1907. La mutinerie du 17e


Depuis 1900, le Midi viticole est en crise. Les méventes, qui résultent de la surproduction, atteignent un niveau paroxystique en 1907. Un Comité de défense, à la tête duquel se trouve Marcellin Albert, un cafetier d’Argeliers, organise la contestation qui dénonce la « fraude ». Les meetings succèdent aux meetings. Le 9 juin 1907, on compte 500 000 manifestants à Montpellier. Le même jour, des troubles ont agité une caserne de Narbonne où est cantonné le 100e de ligne. La loi de 1905, qui a réduit la durée du service militaire à deux années, a également rapproché les « pioupious » de leurs familles en établissant le recrutement régional. Les incidents de Narbonne ne sont pas sans conséquence. Le 20, les soldats du 17e de ligne cantonnés à Agde, apprenant la tragique fusillade de Narbonne qui a fait quatre morts, décident de marcher sur la ville martyre. Un caporal anonyme, proche des antimilitaristes du journal La Guerre sociale, a laissé un témoignage précis de l’événement.

 

Il est indispensable, pour comprendre la possibilité de la mutinerie du 17e, de connaître l’état d’esprit qui régnait en temps normal dans le régiment et l’état d’esprit causé dans toute la population par l’agitation viticole.

Pendant les deux années (1905 à 1907) qui suivirent l’application du recrutement régional, l’esprit du régiment changea complètement.

Toute la garnison de Béziers était composée de jeunes gens des environs immédiats de la ville. Celle d’Agde comprenait les recrues des villages environnants et de Béziers. Les nouveaux caporaux et sous-officiers non rengagés, se trouvant au milieu de leurs camarades d’enfance, ne pouvaient imposer leur autorité ; ils auraient été mis à l’index dans leur village et encouru des représailles. Aussi, sauf quelques rares exceptions, conservèrent-ils la camaraderie aux dépens de la discipline. Les officiers ne pouvaient réagir contre ce relâchement de la discipline, sollicités qu’ils étaient par des demandes de favoritisme et ne pouvant les satisfaire qu’à la condition de fermer les yeux dans maintes circonstances pour ne pas provoquer, par des inégalités criantes, des protestations intempestives. A tous les degrés de la hiérarchie, on n’osait plus sévir, les punitions donnant souvent lieu à des réclamations et risquant d’amener des « histoires ».

Dans cette région du Midi, l’autorité paternelle n’existe pas ou est très peu sévère. Échappé au joug de l’école, l’enfant ne connaît pas d’autre servitude et est naturellement turbulent. Aussi, ce n’est pas sans une vive rancœur qu’il se soumet à la discipline militaire. Il n’a pas besoin de devenir antimilitariste, il l’est foncièrement, naturellement, ou plutôt il n’est jamais devenu militariste.

En temps normal, bien avant l’agitation viticole, souvent les soldats parlaient de révolte et supputaient les chances de réussite dans une rébellion. Jamais des considérations patriotiques ou de devoir ne les retenaient, mais seulement la crainte que le mouvement ne fût pas suivi par les autres régiments et aussi par beaucoup de camarades trop froussards.

Quand survint l’agitation viticole, ces craintes devaient diminuer et l’éventualité d’une mutinerie se présenter plus sérieusement à l’esprit des militants. Il n’était pas possible, en effet, que l’agitation qui secouait profondément le pays n’effleurât pas les militaires qui vivaient si intimement liés avec leur famille et avec l’élément civil.

J.M., La Révolte du 17e, Paris, Maison des Fédérations, s.d., p. 1-2.