II

Comment le navire frison apporta la nouvelle et comment Mordret rassembla son ost et partit à Camelot chercher la reine.

Sombre vent progressaitpar-dessus flots profonds,

du sud il balayaitles vagues sur les plages,

une mer rugissanteroulant à l’infini

monts de tonnerre immensesà cimes grisonnantes.

Le monde s’assombrit.Pâle lune montait
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par nuages d’oragenaviguant vers le nord.

 

Véloce vint de Francele vaisseau d’une flotte,

sombre, dragon en proue,effroyable sculpture,

aux voiles tout de noir,bondissant sur la mer,

par vagues pourchassételle bête sauvage
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parmi chiens affamés.Des rafales les cors

sonnaient son hallali.Hommes lançaient des cris,

appelant leurs dieuxde leur sinistres voix,

lors que nef fit naufrage,bois fendu en éclats

dans les marins estuaires.La lune scintillait
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dans leurs regards furieux,sur leurs visages gris,

qui mort intimidaient.Le malheur les vainquit.

 

Mordret se réveillait.Tout son esprit errait

en de sombres penséesprofondes et secrètes.

Depuis une fenêtrede la tour de l’ouest
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regardait poindre jourmorne autant qu’incertain,

luisait lumière grisederrière huis de nuages.

Autour des murs de pierreflottait souffle du vent ;

mer soupirait en bas,qui enflait, écrasante.

Ne les ouït ni perçut :son cœur s’en retournait
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à son long esclavage,par désir tourmenté,

à Guenièvre, reine d’oraux bras étincelants,

aussi belle et funestequ’une femme-fée,

qui marchait dans le mondepour le malheur des hommes,

ne versant point de larme.Tours il pouvait soumettre
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et trônes renverser,non pensée réprimer.

 

Elle en sa chambre exquisesur un lit fait d’argent

doucement sommeillaitsur soyeux oreillers,

ses longs cheveux défaitset le souffle léger,

sans peur se promenaiten songes parfumés,
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n’éprouvant point les affresde pitié ni regrets,

en cour de Camelotreine et sans nulle égale,

une reine sans gardes.Glacial soufflait le vent.

Lui, en lit infertile ;là, de noirs fantômes

de désir non combléet sauvage furie
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avaient en lui veilléjusqu’au matin sinistre.

 

Un escalier gravitabrupt et en spirale

vers remparts assiégésen pierre ouvragés.

Sur le monde en sanglotsfroidement il veillait,

il se pencha et rit,décharné et sans larmes.
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Des coqs poussaient leur chant.Clameur monta aux portes.

Serviteurs le cherchèrent,courant d’un pied alerte,

et la chambre et la hallepromptement explorèrent.

Son écuyer dévoué,Ivor, le salua,

lors debout à la portedes marches du donjon.
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« Messire ! Descendez !Pourquoi marchez-vous seul ?

Nouvelles vous attendent !Le temps qu’on nous accorde

est pour répit trop court.Navire a touché terre ! »

 

Lors Mordret arriva ;et les hommes tremblèrent

devant sombre visagetout ruisselant de pluie,
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cheveux par vent brouillés,et ses mots offensèrent :

« La populace et vousfouillez château royal

lors que tempête envoienavire sur la rive ? »

Ivor lui rétorqua :« Se hâtant sur votre ordre,

capitaine frisonest arrivé de France
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sur des ailes de vent,fidèle à sa parole,

défiant le destin.Destin a triomphé.

Son navire est briséqui gît sur le rivage ;

aux portes de la mort,condamné, il s’attarde.

