouvoir d’achat des familles de plusieurs enfants augmente moins vite que celui des familles sans enfant.

Il est établi qu’il est très difficile aux familles de condition modeste d’accéder à de grands appartements, plus spécialement dans les HLM qui en comptent trop peu.

Il est établi que, sans appliquer les principes du quotient familial, le montant des bourses d’études est insuffisant.

Il est établi enfin que l’allocation de salaire unique aujourd’hui est une dérision alors qu’elle constitue la clé de voûte d’une politique véritable de la natalité.

L’incertitude du lendemain, l’insuffisance de l’aide aux familles sont des facteurs primordiaux qui influent sur la courbe démographique.

La contraception diffère les naissances plus qu’elle ne les empêche.

Une politique de la natalité est autre chose qu’un investissement à long terme. Et sa seule forme possible est une politique de la famille et de l’accueil de l’enfant. […]

Nous estimons que l’heure est désormais venue de passer de la maternité accidentelle et due souvent au seul hasard, à une maternité consciente et pleinement responsable.

Ce n’est pas par le seul moyen d’une législation répressive — la preuve en est faite — que nous augmenterons le rythme des naissances.

C’est, au contraire, en offrant à chacun la possibilité d’avoir des enfants quand il le désire, mais aussi la certitude de pouvoir les élever dignement. […]

C’est un pas considérable vers une nécessaire amélioration des conditions d’existence de la femme, laquelle a supporté seule, jusqu’à présent, tout le poids de la fécondité. […]

Combien de millions de nos infortunées compagnes ont vécu et vivent encore avec la hantise de certaine période du mois. Certains exaltent, d’ailleurs avec raison, la nécessaire maîtrise de soi de l’homme ; mais il est hélas ! bien établi que, lorsque cette maîtrise est défaillante — à supposer que chacun en fasse preuve —, c’est la femme qui, seule, en supporte les conséquences, depuis la grossesse jusqu’après l’adolescence de l’enfant, en admettant que tout cela ne se termine pas par l’avortement.

Au cours de ce long et minutieux travail d’études des propositions de loi que j’ai l’honneur de rapporter, j’ai entendu de nombreuses femmes et j’ai reçu de nombreuses lettres de femmes retraçant leurs drames lamentables, la recherche d’un médecin « compréhensif », puis, au fils des jours, l’affolement, les demandes pour obtenir une « bonne adresse » et finalement l’avortement clandestin chez une matrone qui faisait payer cher ses « services » ou, pour les moins fortunées, le fonds du désespoir.

Cependant, toutes étaient terriblement traumatisées car beaucoup de ces avortées ont le sentiment d’être les victimes d’une impardonnable injustice qui les marque physiquement et moralement.

D’autre part, combien de couples sont déséquilibrés pour ne pas connaître une vie intime complète et confiante ! Et pourtant, quoi de plus merveilleux que deux êtres qui affrontent ensemble les combats de la vie et dont le plus bel achèvement est la maternité voulue, attendue, préparée, une maternité qui n’est pas redoutée, refusée ?

Par le vote de la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre, les conditions d’existence de millions de couples seront transformées.

La crainte, en ce qui concerne la contraception, vient aussi du fait que beaucoup de parents redoutent un relâchement des mœurs ; ils redoutent en particulier que la peur de la grossesse qui maintenait bon gré mal gré certaines jeunes filles dans la voie de la vertu ayant disparu, celles-ci se laissent aller à des expériences répréhensibles et que le mariage ne devienne qu’une expérience après d’autres expériences.

C’est une des raisons pour lesquelles le texte qui vous a été présenté pose des verrous qui demeurent encore une exigence sans négliger ce facteur, indispensable à nos yeux, qu’est l’éducation familiale et la responsabilité directe des parents.

Cela posé, il est bien évident que, dans toute collectivité humaine, se trouvent un certain nombre d’éléments perturbés, affligés d’une sexualité déréglée, et dont aucune loi au monde ne pourra prévenir les débordements. Cela est vrai pour les garçons comme pour les filles.

Il reste que le problème fondamental est celui d’information, problème d’autant plus difficile qu’il sera nécessaire de toucher pratiquement tous les groupes de la population, et d’abord les enfants, pour lesquels il conviendra d’introduire dans les cours de sciences naturelles les explications relatives à la naissance. L’enfant trouvera alors tout à fait normal d’étudier aussi bien le processus de reproduction des hommes que ceux des poussins ou des poissons. […]

Une autre crainte est celle qu’éprouvent les femmes devant les dangers que peuvent présenter la pilule ou les autres contraceptifs.

