La progression du jour a reconstitué l’après-midi dans lequel reparaît ce moment un peu mélancolique où on le sent décroître. C’est lui qui m’inspire cette promenade dont le but met une flamme mystérieuse à l’horizon de mon parcours. Je me dirige vers le chalet d’Aldon pour brûler mon séjour. C’est le geste par lequel j’ouvre dans le printemps la saison de mon retour. Aldon doit travailler toute la journée à la bibliothèque, je lui ai demandé la permission de monter dans son chalet pour prendre quelques photographies. En réalité, j’ai décidé de faire disparaître dans sa cheminée la plupart de mes gouaches et de mes manuscrits.

Dans la forêt naguère figée, un frémissement se fait sentir. La cime des arbres se pare d’imperceptibles bourgeons.

À travers les persiennes aux lattes inclinées vibrait la poussière ; leurs extrémités chatoyaient sur le sol et formaient des reflets jaunes qui progressaient paresseusement avec l’heure.

Dans l’âtre, mes feuillets flambaient, dehors chantaient les oiseaux.

La vaste pièce que j’avais vue de nuit et pleine de monde semblait paradoxalement endormie dans la lumière du jour. Une mouche bourdonnait. Saillant légèrement sur le mur qui faisait face à la cheminée, un rectangle de baguettes, que je n’avais jamais remarqué, trahissait l’encadrement d’une petite armoire encastrée dans l’épaisseur de la paroi de rondins.

 

Beau feu de joie de mes papiers.

 

Malgré son caractère privé, voire occulte, la scène de l’après-midi domestique participe du panorama de la nature ambiante. Le chalet se souvient du bois des arbres dont il est fait, moi de la clairière nocturne et du scintillement des étoiles sur la neige. Dans la pièce où ronfle le feu, la progression du jour s’accuse aux recoins des murs dans les frontières géométrisées de la lumière et de l’ombre. Fouiller dans la petite armoire, dont la porte en s’ouvrant a grincé, c’est encore répondre aux invitations de la lumière, c’est, du bout des doigts, sourire d’un inventaire qu’on pressent singulier. Hétéroclite, il dévoile l’histoire de saisons lointaines, témoigne de leurs couches additionnées, retrace des présences, met au jour une panoplie d’objets oubliés ou dont on ne voulut pas se défaire.

Du placard, je tirai des bobines de fil, tout un nécessaire de couture, un morceau de tissu roulé que mes doigts palpèrent, une chaussette, le miroir fendu sur lequel elle reposait.

Dehors, un oiseau chantait.

Il y avait des mouchoirs pliés en quatre, des trombones, un passeport périmé, une liasse de vieux dollars canadiens émis par la banque du Saskatchewan. J’effleurai une pile de lettres que retenait une faveur rose, tout à fait dans le fond, un souple opuscule : Poèmes choisis de Stéphane Mallarmé dans la collection des Classiques Vaubourdolle.

Le chalet s’agrandissait, ses murs devenaient transparents.

Au verso de la première page, je lus : « Noémie Raymond, 2e moderne, Albi 1956 ».

Une mouche bourdonnait. Dans la clairière, un renard regardait.

 

En replaçant dans l’armoire l’opuscule des Classiques Vaubourdolle, j’ai songé qu’il demeurerait dans sa cachette bien après que ne me serait revenue la lettre que j’avais déposée dans le labyrinthe de verdure du Grand Hôtel dont il prendrait en somme la relève dans le vaste été aux soirs interminables.