1917. Les mutineries


L’année 1917 marque un tournant dans l’histoire de la Première Guerre mondiale. La lassitude se fait grandissante et renforce le courant pacifiste. Des propositions de paix s’esquissent de part et d’autre. En vain. La guerre sous-marine à outrance et les échecs répétés d’offensives, aussi inutiles que meurtrières, accablent le moral de l’armée comme celui de l’arrière où des mouvements de grèves se multiplient. La révolution russe de février affaiblit les alliés alors même que l’entrée en guerre des États-Unis ne peut faire sentir ses effets avant plusieurs mois. Le 4 mai, une compagnie refuse de se rendre à Laffaux où une attaque avait été prévue pour le lendemain. Le mouvement fait vite tache d’huile. L’écrivain pacifiste Joseph Jolinon évoque ces événements vingt ans plus tard alors que des bruits de botte se font de nouveau entendre.

 

Le mobilisé ne refusait pas de marcher, il refusait d’attaquer dans des conditions que trente mois d’expérience lui montraient vaines. A des massacres de ce genre, il préférait mille fois la paix. C’était le fondement de sa politique. Il en laissa d’ailleurs des preuves décisives que l’histoire impartiale a recueillies :

1° Aucune mutinerie n’eut lieu en première ligne ;

2° Toutes eurent lieu à la veille d’un retour en ligne ; l’heure du départ les déclenchait ;

3° Quatre-vingt-dix mutineries sur cent eurent lieu dans les armées qui venaient de prendre part à l’offensive ;

4° Toutes les mutineries ont pris fin dès que les troupes allemandes sont passées à l’offensive.

Ces rébellions spontanées s’échelonnèrent durant deux mois. Elles troublèrent 16 corps d’armée, le long de l’arrière-front. Elles affectèrent exactement 113 unités combattantes : 75 régiments d’infanterie, 22 bataillons de chasseurs à pied, 12 régiments d’artillerie, 2 régiments d’infanterie coloniale, 1 régiment de dragons, 1 bataillon sénégalais.

Elles ne furent ni concertées d’un régiment à l’autre, ni groupées, au contraire. Il est indéniable qu’elles revêtirent un caractère occasionnel, sans cesser d’être simultanées. Les herbes trop chauffées prennent toujours feu sur divers points au même instant.

Dès la quatrième semaine d’avril, quelques membres des Commissions parlementaires, appelés aux armées par l’exercice de leur mandat, constatent les symptômes d’un grand changement. D’inquiétants conciliabules se tiennent dans les cantonnements. Les soldats évitent les regards des chefs. Leur attitude est hargneuse et coléreuse.

Le 3 mai, la 2e division d’infanterie coloniale reçoit l’ordre de se préparer, pour le lendemain, à une attaque au nord du Chemin des Dames. Des attroupements se forment. On proteste en masse aux cris de : « A bas la guerre ! Mort aux responsables ! » C’est le désordre des cantonnements. Les officiers parlementent. Leur argument d’apaisement est qu’il faut relever les camarades de première ligne. Il en est de même dans d’autres corps au même instant. Les rapports signalent que, si plusieurs de ces rébellions présentent une certaine gravité, leur multiplicité semble encore beaucoup plus grave.

[…]

N’oublions pas de le répéter, à ce moment critique, les armées russes abandonnaient la partie, les États-Unis venaient à peine de déclarer la guerre aux empires centraux, pas un combattant ne croyait à leur intervention militaire, tous par ailleurs en voulaient aux armées anglaises de leur trop longue passivité, aucun n’espérait plus la victoire.

Que cette opinion arrêtée, unanime, partagée par tous les chefs d’exécution, nous voulons dire ceux de l’avant, sans exception, au moins jusqu’au grade de colonel, soit restée ignorée ou à peu près, cela montre seulement, une fois de plus, le pouvoir de la censure et l’étouffement systématique de la vérité par tous les faiseurs de livres de l’époque. Leurs ouvrages déclassés aujourd’hui ne trouvent plus preneur nulle part.

Donc, les soldats du front criaient :

— Assez de morts inutiles ! Pourquoi refuser les offres de paix de l’Allemagne ? A bas la guerre ! Nous voulons rejoindre nos femmes qui crèvent la faim à l’arrière. Nous irons à la Chambre pour nous plaindre. Si le Grand Quartier refuse de comprendre, nous ferons marcher nos députés.

Joseph Jolinon, Il y a vingt ans. Les mutineries de mai-juin 1917, Paris, Les Éditions de la patrie humaine, 1937, p. 15-17.