J’écrivais avec désordre. Au centre, nous nous apercûmes que je muais, que j’écrivais dans une de ces crises où l’organisme change. Ainsi, plusieurs fois avant la mort on meurt, et, lorsqu’à mourir on arrive, on ressemble aux danseurs sacrés d’Espagne.
Ces danseurs dansent dans l’église et sur eux, le costume ancestral se transmet. Or, de siècle en siècle, on en remplace les lambeaux et, maintenant, c’est toujours et ce n’est plus le même costume.
Demain, je peux ne plus pouvoir écrire ce livre. Il cessera le jour où cessera la mue
: le dernier jour de la convalescence. Alors, je pourrais l’écrire, mais ce ne serait plus un livre, car ce qui le compose, le dirige et le bloque, c’est l’état dans lequel, momentanément, je
me trouve. Plus loin, je te parle d’un acrobate : « Chaque pas trompe la chute. » Il ignore où cesse la corde et, même le pied sur la terre ferme, il marche avec précaution.
Si tu rencontres une phrase qui t’énerve, je l’ai mise là, non comme un récif pour que tu chavires, mais
afin
comme à une bouée,
que tu y constates mon parcours.
Trop de milieux divers nuisent au sensible qui s’adapte. Il était (une fois) un caméléon. Son maître pour lui tenir chaud le déposa sur un plaid écossais bariolé.
Le caméléon mourut de fatigue.
Les Eugènes, le Potomak, le papillon, je n’ai pas su pourquoi je les créais, ni quel rapport pouvait au juste s’établir entre eux. Architecture secrète. « Que préparez-vous ? » me demanda Canche. Je rougis. Impossible de lui répondre.
« Vous avez, dit Canche, plein vos poches des allumettes et sans jamais vous en servir. » C’est, répondis-je à Canche, l’élégance de la richesse. Abuser me semble vulgaire et déjà, user de, un manque de tact. Je vous donne mille allumettes. Libre à vous d’allumer votre pipe.
Ce que le public te reproche, cultive-le : c’est toi.
Ma pudeur : être tout nu, ranger la chambre, éteindre. Et chacun apporte sa lampe.
Prends garde aux conservateurs de vieilles anarchies.
Je vais te confier un de mes premiers symptômes.
Les coupures de presse m’eussent fait pleurer jadis et j’y trouve une force. Plus on se moque de moi et plus ce moi évanoui, je souhaite qu’on le moque. Un soir, Axonge me félicita. « J’étais sûr de vous, dit-il, mais j’attendais cette crise pour plus tard. »
Je n’arrivai pas à le comprendre.
Je ne sauverai rien de mon passé qui flambe. Ne deviendrai-je pas une colonne de sucre si je me retourne ?
Voyage, me disait Persicaire. Si tu changes sans bouger, autour de toi les objets se déplacent et les êtres. Dans le voyage, sais-tu si ta vision est neuve ou simplement nouveau ce que tu regardes ?
Et puis, tu rentres chez toi comme un étranger.
Or j’aime, immobile, ce vertige et mon ingratitude.
Ainsi se détachèrent de moi comme l’écorce de l’eucalyptus :
A…, le modeste,
B…, le dilettante,
C…, qui était plus intelligent que son monde et pas assez pour d’autres,
D…, l’éclectique,
E…, qui était drôle,
F…, qui ne l’était pas,
G…, l’amer,
H…, le lâche,
I…, le simple,
J…, le complexe,
K…, l’injuste,
et bien des choses dont j’avais ressenti du trouble et pour lesquelles je n’en ressentais plus.
Je sais, maintenant, le soir du carillon, ce qui se passe à Malines. Bourdaine y était. Il m’a raconté.
Le carillonneur tout nu, dans sa cage de verre saute de corde en corde : et sur la ville
les anges dansent le ballet de Faust.
Il faisait doux… les étoiles… une rue qui monte.
Si tu ne t’arrêtes pas, raconte Bourdaine, et si tu ne concentres pas ta sensibilité, mollissent les tympans et s’embrouille la musique de bronze.
Quand Bourdaine essaie de mettre les autres dans l’atmosphère de ce soir à Malines, il appuie la main sur son cœur.