Depuis août 1914, toutes les familles politiques sont représentées dans les gouvernements successifs d’« Union sacrée ». En mai 1915, Albert Thomas (1878-1932), ancien normalien, agrégé d’histoire et figure importante de la SFIO, est nommé sous-secrétaire d’État à l’Artillerie et aux Munitions auprès du ministre de la Guerre, Alexandre Millerand. Il réorganise avec efficacité les services de fabrication de guerre soucieux de prendre en compte les intérêts ouvriers — il ne cesse de négocier avec les syndicats — et de moraliser les profits de guerre. Il devient ministre de l’Armement en décembre 1915, poste auquel il tente de promouvoir une « politique socialiste ». A son grand regret, en septembre 1917, il ne peut entrer dans le gouvernement Painlevé auquel les socialistes ont décidé de ne pas participer.
Lorsque je parle d’une politique d’Union nationale, ce n’est pas par attachement à une formule usée et vide de sens, ce n’est pas seulement en raison d’une expérience de trois années, que nous voudrions prolonger artificiellement, au milieu de circonstances nouvelles. Pour nous, qui avons été mêlés si intimement à tout l’effort industriel de la Nation pendant la guerre et pour la guerre, la politique d’Union nationale demeure une réalité efficace et vivante.
Plus j’ai cherché à comprendre la situation actuelle, malgré toutes ces difficultés, malgré les interprétations fallacieuses de certains, plus j’acquiers la certitude que c’est par la pratique de l’Union nationale que nous devons conduire notre pays à la Victoire.
L’appel que j’adressais hier dans ce sens à mes camarades ouvriers, je le renouvelle aujourd’hui devant vous. Après les nécessités de Défense nationale auxquelles nous avons dû obéir et satisfaire depuis trois ans, nous devrons, demain, satisfaire aux nécessités non moins impérieuses de production et de prospérité.
A cette Œuvre comme à l’autre, la classe ouvrière devra collaborer et collaborera, j’en ai la certitude, sans hésitation ni réserve. Elle s’associera à l’effort de production nationale et elle nous donnera ainsi l’autorité nécessaire pour vous demander à vous, industriels, je ne dirai pas des sacrifices, je ne dirai pas des concessions, mais les ententes qui lui permettront de travailler en toute confiance et sécurité. Sur ces bases, j’en suis sûr, notre accord sera complet, la classe ouvrière sait, en effet, qu’il n’y a pas de réforme sociale possible, qu’il n’y a pas de progrès social possible, dans un pays vaincu, ni même dans un pays épuisé, fatigué, faible économiquement. C’est par l’activité économique, c’est par les initiatives audacieuses que cette prospérité peut être assurée.
Depuis de longues années déjà, je l’ai soutenu au Parlement et, avec vous et avec moi, de nombreux camarades du mouvement ouvrier.
Ils savent et ils l’ont souvent dit, que c’est par la prospérité économique seule qu’ils réaliseront leur glorieuse et belle devise : Bien-être et Liberté. C’est ainsi par cette ardeur à entreprendre et à travailler qu’après la victoire militaire, nous assurerons, dans un nouvel effort commun, notre victoire économique.
Ce matin, lorsque j’appuyai sur le bouton électrique qui allait permettre d’allumer le Haut Fourneau, c’était toutes ces pensées qui agitaient mon cœur, et je me souvenais des paroles du vieux poète Hésiode inscrites sur le four du verrier : « S’il doit brûler pour les œuvres d’iniquité, qu’il s’écroule ! Mais que l’étincelle jaillisse, que resplendisse la flamme, s’il brûle pour la Justice ! »
Albert Thomas, Discours prononcé au banquet offert par la chambre de commerce de Caen, le 19 août 1917, Paris, s.e., 1917, p. 11-13.