Sévices de garde

(3 commentaires)

Bébé entre à la garderie en septembre. Entre mon Surmoi qui passe ses journées à me chicoiner et mon Ça qui angoisse au sujet d’une rédaction de thèse de doctorat, il y a mon Moi, équilibré et rationnel, qui me conjure de donner aux parents non avertis quelques judicieuses informations sur les services de garde.

Notamment que les services de garde, c’est horrible.

Mais pas pour les enfants, grands dieux, non! Dans la plupart de ces milieux, vos enfants seront traités aux petits oignons. Songez-y: ils profitent, à pleine journée, d’un G.O. assigné à leur petit groupe et tout entier dédié à les entertainer sous l’égide d’une approche développementale et éducative entérinée par les intellectuels de Harvard.

Les enfants, enfin la plupart, ils sont heureux en service de garde.

Non, dans tout ça, ce sont nous, les parents, qui souffrons le plus.

Votre garçonnet se transforme en sosie des chutes Niagara lorsque vous le déposez à la garderie? C’est que vous êtes un infâme paternel qui n’a pas su inculquer à son enfant le sentiment de sécurité nécessaire à un cheminement de vie épanoui. Les sommes que Junior dépensera en psychanalyse ne pourront pas être dédiées à un versement initial sur une maison à lui, et il sera stationné chez vous jusqu’à trente-huit ans, maigrichon (l’angoisse), célibataire (pas d’estime de lui) et sale (aucune autonomie). Mauvais, mauvais papa!

Votre fillette, au contraire, ne vous dit même pas au revoir lorsque vous la laissez aux bons soins des éducateurs/trices? Et elle refuse que vous reveniez la chercher le soir, sous prétexte qu’elle n’a pas fini sa réplique du château de Harry Potter en pâte à modeler? Méchante mère, qui surprotégez votre petite, qui l’étouffez d’un amour malsain. Pas étonnant qu’elle veuille se détacher de vous et vivre sa vie, alors qu’elle n’a pas les outils pour le faire, puisque vous ne les lui avez pas donnés! Allons bon, elle tombera enceinte à 15 ans, refusera sauvagement toute critique à l’endroit du papa, Steven-enfui-du-centre-jeunesse-et-squeegee-par-choix, et le cycle que vous avez provoqué par votre conduite irresponsable se répétera jusqu’à la centième génération. Après, ce sera pire. Mauvaise, mauvaise mère!

Mais le milieu des services de garde vous réserve encore pire. Car n’oubliez pas que ces gens à qui vous confiez vos enfants, ce sont des professionnels. Et ils le savent.

Votre estime de soi à vous, votre sentiment de sécurité et votre développement normal en tant que parent, c’est tout cela qui sera cloué au pilori par les ayatollahs des bébés.

Votre enfant n’aime pas le poisson, tapoche le voisin ou a tendance à pleurer à la moindre réprimande? Ne vous y trompez pas: c’est votre faute. Et, vous admonestera-t-on en vous fixant à la Jean-Luc Mongrain, il va falloir que ça change.

Et c’est là que nous dirons «Non!», chers collègues! C’est là que la résistance va s’organiser. Oh, que oui!

Et la solution, je vous l’offre sur un plateau d’argent: mentir.

On va se pratiquer, vous allez voir, ça va être facile. Prenons un point de litige quasi universel entre parents et éducateurs/trices: la sieste de bébé. Voici ce qu’il ne faut pas faire:

La dominatrice du service de garde — Comment endormez-vous Jeanne-Simone pour ses siestes?

Vous, d’un ton plaintif — Euh, je la berce en lui donnant un biberon et en lui chantant des berc…

Dominatrice — NON! Il faut cesser cela immédiatement. Jeanne-Simone ne peut pas s’endormir toute seule, elle dérange les autres amis, il faudra lui apprendre à gérer ses dodos d’une autre manière. Compris?

Vous, en reniflant — Voui.

Et vous passez des jours et des jours cauchemardesques à la maison à essayer de faire en sorte que Jeanne-Simone gère mieux ses dodos. Sans succès. À la garderie, vous évitez le sujet comme la peste. Mais vous apprenez, des semaines plus tard, que le problème, là-bas, s’est réglé en deux jours.