Tous les autres sont morts. »Tôt en cette journée
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roux vagabond des mersdonc à son protecteur

anneaux d’or remboursa,avant qu’aille en enfer ;

nul répit ne cherchait,ni prêtre tonsuré,

lorsque ses derniers motsà son maître adressa :

« Caradoc le mauditse hâtant vers le roi
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au travers de vos retsa porté de Bretagne

vers l’est, l’Alémanie,avant que ne fût l’heure,

nouvelle intempestive.À nu, votre conseil ;

aux oreilles d’Arthurparvient toute rumeur

de vos desseins et actes.Ténébreuse son ire.
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De rentrer il se presseet rassemble son ost,

des frontières de Romeaccourt comme tempête.

Neuf mille chevalierss’approchent de la mer ;

sur les vagues du nordest déployée sa flotte,

à Whitsand des bateaux,des canots et des barques,
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marteaux de charpentiers,mariniers qui s’écrient,

armures qui résonnent,cavaliers qui se hâtent,

retentissent, s’amassent.Messire, regardez !

Sur les remparts scintillentboucliers suspendus,

au blason rouge sangqui présage la guerre.
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Ils surveillent les vagueset du vent la furie ;

maigres chiens en laissetirent de longs bateaux

sur altières aussières.Hâtez-vous donc vers l’Est ! »

 

Ainsi Radbod le Roux,intrépide rôdeur,

homme païen de cœuret fidèle à la haine,
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mourut selon son sort.Sombre était le matin.

À la mer le jetèrent,sans cure de son âme

qui marche par les eauxet erre sans demeure.

 

Violent allait le ventpar le pays de l’Ouest.

Se déployaient bannières,noir était le corbeau
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qu’arboraient en blason.Des hurlées de trompettes,

le hennir des chevaux,des grincements d’armures

résonnaient dans les creuxgrisonnants des collines.

Mordret était en marche ;messagers se pressaient

vers le Nord et vers l’Est,qui portaient la nouvelle
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par le pays de Logres.Seigneurs et chefs de clan

somma de se hâterprestement le rejoindre

ainsi qu’avaient promis,fidèles à Mordret,

féaux en fourberie,félons envers Arthur,

amis de trahison,disciples du destin
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achetés à vil prix,et des brigands venant

d’Erin, d’Alban aussiet de Saisnes de l’Est,

d’Alémanie, d’Anglieet des îles de brume ;

corneilles de la côteet des froids marécages.

 

Il vint à Camelotpour la reine chercher.
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Avec force elle ouïtses pas qui se hâtaient

à grandes enjambéesen gravissant les marches.

Jusqu’à sa chambre il vint.Les yeux emplis de flammes,

à la porte il restaregardant d’un air sombre.

Assise et silencieusenul signe elle ne fit,
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près de vaste fenêtre.Blême luisait le jour

dans ses brillantes tressesaux faibles reflets d’or.

Les yeux elle avait gristelle mer qui scintille ;

froids et clairs comme verrebravèrent son regard,

fiers et impitoyables.Mais elle avait joues pâles :
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son cœur lui donnait craintes,comme celle qui dresse

des chiens à la suivreet la flatter tout près,

quand sans qu’elle le sacheloup parmi eux s’avance.

 

Mordret alors parla,la bouche souriante :

« Ha ! Dame de Bretagne !Il fait long être assise
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seule ainsi sans seigneuren ces jours sans amour,

une reine sans roien cour qui ne renvoie

nul bruit de chevaliers.Mais onc ne trouverez

sur terre ci-aprèsvos heures infertiles

ou la vie, sans amour.Ni, moindre qu’une reine
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à la gloire assombrie,vos jours ne honnirez

bien que fortune change –si faites le bon choix.

Un roi vous fait la courpour partager couronne,

vous offrant son amouret service loyal. »

 

Gravement Guenièvrede nouveau répliqua :
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« Vous vous prétendez roiet parlez de couronne –

pour lui vous fut prêtéepar votre seigneur-lige

qui vit encore et règne,bien que longtemps absent.

Merci pour votre amouret service loyal,

bien que d’un neveu cherje les estime dus
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à la reine d’Arthur. »Puis ses yeux hésitèrent ;

il l’attira vers lui,la saisit violemment.

