Lisant les critiques des ouvrages qui paraissaient ou discutant de leurs mérites avec les amateurs dont j'estimais le jugement, je m'aperçus que j'étais le plus souvent d'accord sur les caractères qu'on leur reconnaissait, mais qu'en revanche, sur la valeur qu'il convenait d'attribuer à ceux-ci, je me trouvais la plupart du temps d'un avis tout contraire. Ainsi, quand telle œuvre était donnée pour sincère ou originale comme je la croyais en effet, c'était à louange qu'on le prenait communément, or, pour moi, c'était plutôt un blâme. De la même manière, sur la question de l'art pour l'art, de la littérature édifiante, des règles, de la forme et du fond, sur la définition et l'emploi de l'image en poésie, sur la valeur de l'ineffable, sur la façon dont on conçoit l'histoire littéraire, je ne tardai pas à me convaincre que j'avais les idées les plus opposées qu'on pût imaginer à celles qui étaient en faveur généralement.
Je m'alarmai un peu d'une dissension si nette et qui portait sur presque tous les points. Mais réfléchissant, et me gardant autant que je le pouvais de m'entêter par amour-propre en mes opinions, je ne découvris guère pourtant que raisons fort claires d'y persévérer. Je résolus à la fin d'exposer celles-ci très franchement et même avec quelque vivacité. C'est l'origine des réflexions qui suivent. Et comme je m'interrogeais sur le fond de la querelle, je crus le découvrir dans l'idée particulière que je me formais des rapports de la nature et de l'art, idée que tous, il me semble, n'accepteront pas. Me hâtant de l'expliquer brièvement, j'écrivis les deux textes qui encadrent ce « vocabulaire » et qui constituent le support philosophique (si l'épithète n'est pas excessive) de ses divers articles.
20 décembre 1945.