Constatation qui nous amène à élaborer ensemble le comportement intelligent à adopter:

Dominatrice — Comment endormez-vous Louis-Nicolas pour ses siestes?

Vous, d’un air intrigué — Je le dépose dans son lit. Pourquoi?

Dominatrice, la bouche ouverte — Sans le bercer?

Vous — Jamais eu besoin. Il est pratiquement narcoleptique.

Dominatrice — Ah bon… C’est que nous avons des petits problèmes avec lui à l’heure des siestes et je…

Vous — Je suis vraiment très étonnée. Louis-Nicolas a toujours été un enfant extrêmement facile pour les siestes.

Vous jetez un regard suspicieux autour de vous. «À l’heure des siestes, est-ce que l’ambiance de la garderie favorise le repos? Les jeux qui précèdent la sieste ne sont pas trop violents? Les éducateurs/trices sont-ils assez doux avec les enfants? J’aimerais une copie de leur diplôme et le numéro de la direction régionale, s’il-vous-plaît.»

La dominatrice s’empresse de vous rassurer: son expérience lui suggère que le problème de la sieste de Louis-Nicolas se réglera probablement en deux jours.

À la maison, vous continuez d’endormir Bébé avec le biberon et les berceuses. Vous pouvez essayer de profiter du momentum pour changer les habitudes de Louis-Nicolas, mais ce choix vous appartient entièrement.

Et, en deux jours, à la garderie, Louis-Nicolas s’endort sans rechigner.

C’est pour ça que mentir à la garderie, ça n’est pas grave. Votre bébé est doté d’un sens remarquable de la discrimination et comprendra très rapidement que la garderie impose un régime différent de celui de la maison. Et le petit chenapan, il va s’y conformer. Inutile de mettre votre santé mentale en jeu dans un tel contexte!

Conclusion: organisons la résistance! Parents de toutes les garderies, unissons-nous!

Et surtout, ne me remerciez pas. Je ne fais que mon devoir.

(Bon, si vous insistez, j’accepte les chèques personnels.)

Commentaires (3):

Arielle dit:

Étant une «dominéducatrice» moi-même (mais je me soigne pour devenir une comptable… autre sorte de dominatrice, quoi!), tu m’as bien fait rire. Je ne me rendais pas compte que nos commentaires pouvaient rendre les parents mal à l’aise. Pour nous, c’est tout naturel de dire certaines choses aux parents, mais c’est vrai que certaines «dominéducatrices» en disent un peu trop, le sourcil en l’air. Mea culpa!

marieclaude dit:

Après les dominatrices du service de garde, il ne faudrait pas oublier les dominatrices du CLSC: les infirmières qui suivent À LA LETTRE le petit livre de l’hôpital. Moi, c’est à elles que je mens.

Catherine dit:

Pour ma part, j’ai toujours eu de la chance en matière d’éducatrices. Presque toutes ont réellement été, l’espace d’un an, des membres de la famille, et nous les revoyons toujours avec émotion. Nous avons entretenu avec elles des relations de coopération. Nous ne voudrions pas faire leur travail, disons-nous souvent. Nous avons aussi les moyens de leur rendre la vie un peu plus facile. Quand elles sont sensées, bien entendu, et qu’elles comprennent le concept d’indignité maternelle.

Mais en me remémorant nos années de CPE, de ce grand malaise qu’on ressent parfois à ne pas se permettre d’être indigne au grand jour, c’est plutôt à certains parents que j’ai pensé. Genre, la mère de la petite blonde sage qui vous toise pendant que vous tentez de calmer votre 2 ans plein de testostérone qui pique une crise monumentale dans le vestiaire. Genre, le papa ultra-compétitif qui vous lance d’un air détaché que son fiston a un vocabulaire de 10 000 mots, fait du vélo sans petites roues, n’aime que les films de Chaplin, sait déjà lire… à 3 ans! On dirait que le seul barème des parents pour s’évaluer (ou se réconforter?) eux-mêmes, c’est l’inaptitude des autres parents.

Avec le premier bébé, on apprend à mentir… avec le deuxième, on apprend à retenir son fou-rire!

Et surtout, avec l’expérience, on comprend qu’en affirmant publiquement son indignité on met à l’aise les autres indignes. Indignes du monde entier, sortons du placard!