Le 27 juin 1972, le Parti socialiste et le PCF signent un Programme commun de gouvernement. Jusqu’en 1976, le Parti communiste, fort de sa puissance, soutient loyalement l’Union de la gauche. A partir de 1976 toutefois, la situation évolue, et le PCF tend à prendre ses distances. Il exige notamment une extension du programme prévu en matière de nationalisations. Si la gauche finit par s’entendre sur la réactualisation du Programme commun (29 juillet 1977), la direction du PC n’en maintient pas moins ses positions. La lettre adressée au Comité directeur du Parti socialiste par le Comité central du PCF — réuni en session extraordinaire le 23 septembre 1977 — illustre la tension entre les deux partis.
En cette heure grave, nous voulons nous adresser à vous. Nous le faisons au nom de la cause qui nous anime : celle de l’union pour le changement démocratique.
Depuis quinze années, c’est à cette cause que nous avons consacré tous nos efforts. Souvenez-vous. En 1962, nous vous lancions cet appel : « Marchons côte à côte et frappons ensemble. » En 1964, nous vous faisions la proposition de conclure entre nous un programme commun de gouvernement. Et nous avons lutté sans relâche pour aboutir, en 1972, à sa conclusion. En 1965, à notre initiative, nous avons fait, avec vous, de François Mitterrand le candidat unique de la gauche. En 1974, ce fut notre proposition et notre campagne pour un candidat commun de la gauche. En 1976, c’était notre appel à présenter des listes communes aux élections municipales. Oui, nous avons tout fait depuis quinze ans pour ce seul objectif : renforcer notre union, la rendre plus forte, plus large.
Cela n’a pas été facile. Cela n’a pas été rapide. Nous le prévoyions en nous engageant dans cette voie, car nos deux partis étaient très loin l’un de l’autre. Mais nous étions, et nous sommes plus profondément que jamais, persuadés que cette union constitue le seul moyen d’ouvrir une voie nouvelle dans l’intérêt du peuple et du pays.
Naturellement, nos partis sont différents. Mais nous considérons que, comme le dit le préambule du Programme commun, cela ne doit pas mettre en cause « leur volonté et leur capacité de gouverner ensemble ». La seule et vraie question qui se pose aujourd’hui, c’est donc de maintenir et de consolider l’union sur un bon programme commun répondant bien aux besoins des travailleurs et du pays pour vaincre nos adversaires et réussir une grande politique nouvelle de progrès social, de démocratie économique et politique, d’indépendance nationale et de désarmement.
C’est avec cette volonté que nous avons engagé avec votre parti et le Mouvement des radicaux de gauche des discussions pour actualiser le Programme commun.
Il était en effet, selon nous, nécessaire de tenir compte des changements provoqués depuis cinq ans par l’aggravation de la crise où la politique du grand capital plonge notre pays pour que ce programme, adopté en 1972, conserve en 1978 toute sa portée et son efficacité.
Notre parti, pour sa part, a donc fait des propositions, soigneusement étudiées, répondant à cet objectif et strictement fidèles aux orientations du Programme commun.
Or, il est apparu que votre parti adopte une démarche profondément différente, aboutissant à revenir en arrière sur les engagements pris en commun en 1972 et à remettre en cause le compromis positif accepté par nos deux partis.
C’est ainsi que votre parti refuse en 1977 de relever le SMIC au niveau indispensable, correspondant d’ailleurs à la revendication des grandes organisations syndicales, comme cela avait été le cas en 1972, qu’il refuse de s’engager clairement sur le relèvement du pouvoir d’achat des salaires, et sur le resserrement de la hiérarchie des salaires.
C’est ainsi encore que les positions adoptées par votre parti tendent systématiquement à retirer leur efficacité aux moyens économiques et financiers prévus par le Programme commun et absolument indispensables à la mise en œuvre d’une politique sociale nouvelle. C’est le cas pour l’impôt sur le capital et pour l’impôt sur la fortune. C’est le cas pour les nationalisations.
Tenant compte de la situation créée dans les secteurs importants de l’économie, nous avons proposé trois nationalisations nouvelles : la sidérurgie, Peugeot-Citroën et la CFP. C’est ce qu’avait proposé votre parti par la voix de ses dirigeants à plusieurs reprises. Or, aujourd’hui, votre parti refuse ces propositions.
Depuis 1972, nous avions, les uns et les autres, exposé publiquement les mêmes vues sur la nationalisation — considérée comme un « seuil minimum » — des neuf groupes industriels définis par le Programme commun, c’est-à-dire sur la nationalisation des « sociétés mères » et de leurs filiales.
C’est si vrai que, par exemple, la proposition de loi proposée par le groupe parlementaire de votre parti, fin 1974, pour la nationalisation de l’aéronautique militaire incluait la nationalisation de « toute entreprise dont la société mère possède 25 % du capital ».
Or, aujourd’hui, votre parti abandonne cette conception qui nous était commune jusqu’à la dernière période. Les positions qu’il expose aboutissent à laisser le grand capital en place dans la plus grande partie du potentiel industriel des neuf groupes visés par la nationalisation en 1972. Ce serait, du même coup, se priver de toute possibilité de mettre en œuvre la politique nouvelle que les travailleurs attendent.
D’autre part, alors que le programme commun comporte des dispositions prévoyant l’extension des droits des travailleurs à l’entreprise et la gestion démocratique autonome des entreprises nationales, votre parti voudrait maintenant que le président du conseil d’administration de ces entreprises soit en fait désigné par le gouvernement.
Toutes ces questions sont naturellement liées.
Adopter une telle attitude, c’est priver le Programme commun de sa force mobilisatrice, c’est se priver à l’avance des moyens de réussir, c’est écarter les possibilités d’un accord.
Des millions de travailleurs, de simples gens dans tout le pays, confrontés au chômage, aux bas salaires, à des difficultés d’existence insupportables, ont placé leurs espoirs dans le programme commun parce qu’ils voient en lui l’instrument d’une politique nouvelle, transformatrice, leur permettant de vivre mieux et de vivre plus libres.
Des millions de Français attendent de nos partis qu’ils réalisent non pas un compromis avec la politique d’austérité et d’autoritarisme, mais un bon accord permettant de mettre en œuvre la politique nouvelle du programme commun.
Ces espoirs ne doivent pas être déçus. Nous n’avons épargné, nous n’épargnons et nous n’épargnerons quant à nous aucun effort à cette fin.
Nous ne renoncerons, en aucun cas, à ce qui est notre ligne constante : l’union pour le changement démocratique. […]
Lettre du Comité central du PCF au Comité directeur du Parti socialiste.