Cette crainte est d’abord due au fait que n’importe qui a pu raconter n’importe quoi, sans qu’un organisme spécialisé et ayant vocation pour le faire fournisse des informations sérieuses et contrôlées en la matière. C’est, là aussi, une raison du développement nécessaire de la recherche médicale sur les conséquences de l’utilisation de telle ou telle méthode contraceptive.

On ne peut assimiler la régulation à la limitation des naissances. Il en va différemment dans les pays en voie de développement où l’explosion démographique due pour une grande part à la misère est, de plus, facilitée par la baisse de la mortalité infantile, la disparition des épidémies et des grandes famines qui servaient auparavant d’impitoyables régulateurs.

Un effort colossal est en cours sous les auspices de l’ONU et de l’Organisation mondiale de la santé pour limiter les naissances dans ces pays, car, dans l’état actuel des choses, il faut savoir qu’un enfant sur quatre qui vient au monde mourra de faim.

Chez nous, il est impossible de continuer à contraindre des malheureuses à l’avortement, à la mutilation, au désespoir ou à la névrose. Il apparaît aberrant de laisser les couples se désagréger, se déchirer, alors que la science, sous le contrôle des médecins, met à notre portée les possibilités, non seulement d’éviter des drames, mais aussi d’assurer l’équilibre et le bonheur de millions de couples.

Cette situation ne peut se prolonger dans notre France de 1967, dans cette nation qui a donné la liberté au monde et dont la tolérance est la règle d’or. Se pourrait-il que les tenants de l’état de choses actuel interdisent au peuple, réputé intelligent, de ce pays de devenir responsable de sa destinée et de celles qui dépendent de la sienne ? Nous ne le croyons pas. Désormais, il existe une prise de conscience indéniable et collective de l’absurdité d’une telle situation.

Le respect de la liberté des consciences est profondément incrusté en nous. C’est pourquoi il est parfaitement admissible que, par conviction morale ou religieuse, on se refuse à utiliser certains moyens contraceptifs. C’est un principe fondamental de la liberté individuelle. Mais, en vertu même de ce principe, cette possibilité d’utilisation ne doit pas être interdite par la loi, comme c’est le cas actuellement, pour tous ceux qui la souhaitent.

En vertu de quel critère démocratique pourrait-on imposer à tous, dans un domaine aussi intime, la volonté de quelques-uns ? […]

Assemblée nationale, séance du 1er juillet 1967, JO, 2 juillet 1967, p. 2557-2558.

 

M. Jacques Hébert : […] Mes chers collègues, environ 3 ou 4 p. 100 des enfants naissent actuellement avec des malformations congénitales qui proviennent soit d’une embryopathie ou d’une fœtopathie, soit d’une maladie génique héréditaire, soit d’une aberration chromosomique. […]

Des travaux récents ont établi que tous les caractères héréditaires sont déterminés par des gènes répartis linéairement sur les chromosomes, que chaque caractère héréditaire est sous la dépendance de deux gènes, l’un provenant du père, l’autre de la mère, et que ce sont les chromosomes qui transportent en quelque sorte le message héréditaire. […]

Inutile de vous dire, mes chers collègues, que de nombreux médecins se sont demandé quelle était l’étiologie, c’est-à-dire les causes de ces aberrations chromosomiques. Celles-ci semblent d’ailleurs presque aussi indéterminées qu’aux premières heures de leur étude.

Une chose est cependant certaine : l’âge de la mère accroît la fréquence du mongolisme et du syndrome de Klinefelter. Je me dois de vous rappeler qu’à partir du quatrième mois de la vie intra-utérine la petite fille dispose de tout son capital ovulaire, qu’à partir du septième mois de la vie fœtale jusqu’à la puberté l’oogénèse est interrompue, l’oocyte, c’est-à-dire pratiquement l’ovule, ne reprenant son évolution qu’avec les cycles menstruels. […]

Personne ne peut affirmer actuellement que le blocage de l’ovulation n’entraînera aucune modification de l’oocyte et, plus particulièrement, du message héréditaire. L’inverse est vraisemblable puisque le but de cette médication est de retarder le moment de l’ovulation et que, plus le matériel ovulaire est vieilli, plus le risque est grand.

La médecine moderne semble bien le démontrer. Les traitements de la stérilité par blocage ovulaire momentané, entrepris avec des produits hormonaux en Suède, aux États-Unis et en Allemagne ont entraîné un nombre relativement important de grossesses à cinq ou six fœtus dont beaucoup étaient porteurs de malformations importantes.

