Le « libéralisme », opposé à l’« étatisme », a été le thème sur lequel la droite a appuyé une bonne partie de sa campagne électorale pour les élections législatives de mars 1986. Après la victoire de celle-ci, le président de la République, François Mitterrand, appelle au poste de Premier ministre Jacques Chirac qui représente le groupe parlementaire le plus fort à l’Assemblée nationale. Le 9 avril 1986, le nouveau chef du gouvernement fait sa déclaration de politique générale devant les députés.
Depuis des décennies — certains diront même des siècles —, la tentation française par excellence a été celle du dirigisme d’État. Qu’il s’agisse de l’économie ou de l’éducation, de la culture ou de la recherche, des technologies nouvelles ou de la défense de l’environnement, c’est toujours vers l’État que s’est tourné le citoyen pour demander idées et subsides. Peu à peu s’est ainsi construite une société administrée, et même collectivisée, où le pouvoir s’est concentré dans les mains d’experts formés à la gestion des grandes organisations. Ce système de gouvernement, qui est en même temps un modèle social, n’est pas dénué de qualités : il flatte notre goût national pour l’égalité ; il assure pérennité et stabilité au corps social ; il se concilie parfaitement avec le besoin de sécurité qui s’incarne dans l’État-Providence.
Mais il présente deux défauts rédhibitoires : il se détruit lui-même, par obésité ; et surtout, il menace d’amoindrir les libertés individuelles.
Les Français ont compris les dangers du dirigisme étatique et n’en veulent plus. Par un de ces paradoxes dont l’histoire a le secret, c’est précisément au moment où la socialisation semblait triompher que le besoin d’autonomie personnelle, nourri par l’élévation du niveau de culture et d’éducation, s’exprime avec le plus de force. Voilà d’où naissent sans aucun doute les tensions qui travaillent notre société depuis des années : collectivisation accrue de la vie quotidienne mais, inversement, recherche d’un nouvel équilibre entre les exigences de la justice pour tous et l’aspiration à plus de liberté pour chacun.
Nous vivons une de ces époques privilégiées où le système de valeurs reverdit en plongeant ses racines dans la tradition culturelle de la Nation. Ainsi commencent toujours les renaissances.
Il est grand temps de tourner le dos aux idéologies fermées, aux systèmes construits pour substituer à l’autonomie défaillante de l’individu tel ou tel mode de prise en charge par la collectivité.
Il faut aller vers les valeurs qui nous ouvrent l’avenir, tout en nous rattachant à la longue lignée de l’humanisme occidental. Ces valeurs s’appellent : liberté, création, responsabilité, dignité de la personne humaine.
Le Monde, 10 avril 1986.