Sombre vent progressaitpar-dessus flots profonds,
du sud il balayaitles vagues sur les plages,
une mer rugissanteroulant à l’infini
monts de tonnerre immensesà cimes grisonnantes.
par nuages d’oragenaviguant vers le nord.
Véloce vint de Francele vaisseau d’une flotte,
sombre, dragon en proue,effroyable sculpture,
aux voiles tout de noir,bondissant sur la mer,
parmi chiens affamés.Des rafales les cors
sonnaient son hallali.Hommes lançaient des cris,
appelant leurs dieuxde leur sinistres voix,
lors que nef fit naufrage,bois fendu en éclats
dans leurs regards furieux,sur leurs visages gris,
qui mort intimidaient.Le malheur les vainquit.
Mordret se réveillait.Tout son esprit errait
en de sombres penséesprofondes et secrètes.
regardait poindre jourmorne autant qu’incertain,
luisait lumière grisederrière huis de nuages.
Autour des murs de pierreflottait souffle du vent ;
mer soupirait en bas,qui enflait, écrasante.
à son long esclavage,par désir tourmenté,
à Guenièvre, reine d’oraux bras étincelants,
aussi belle et funestequ’une femme-fée,
qui marchait dans le mondepour le malheur des hommes,
et trônes renverser,non pensée réprimer.
Elle en sa chambre exquisesur un lit fait d’argent
doucement sommeillaitsur soyeux oreillers,
ses longs cheveux défaitset le souffle léger,
n’éprouvant point les affresde pitié ni regrets,
en cour de Camelotreine et sans nulle égale,
une reine sans gardes.Glacial soufflait le vent.
Lui, en lit infertile ;là, de noirs fantômes
avaient en lui veilléjusqu’au matin sinistre.
Un escalier gravitabrupt et en spirale
vers remparts assiégésen pierre ouvragés.
Sur le monde en sanglotsfroidement il veillait,
Des coqs poussaient leur chant.Clameur monta aux portes.
Serviteurs le cherchèrent,courant d’un pied alerte,
et la chambre et la hallepromptement explorèrent.
Son écuyer dévoué,Ivor, le salua,
« Messire ! Descendez !Pourquoi marchez-vous seul ?
Nouvelles vous attendent !Le temps qu’on nous accorde
est pour répit trop court.Navire a touché terre ! »
Lors Mordret arriva ;et les hommes tremblèrent
cheveux par vent brouillés,et ses mots offensèrent :
« La populace et vousfouillez château royal
lors que tempête envoienavire sur la rive ? »
Ivor lui rétorqua :« Se hâtant sur votre ordre,
sur des ailes de vent,fidèle à sa parole,
défiant le destin.Destin a triomphé.
Son navire est briséqui gît sur le rivage ;
aux portes de la mort,condamné, il s’attarde.
roux vagabond des mersdonc à son protecteur
anneaux d’or remboursa,avant qu’aille en enfer ;
nul répit ne cherchait,ni prêtre tonsuré,
lorsque ses derniers motsà son maître adressa :
au travers de vos retsa porté de Bretagne
vers l’est, l’Alémanie,avant que ne fût l’heure,
nouvelle intempestive.À nu, votre conseil ;
aux oreilles d’Arthurparvient toute rumeur
De rentrer il se presseet rassemble son ost,
des frontières de Romeaccourt comme tempête.
Neuf mille chevalierss’approchent de la mer ;
sur les vagues du nordest déployée sa flotte,
marteaux de charpentiers,mariniers qui s’écrient,
armures qui résonnent,cavaliers qui se hâtent,
retentissent, s’amassent.Messire, regardez !
Sur les remparts scintillentboucliers suspendus,
Ils surveillent les vagueset du vent la furie ;
maigres chiens en laissetirent de longs bateaux
sur altières aussières.Hâtez-vous donc vers l’Est ! »
Ainsi Radbod le Roux,intrépide rôdeur,
mourut selon son sort.Sombre était le matin.
À la mer le jetèrent,sans cure de son âme
qui marche par les eauxet erre sans demeure.
Violent allait le ventpar le pays de l’Ouest.
qu’arboraient en blason.Des hurlées de trompettes,
le hennir des chevaux,des grincements d’armures
résonnaient dans les creuxgrisonnants des collines.
Mordret était en marche ;messagers se pressaient
par le pays de Logres.Seigneurs et chefs de clan
somma de se hâterprestement le rejoindre
ainsi qu’avaient promis,fidèles à Mordret,
féaux en fourberie,félons envers Arthur,
achetés à vil prix,et des brigands venant
d’Erin, d’Alban aussiet de Saisnes de l’Est,
d’Alémanie, d’Anglieet des îles de brume ;
corneilles de la côteet des froids marécages.