Enfin, nous connaissons, assez mal d’ailleurs, les expériences de médecine vétérinaire soviétique et sud-américaine effectuées dans le but d’obtenir par blocage ovulatoire momentané, chez les bovidés, des grossesses gémellaires. Il semble que ces recherches aient été abandonnées par suite du nombre trop grand de produits anormaux.

Et je pourrais citer également les expériences de Lyssenko sur les séries végétales.

Vous me direz, bien sûr, que des dizaines de milliers de femmes utilisent la pilule, c’est-à-dire un contraceptif oral. Je suis d’accord avec vous. Mais s’il ne semble pas y avoir d’effets immédiats, qui peut dire ce qui se passera dans deux, trois ou quatre générations ?

Je vous répondrai encore que l’expérience de chaque jour nous apprend, à nous médecins, que la transmission des tares, comme des qualités d’ailleurs, chez l’homme, saute pratiquement une génération, et que l’on retrouve chez les petits-enfants les caractères somatiques des grands-parents bien plus que ceux des parents. Or, aucun des enfants nés après pilule n’a encore eu la possibilité de se reproduire. […]

Mes chers collègues, nous avons le devoir, nous qui sommes, en tant que législateurs, responsables devant les générations futures du patrimoine biologique des Français, de ne pas autoriser la diffusion de procédés ou de produits dont les conséquences lointaines sont encore très mal connues.

Le risque d’une modification légalement autorisée des gamètes dépositaires du patrimoine héréditaire de l’espèce est d’une extrême gravité pour cette espèce.

Des intérêts matériels considérables ont sans doute motivé certaines prises de position stupéfiantes. Une flambée inouïe d’érotisme entretenue et attisée par la propagande politique — aussi bien d’ailleurs de la majorité que de l’opposition — en faveur des techniques anticonceptionnelles hormonales menace notre pays.

Pour nos pères, la stérilité était une tare ; elle est en train de devenir une vertu. Laissez-moi vous dire que je ris de toutes les discussions byzantines et casuistiques qui s’instaurent au nom du respect de la vie, dans le but de savoir à partir de quand elle existe et quand il sera licite ou non de la supprimer. Nulle part, la vie n’est aussi intense, aussi concentrée, autant rassemblée que dans les gamètes, spermatozoïdes et ovules qui sont le véhicule de tout le potentiel évolutif de l’espèce.

Détruire la vie avant la fécondation, après la fécondation, avant la nidation, après la nidation, revient au même sur le plan de l’éthique.

Soyons logiques — et c’est un médecin qui vous parle —, autorisons toutes les méthodes, toutes les pratiques qui sont susceptibles d’empêcher la fécondation, d’interdire la nidation et même — ne soyons pas hypocrites — autorisons, si nous l’estimons nécessaire et si un couple ou une femme ne veut pas avoir d’enfant, l’avortement chirurgical, pratiquement sans danger ; mais ne prenons pas le risque de modifier en quoi que ce soit le message héréditaire, sinon nous nous retrouverons d’ici à quelques années avec non plus 4 p. 100 d’enfants anormaux, mais bien davantage.

Faut-il en appeler à tous les malheureux parents d’enfants anormaux ?

Est-il, pour un couple, une épreuve plus pénible, une croix plus lourde à supporter ?

Quel homme, quelle femme avertis seront assez égoïstes pour exposer sciemment leurs enfants à venir, leurs petits-enfants et tous ceux qui pourront naître d’eux — car ces maladies sont transmissibles — à ce risque horrible, même s’il paraît minime à d’aucuns ?

Non, la vente des hormones anticonceptionnelles ne doit pas être autorisée dans les conditions d’information actuelles, sauf pour raisons thérapeutiques.

C’est pourquoi, monsieur le Ministre, je vous supplie de renvoyer ce texte pour qu’une nouvelle proposition soit déposée et que l’opinion publique soit informée des dangers des contraceptifs oraux, comme elle l’est aux États-Unis ou en Scandinavie où 9 à 20 p. 100 de femmes seulement, suivant les statistiques, utilisent la pilule, les autres préférant recourir à des procédés aussi efficaces mais beaucoup moins dangereux pour elles-mêmes et, surtout, pour leur descendance.

[Applaudissements sur les bancs de l’Union démocratique pour la Ve République.]

Assemblée nationale, séance du 1er juillet 1967, JO, 2 juillet 1967, p. 2564-2565.