Esprit est né des propos échangés au cours de l’année 1930 entre un jeune avocat, Georges Izard, et un bibliothécaire-adjoint à la Sorbonne, André Déléage. Tous deux catholiques, ils rallient à leur entreprise un jeune philosophe, Emmanuel Mounier (1905-1950), qui prend bientôt le projet en main. Un groupe d’études doctrinales, comprenant croyants et incroyants, est réuni à l’automne 1931 afin de préparer la naissance conjointe d’une revue et d’un mouvement. Il est décidé que Mounier dirigerait la première et Izard le second. La fondation solennelle d’Esprit a lieu lors d’un congrès qui se tient à Font-Romeu du 16 au 23 août 1932. Le premier numéro de la revue est publié au début d’octobre 1932. Mounier y rédige un long article affirmant la « primauté du spirituel » et le nécessaire désengagement des intellectuels des compromissions politiques de droite comme de gauche. Il rejette idéalisme et matérialisme, individualisme et collectivisme pour mettre en avant l’idée de personne.
AVERTISSEMENT
Nous ne formons en aucune manière une concentration. Mais chacun de nous apporte avec un tempérament une manière propre d’entendre et de continuer les paroles qui nous sont communes. Rien, par ailleurs, ne peut mieux nous garder des facilités que d’écouter des paroles inhabituelles ou étrangères, et, parfois, de nous y chercher une parenté. Il faudra donc attacher quelques coefficients aux divers plans de travail qui se projetteront ici.
Les « Chroniques » expriment nos tendances les plus communes.
Les « Œuvres » s’y apparentent, mais dans la liberté de la recherche.
Les notes sur Les événements et les hommes les éprouvent de toutes parts au contact de la vie. Elles ne sont pas des impressions : l’impression est une faiblesse, une complaisance ou un jeu de surface. Elles ne sont pas des documents objectifs ou exhaustifs : le document, qui prétend ne pas juger, est un mensonge ; et les trois quarts du monde ne méritent pas la mémoire. Elles sont notre volte-face constante devant le mensonge et le préjugé, notre commentaire à ce qui se passe, le tir de barrage auxiliaire des vastes attaques, plus profondément notre service quotidien de la vérité. Bien écrites, mal écrites, les qualités propres à l’imprimé sont ici secondaires, et seule compte la richesse spirituelle. Tous peuvent participer à ce dossier de notre temps. Des équipes centraliseront les envois, de manière à présenter aussi souvent que possible des ensembles. Il faut faire confiance à nos premiers numéros, qui ne réaliseront que progressivement ce que nous désirons faire.
Dans « Confrontations » nous groupons deux séries d’œuvres. Les unes tiennent à nous par leurs bases ; mais elles prolongent ou intègrent des idées que nous servons tous dans une vision propre à l’auteur, métaphysique, spiritualité où tous ceux qui adhèrent à notre effort ne sauraient le suivre. Les autres sont fort éloignées de nous, mais nous y avons reconnu quelque correspondance spirituelle et nous ouvrons entre elles et nous une conversation qui, parfois, sera explicite. Les unes et les autres n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
Esprit est une revue internationale. Elle mettra progressivement la part de la collaboration étrangère en harmonie avec son titre.
Esprit, n° 1, octobre 1932.