Avec force elle ouïtses pas qui se hâtaient
à grandes enjambéesen gravissant les marches.
Jusqu’à sa chambre il vint.Les yeux emplis de flammes,
à la porte il restaregardant d’un air sombre.
près de vaste fenêtre.Blême luisait le jour
dans ses brillantes tressesaux faibles reflets d’or.
Les yeux elle avait gristelle mer qui scintille ;
froids et clairs comme verrebravèrent son regard,
son cœur lui donnait craintes,comme celle qui dresse
des chiens à la suivreet la flatter tout près,
quand sans qu’elle le sacheloup parmi eux s’avance.
Mordret alors parla,la bouche souriante :
seule ainsi sans seigneuren ces jours sans amour,
une reine sans roien cour qui ne renvoie
nul bruit de chevaliers.Mais onc ne trouverez
sur terre ci-aprèsvos heures infertiles
à la gloire assombrie,vos jours ne honnirez
bien que fortune change –si faites le bon choix.
Un roi vous fait la courpour partager couronne,
vous offrant son amouret service loyal. »
« Vous vous prétendez roiet parlez de couronne –
pour lui vous fut prêtéepar votre seigneur-lige
qui vit encore et règne,bien que longtemps absent.
Merci pour votre amouret service loyal,
à la reine d’Arthur. »Puis ses yeux hésitèrent ;
il l’attira vers lui,la saisit violemment.
Propos lugubres tint –Guenièvre en trembla :
« Désormais plus jamaisde ces guerres au Nord
ni Lancelot du Lacl’amour se rappelant
à vous ne reviendra !À présent les temps changent :
l’Ouest est sur le déclin,il est vent qui se lève
à l’Est qui va croissant.Et le monde vacille.
Félons ou bien fidèles,seuls hommes sans frayeur
franchiront les rapides,arrachant à la ruine
le pouvoir et la gloire.Voici mon intention.
Près de moi coucherez,en esclave ou bien dame,
Ce trésor, je l’emporte,avant que tours s’écroulent
et trônes se renversent,ma soif assouvirai.
Roi je serai ensuiteet tout d’or couronné. »
Puis reine prit conseilen sa froide poitrine,
tout bas après silenceelle dit, simulant :
« Vos mots d’amour, messire,n’étaient point recherchés,
c’est maintenant que faitesimpatiente requête ;
naissent pensées nouvellesnécessitant conseil !
avant que ne réponde !Si Arthur revenait,
risquée serait promesse.Puissiez-vous me prouver
que chevaucherez ruinespour sauver royauté
de cette époque trouble,foi serait engagée
« Quelle preuve de pouvoircherchera prisonnier,
captif ou ravisseur ?Que je sois roi ou comte,
entre noces et fers,que bref soit votre choix !
Dès ce soir il me fautsavoir ce que voulez ;
Impérieux et pressésretentirent ses pas
aux grandes enjambéessur les pavés de pierre.
Lentement nuit tomba.La lune dénudée
soudainement surgied’un suaire de nuages
sereinement voguait.Chevauchant prestement
cavaliers se hâtaient.Claquement de sabots ;
hasts à pointe d’aciercontre l’argent heurtaient.
De longues lieues derrièredans une vallée basse
au-devant, la forêt,les lointaines frontières,
sombres routes obscures.L’effroi les poursuivait.
Loup s’était éveillé,dans les bois il rôdait,
et la biche, à peinechassée de sa cachette
traquée, effarouchée,jadis reine des hardes,
pour qui cerfs majestueux,en combats de ramures,
avait lutté, féroces.À présent s’enfuyait
Guenièvre la belle,d’un gris manteau couverte,
Fort peu d’hommes fidèlesl’aidèrent dans sa fuite,
gens qui l’avaient suivieen ces temps d’autrefois
où chevauchait vers Logres,quittant Léodegan,
promise vers promispreux et d’or rayonnant,
Lors vers tours solitaireset contrée désertée,
là où Léodeganun jour par le passé
sis à la Table Rondefaisait festin de roi,
rentrait chez elle en hâteretrouver froid refuge,
à Lancelot songeait :s’il apprendrait au loin
sa peine et son errance,par le loup pourchassée.
Si roi était vaincu,que festoyaient corneilles,
viendrait-il sur son ordre,accourant à cheval,
joie serait arrachée.Guenièvre la belle,
et non point Mordret seul,devrait l’heur gouverner
et cruel cours du tempsà son profit dévier.