CARREFOUR
Ici, tout de suite, je voudrais vous faire entendre que ce livre ne traite pas des Eugènes, mais que les Eugènes le saturent. Je viens de m’en apercevoir. Ils sont en marge.
Je me levai, je toussai, j’arrangeai ma cravate :
« Ne sois pas trop intelligent », annonçai-je.
Ne sois pas trop intelligent
Car tu verrais quelle indigence !
Tu serais partout en exil,
Dans la lente enveloppe humaine.
Tu penserais aux lacs, aux pays, aux îles
Où tu pourrais vivre à la fois
Au lieu d’aimer ta ville
Et ton royaume étroit.
Tu te dirais : il a des cœurs et des visages.
Si je les rencontrais,
Toute ma peine, tout mon effort,
Se coucheraient devant eux
Comme le lion aux pieds de Daniel.
Que de ciels, que de paysages
Perdus avant la vaste mort !
J’écris ceci, je pense cela,
Mais je pourrais aussi faire autre chose.
Ne sois pas trop intelligent
Car tu verrais quelle solitude !
Savoir l’indifférence des gens,
Savoir ce qu’ils veulent atteindre,
Et leur course aux faibles ambitions,
Et ce qu’ils peuvent fournir de plus,
Et leur adresse à feindre,
Et leur supérieure incompréhension,
Et qu’ils sont tous, et toi aussi,
Le fruit d’une erreur de la nature,
Des premières nébuleuses du monde ;
Qu’ils sont, parmi les doux végétaux
Et la tendre race animale,
Un monstre qui ne fait que le mal
Et qui croit être sûr