Ses yeux étaient suppliants, sa peau ruisselante de sueur, son corps brûlant, mais sa voix l’implorait de ne pas arrêter. Il fit ce qu’elle lui demandait et plus encore.
Il caressa ses cheveux, son visage, glissa sur le côté et se tourna vers la fenêtre entrouverte. On voyait le soleil brûler un bout de façade de l’autre côté de la rue, on entendait les cris de gamins lâchés dans l’été parisien.
– J’aime l’amour l’été, avoua Laura Bardy. Particulièrement quand je suis censée être au boulot.
Il s’assit sur le bord du lit, elle vint se lover contre lui et l’embrassa dans le cou. Le mobile de Clémenti sonna.
Lugubre, la voix du capitaine Argenson. Clémenti sentit son cœur s’effriter. Un temps d’arrêt, puis il dit qu’il arrivait. Laura, serrée contre lui, demanda ce qui n’allait pas. Il enfouit son visage entre ses mains. Elle recula.
– C’est mon amie Philippine. Elle vient… de mourir dans une explosion. Avec Judith Domeniac.
Debout dans un rayon de soleil, il la regarda. Ses yeux étaient humides de larmes, mais elle ne lui posa aucune question. Il en prit note dans le carnet imaginaire qu’il avait ouvert pour elle. Pour Laura la douce. Impitoyable avec les autres, si douce avec lui, seulement avec lui.
Il se rhabilla, lui dit qu’il l’appellerait vite. Il descendit au parking, marcha droit vers un pilier qu’il frappa de la paume en poussant un hurlement. Il se laissa glisser le long du béton et demeura accroupi, longtemps, à fixer le vide. Des bruits de pas. Il se redressa, vérifia que sa voiture n’était pas piégée, monta à bord et prit la direction de l’hôpital Cochin.
Au Clairon des Copains, la chaleur avait baissé d’un cran. Attablée devant un panaché et un jambon-beurre, Louise profitait de la nouvelle acquisition de pépé Maurice : un ventilateur dernier cri dont les pales tournoyaient avec un certain brio. Elle sentait ses cheveux voleter sur son épaule droite, et tapait courageusement la suite du rapport destiné à son client. Une filature énervée par l’été, une déconfiture amoureuse comme il en existait trop. Mais il fallait bien que quelqu’un s’en occupât, comme le répétait souvent pépé Maurice pour lui soutenir le moral.
Le téléviseur fixé au-dessus du bar était allumé sur le journal de vingt heures et Louise évitait de se faire éclabousser par les vicissitudes affligeant la planète, celles de ses clients lui suffisant jusqu’à nouvel ordre. De temps à autre, Robert dressait l’oreille, à l’affût des résultats du dernier match France-Angleterre. Panama avait posé son couvre-chef sur le comptoir et s’en servait comme d’un éventail. Casquette lui faisait la conversation, son éternelle gâpette à carreaux coincée sur le crâne.
Louise savait se concentrer pour flotter sans tracas dans la marée sonore, mais sa surdité était sélective. Certains mots réactivaient son intérêt. Dès qu’elle entendit le patronyme des Domeniac, elle releva la tête. Devant le visage de Laura Bardy, elle songea à se replier dans sa coquille, puis se raisonna : seul comptait le message. Elle s’approcha du bar. Le petit aréopage tendit le cou, et Robert joua de la télécommande pour faire monter le son. La voix de l’horripilante Bardy envahit le modeste espace du Clairon.
« … a explosé alors que Judith Domeniac et sa nièce Philippine, médecin légiste à l’Institut médico-légal, s’apprêtaient à quitter le parking de l’hôpital où le docteur Domeniac venait de donner une conférence. Tout laisse penser à un attentat. Pour l’instant, aucune confirmation n’émane de la Brigade criminelle en charge de l’affaire, mais rappelons que les deux victimes sont l’épouse et la nièce d’Hadrien Domeniac, l’homme d’affaires impliqué dans la mort de Pierrick Schneider, l’ancien garde-malade de la famille. De son côté, le P-DG de Domeniac Entreprises… »
Louise s’effondra sur une chaise.
– Louise, ça va ?
– Il faudrait peut-être l’allonger.
– Mais non, donnez-lui un remontant, voyons. Et faites-lui de l’air, crénom !
Robert était agenouillé près d’elle et lui secouait le bras. Louise sentait des étoiles de fer livrer bataille sous son crâne.
Elle accepta le verre d’alcool qu’on portait à ses lèvres, les mains qui entouraient ses épaules, tâtaient ses avant-bras, et le linge humide qu’on appliquait sur son front. Elle leva la tête vers cette lucarne vomissante de malheurs, et vit Serge au milieu d’un groupe, dans un tronçon de parking souillé de débris et barré de bandes jaunes. Des techniciens de l’IJ s’affairaient. Il était très entouré, mais paraissait seul. Son visage était… déserté. C’est ce visage qui l’atteignit, et permit à ses larmes de monter et de ruisseler comme elles l’entendaient.