Stéphane Mallarmé (1842-1898) commença sa carrière poétique sous l’influence conjointe de Charles Baudelaire et d’Edgar Poe dont il traduisit des poèmes. Poussé par une exigence esthétique d’une rigueur extrême, il quitta cette route trop bien tracée pour lui vers 1865. Il se mit alors à travailler avec obstination. Des fragments d’Hérodiade, drame lyrique qui resta inachevé, furent élaborés dès cette période. Une première version de L’Après-Midi d’un faune fut également mise au point. Il fallut pourtant attendre 1875 pour voir le poète se satisfaire d’une version définitive qui fut publiée en 1876. « Étranger à la langue », le vers est obscur. La poésie mallarméenne est un agencement abstrait de sons, d’images, de sens et de rythmes. Elle fut l’un des grands référents du symbolisme qui bientôt s’en réclama.
LE FAUNE
Ces nymphes, je les veux perpétuer.
Si clair,
Leur incarnat légé qu’il voltige dans l’air
Assoupi de sommeil touffus.
Aimai-je un rêve ?
Mon doute, amas de nuit ancienne, s’achève
En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais
Bois mêmes, prouve, hélas ! que bien seul je m’offrais
Pour triomphe la faute idéale de roses.
Réfléchissons…
ou si les femmes dont tu gloses
Figurent un souhait de tes sens fabuleux !
Faune, l’illusion s’échappe des yeux bleus
Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste :
Mais, l’autre tout soupirs, dis-tu qu’elle contraste
Comme brise du jour chaude dans ta toison !
Que non ! par l’immobile et lasse pâmoison
Suffoquant de chaleurs le matin frais s’il lutte,
Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte
Au bosquet arrosé d’accords ; et le seul vent
Hors des deux tuyaux prompt à s’exhaler avant
Qu’il disperse le son dans une pluie aride,
C’est, à l’horizon pas remué d’une ride,
Le visible et serein souffle artificiel
De l’inspiration, qui regagne le ciel.
O bords siciliens d’un calme marécage
Qu’à l’envi des soleils ma vanité saccage,
Tacite sous les fleurs d’étincelles, CONTEZ
» Que je coupais ici les creux roseaux domptés
» Par le talent ; quand, sur l’or glauque de lointaines
» Verdures dédiant leur vigne à des fontaines,
» Ondoie une blancheur animale au repos :
» Et qu’au prélude lent où naissent les pipeaux
» Ce vol de cygnes, non ! de naïades se sauve
» Ou plonge… »
Inerte, tout brûle dans l’heure fauve
Sans marquer par quel art ensemble détala
Trop d’hymen souhaité de qui cherche le la :
Alors m’éveillerai-je à la ferveur première,
Droit et seul, sous un flot antique de lumière,
Lys ! et l’un de vous tous pour l’ingénuité.