Je revis, seul, le Potomak. Le doux monstre s’était nonchalamment abandonné si près de la paroi que son flanc gauche et les trois quarts de sa figure reposaient contre. Le bocal étalait cette viande plate, comme un nez d’enfant sur une vitrine de joujoux.
Alfred lisait.
On entendait moduler et youler le Pharynx.
– Petit, petit ! fis-je, comme on charme.
Le gardien leva la tête :
– Il digère, dit-il, il digère un programme des Ballets russes. Ah ! ce monsieur de New York nous gâte. Mais, ajouta-t-il, d’une voix grondeuse, en pianotant sur la vitre, il ne faudrait pas s’habituer.
Le Potomak se réveillait. Alfred me chuchota :
– Vous avez de la chance ; voici l’heure de ses selles. Rien n’est plus gracieux.
Nous nous installâmes en face du bocal.
Dix minutes se passèrent.
– Où faut-il, demandai-je, que je regarde ?
Alfred tira de sa poche une pancarte et lut :
– Règle du jeu, § 14. –
Lorsque fiente le Potomak, le pylore, le duodenum, le côlon et le rectum décrivent un arc de cercle dont serait l’œil un bout et l’autre bout l’anus. Le Potomak prend un extrême intérêt à ses déjections. Il les guette, la paupière mi-close, à dix centimètres de l’orifice par quoi elles doivent sortir. Si le Potomak, distrait, regarde ailleurs, ou s’il dort, le coup ne compte pas et le joueur cède sa place.
Soudain, d’un repli que je croyais être la gorge, une bulle s’élève. Une bulle de savon, en quelque sorte, mais plus épaisse, irisée comme les verres de fouilles. Une autre parut ensuite, puis une autre, puis une douzaine de bulles riches.
Le Potomak suivait du regard leur naissance fragile et leur course.
Six éclatèrent au contact les unes des autres.
Quatre se balancèrent, puis, atterrissant, s’anéantirent après une série de petits sauts.
Une s’envola par le vasistas.
– Hein ? fit Alfred avec orgueil.
Et se rengorgeant il ajouta :
– Elles échappent à l’analyse.