1927. Les valeurs de la Jeune République


Marc Sangnier (1873-1950) avait fondé la Jeune République en 1912. Ce petit parti, qui défendait un catholicisme social, aux origines de la démocratie chrétienne, était bâti sur les bases du Sillon, mouvement qu’avait conduit Sangnier avant 1912 et que le pape Pie X avait condamné en août 1910, l’accusant de convoyer le socialisme en donnant la priorité à la démocratie sur l’autorité, « produit vital de l’Église ». Sangnier avait été l’un des élus du Bloc national en 1919 mais avait fini par rompre avec celui-ci en se rapprochant de la gauche. Dans ce discours prononcé le 29 mai 1927, Sangnier définit les valeurs de son parti face aux grandes forces politiques des années 1920.

 

Le communisme, c’est une religion. Le fascisme, le racisme aussi en Allemagne, c’est une religion. Vous savez que Mussolini lui-même avait composé un catéchisme fasciste et qu’il voulait adorer la déesse Rome, de même que les communistes font, de leur doctrine, non pas seulement un instrument de politique, mais je ne sais quel culte, avec des actes de foi, des pratiques, et quelque chose comme une étroite et rigide orthodoxie qui consiste, d’abord, à baptiser dans le sang ceux qui ne veulent pas adhérer à la doctrine et au culte.

Mais, camarades, nous à la Jeune République, nous sommes, sans doute, un parti non confessionnel — vous savez comme moi qu’il y a des jeunes républicains de toutes confessions religieuses, qu’il y a des libres penseurs à côté de croyants —, mais, je ne crains pas cependant de le dire, il y a entre nous tous plus qu’un programme commun de politique pratique ; un sentiment commun de la justice, de la fraternité et de l’amour nous unit, si bien que — nous avons raison de le dire et d’en être fiers — il y a, dans la Jeune République, un parti pris moral et un magnifique élan de spiritualité.

[Applaudissements.]

Et c’est là justement ce qui arrête encore un certain nombre de républicains laïques et libres penseurs. En face de nous, ils se sentent inquiets, et ils disent : ces hommes-là sont trop religieux pour nous ; ces hommes-là sont trop préoccupés de vie morale et d’idéal spirituel. Ils sont inquiétants.

Eh bien ! je leur répondrai, camarades, que ce qu’ils ont observé en nous est vrai, mais c’est justement parce que nous sommes capables de rendre à la république et à la démocratie une âme vivante et d’opposer quelque chose aux communistes et aux fascistes de véritablement plus fort qu’eux. Autrement, nous sommes vaincus à l’avance.

Regardez le problème des transformations économiques et sociales, transformations qui, selon nous, mettront le capital au service du travail alors que, pendant trop longtemps, le travail a été l’esclave du capital. Ce n’est pas, à notre sens, la raison qui peut entraîner les hommes dans cette voie courageuse et hardie de rénovation. Il y faut un élan profond de toute l’âme et, encore une fois, une mystique véritable. Si bien que je ne crains pas d’affirmer que, tôt ou tard, le parti qui triomphera, c’est le parti dont la mystique sera la plus forte. Or, camarades, comment ne pas voir, à l’heure actuelle, le christianisme apparaître comme une grande et indispensable force de rénovation sociale.

Et je voudrais que tous les libres penseurs — et il y en a, certes, un nombre fort grand dans cette assemblée — se réjouissent avec moi chaque fois que le masque de paganisme dont on voulait affubler le christianisme est jeté bas et qu’apparaît enfin, devant les hommes, la véritable figure du Dieu d’amour et de fraternité.

[Vifs applaudissements.]

Marc Sangnier, Que choisira la France ?, Paris, Éd. de la Démocratie, 1929, p. 41-42.