Il m’eût été facile d’exploiter « Potomak », d’apparenter les Eugènes à la culture allemande, les Mortimer à notre candeur désarmée.
Les rapports s’établirent sans que je m’y contraignisse et sous une forme toute simple.
article du journal Le Mot,
du 1er mai 1915,
à la suite d’une série de dessins : « Atrocités »,
ou les Eugènes apparurent sous le casque à pointe
Beaucoup de lettres m’interrogent au sujet des « Atrocités » du Mot. Au même moment où des artistes me font la faveur d’accorder certaine attention à ces planches, des lecteurs m’écrivent : « Que signifie au juste ce type qui se répète comme dans un miroir à six faces ?… Doit-on reconnaître un général dans vos Atrocités ? »
La réponse est difficile. En effet, mes bonshommes (sauf pour l’« Ordonnance » du no 15, par exemple, où je cherche à réunir un groupe d’observations) ne sont pas des « Allemands », à proprement parler, mais bien une sorte de graphique où, selon moi, s’inscrivent des états d’esprit de férocité, de lubricité, d’entente et de mysticisme.
La formule en précède la guerre. J’avais réuni en 1913 un livre et un album où ces personnages nommés Eugènes me fascinaient, m’obligeaient obstinément, silencieusement, à m’occuper d’eux, à les reconnaître pour les microbes de l’âme.
Des coïncidences et l’ensemble avec lequel des amis, au courant de mon travail, me dirent et m’écrivirent qu’il leur était impossible de ne pas assimiler les Eugènes à la hideuse croisade allemande, m’incitèrent à reprendre le type et à en restreindre l’écho.
J’ai parlé de croisade et je m’explique.
Ici, je touche à une question fort grave et fort curieuse, et dont je n’ai jamais rien vu dans les innombrables articles traitant des « atrocités allemandes ».
Je dois le détail de ces notes à un jeune blessé, professeur à Düsseldorf, lequel se débonde après un mutisme de plusieurs mois.
« On interprète mal, me dit-il, Notre “Deutschland über alles”, D. U. A., n’exprime pas que l’Allemagne est au-dessus des autres nations, mais qu’elle passe avant toutes dans notre cœur. Mes camarades et moi pensions, au départ, marcher au suicide. Mais nous marchions en chantant un choral avec une sorte d’extase que vos troupes prirent souvent pour une obéissance de brutes à nos chefs. Et puis…, Et puis il y a une chose que vous ne pourrez jamais comprendre sans doute : avant que la guerre n’éclate, il y avait une grande effervescence de fanatisme chez nous, près de Düsseldorf. On se réunissait quatre fois par semaine dans la forêt et un vieux monsieur, Herr Ebel, prêchait l’amour de nos dieux de Germanie dont Wagner vous donne une fausse image. Herr Ebel nous fascinait, nous grisait et nous communiquait le goût, la nécessité possible des sacrifices humains. Je vous l’affirme, monsieur, bien des atrocités sont exactes. Le tort de l’Allemagne, c’est d’avoir honte de leur mobile, comme ces gens qui rougissent de ce qu’on les rencontre sortant de l’église. Et puis, monsieur, la guerre détraque les cerveaux ; un sacrifice utile entraîne des excès déplorables. Les officiers profitent de ce mysticisme des hommes pour assouvir des passions très basses. Ils excitent les troupes et des massacres s’ensuivent. » Je ne change rien aux sombres et naïfs aveux d’un jeune Germain chargé de fatigue et de doute. On imagine les mille Herr Ebel prêchant dans la forêt de Siegfried, pleine de murmures, de ténèbres et de rossignols.
Voici ma meilleure réponse aux lettres. Elle présente cet avantage d’être extraordinaire en soi. Comme le prouvent « État-Major » et « Général Moloch », je voudrais par des courbes, des taches et des « expressions » communiquer mon malaise, suggérer et non représenter l’entomologisme d’un certain esprit « Parsifal » mâtiné de « Docteur Plume ».