Propos lugubres tint –Guenièvre en trembla :

« Désormais plus jamaisde ces guerres au Nord

Arthur ne rentreraen cette île-royaume,
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ni Lancelot du Lacl’amour se rappelant

à vous ne reviendra !À présent les temps changent :

l’Ouest est sur le déclin,il est vent qui se lève

à l’Est qui va croissant.Et le monde vacille.

Coulent nouveaux courantsdans les étroites eaux.
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Félons ou bien fidèles,seuls hommes sans frayeur

franchiront les rapides,arrachant à la ruine

le pouvoir et la gloire.Voici mon intention.

Près de moi coucherez,en esclave ou bien dame,

que le veuillez ou non,épouse ou bien captive.
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Ce trésor, je l’emporte,avant que tours s’écroulent

et trônes se renversent,ma soif assouvirai.

Roi je serai ensuiteet tout d’or couronné. »

 

Puis reine prit conseilen sa froide poitrine,

entre peur et prudence ;la surprise feignant,
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tout bas après silenceelle dit, simulant :

« Vos mots d’amour, messire,n’étaient point recherchés,

c’est maintenant que faitesimpatiente requête ;

naissent pensées nouvellesnécessitant conseil !

Quelque temps m’octroyezet un peu de répit
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avant que ne réponde !Si Arthur revenait,

risquée serait promesse.Puissiez-vous me prouver

que chevaucherez ruinespour sauver royauté

de cette époque trouble,foi serait engagée

après plus court avis. »Amèrement il rit :
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« Quelle preuve de pouvoircherchera prisonnier,

captif ou ravisseur ?Que je sois roi ou comte,

entre noces et fers,que bref soit votre choix !

Dès ce soir il me fautsavoir ce que voulez ;

je n’accorde pas plus. » Alors il prit congé.
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Impérieux et pressésretentirent ses pas

aux grandes enjambéessur les pavés de pierre.

 

Lentement nuit tomba.La lune dénudée

soudainement surgied’un suaire de nuages

lacérés par tempête,en un lac fait d’étoiles
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sereinement voguait.Chevauchant prestement

cavaliers se hâtaient.Claquement de sabots ;

hasts à pointe d’aciercontre l’argent heurtaient.

De longues lieues derrièredans une vallée basse

lueurs de Camelotfaiblirent, disparurent ;
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au-devant, la forêt,les lointaines frontières,

sombres routes obscures.L’effroi les poursuivait.

Loup s’était éveillé,dans les bois il rôdait,

et la biche, à peinechassée de sa cachette

avait fui l’ennemi,par la peur ahurie,
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traquée, effarouchée,jadis reine des hardes,

pour qui cerfs majestueux,en combats de ramures,

avait lutté, féroces.À présent s’enfuyait

Guenièvre la belle,d’un gris manteau couverte,

enveloppée de nuit,s’évadant de la cour.
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Fort peu d’hommes fidèlesl’aidèrent dans sa fuite,

gens qui l’avaient suivieen ces temps d’autrefois

où chevauchait vers Logres,quittant Léodegan,

promise vers promispreux et d’or rayonnant,

à l’aube de la gloiredu très puissant Arthur.
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Lors vers tours solitaireset contrée désertée,

là où Léodeganun jour par le passé

sis à la Table Rondefaisait festin de roi,

rentrait chez elle en hâteretrouver froid refuge,

cachette non certaine.Sombrement en son cœur
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à Lancelot songeait :s’il apprendrait au loin

sa peine et son errance,par le loup pourchassée.

Si roi était vaincu,que festoyaient corneilles,

viendrait-il sur son ordre,accourant à cheval,

secourir reine et dame ?Au désastre par chance
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joie serait arrachée.Guenièvre la belle,

et non point Mordret seul,devrait l’heur gouverner

et cruel cours du tempsà son profit dévier.