La France avait déclaré la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Très vite, elle accumula les défaites. Le 2 septembre, celle de Sedan mit fin à l’Empire remplacé dans la nuit du 3 au 4 septembre par un « gouvernement de la Défense nationale » républicain. En dépit des efforts, les armées françaises ne parvinrent pas à débloquer Paris encerclé d’où le gouvernement capitula le 28 janvier 1871. Le 18 mars 1871, Adolphe Thiers, alors « chef du pouvoir exécutif de la République française », provoqua l’insurrection des Parisiens en tentant de récupérer les canons de la garde nationale sur la butte Montmartre. Paris, qui n’élisait pas son maire, prit son destin en main. Le Comité, qui regroupait des représentants des vingt arrondissements, fit le 22 mars la déclaration suivante au Journal officiel, en vue des prochaines élections.
Vous êtes appelés à élire votre assemblée communale (le conseil municipal de la ville de Paris).
Pour la première fois depuis le 4 septembre, la République est affranchie du gouvernement de ses ennemis.
Conformément au droit républicain, vous vous convoquez vous-mêmes, par l’organe de votre Comité, pour donner à des hommes que vous-mêmes aurez élus un mandat que vous-mêmes aurez défini.
Votre souveraineté vous est rendue tout entière, vous vous appartenez complètement : profitez de cette heure précieuse, unique peut-être, pour ressaisir les libertés communales dont jouissent ailleurs les plus humbles villages, et dont vous êtes depuis si longtemps privés.
En donnant à votre ville une forte organisation communale, vous y jetterez les premières assises de votre droit, indestructible base de vos institutions républicaines.
Le droit de la cité est aussi imprescriptible que celui de la nation ; la cité doit avoir, comme la nation, son assemblée, qui s’appelle indistinctement assemblée municipale ou communale, ou commune.
C’est cette assemblée qui, récemment, aurait pu faire la force et le succès de la défense nationale, et, aujourd’hui, peut faire la force et le salut de la République.
Cette assemblée fonde l’ordre véritable, le seul durable, en l’appuyant sur le consentement souvent renouvelé d’une majorité souvent consultée, et supprime toute cause de conflit, de guerre civile et de révolution, en supprimant tout antagonisme contre l’opinion politique de Paris et le pouvoir exécutif central.
Elle sauvegarde à la fois le droit de la cité et le droit de la nation, celui de la capitale et celui de la province, fait leur juste part aux deux influences, et réconcilie les deux esprits.
Enfin, elle donne à la cité une milice nationale qui défend les citoyens contre le pouvoir, au lieu d’une armée permanente qui défend le pouvoir contre les citoyens, et une police municipale qui poursuit les malfaiteurs, au lieu d’une police politique qui poursuit les honnêtes gens.
Cette assemblée nomme dans son sein des comités spéciaux qui se partagent ses attributions diverses (instruction, travail, finances, assistance, garde nationale, police, etc.).
Les membres de l’assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables ; c’est une telle assemblée, la ville libre dans le pays libre, que vous allez fonder.
Citoyens, vous tiendrez à honneur de contribuer par votre vote à cette fondation. Vous voudrez conquérir à Paris la gloire d’avoir posé la première pierre du nouvel édifice social, d’avoir élu le premier sa commune républicaine.
Citoyens,
Paris ne veut pas régner, mais il veut être libre ; il n’ambitionne pas d’autre dictature que celle de l’exemple ; il ne prétend ni imposer ni abdiquer sa volonté ; il ne se soucie pas plus de lancer des décrets que de subir des plébiscites ; il démontre le mouvement en marchant lui-même, et prépare la liberté des autres en fondant la sienne. Il ne pousse personne violemment dans les voies de la République ; il est content d’y entrer le premier.
Jacques Rougerie, Paris libre, 1871, Paris, Éd. du Seuil, 1971, p. 125-126.