POUR MES FILS

ODILON ET RÉMY

QUAND ILS RENTRERONT

DE CAPTIVITÉ ET DE GUERRE

ET

POUR LEURS FILS

QUAND CES PETITS AURONT VINGT ANS

HÉLAS !...

BLAISE

MCMXLIV

 

P.-S. – Hélas !... Le 26 novembre 1945, un câble de Meknès (Maroc) m'apprend que Rémy s'est tué dans un accident d'avion. Mon pauvre Rémy, il était si heureux de survoler l'Atlas tous les matins, il était si heureux de vivre depuis son retour de captivité en Bochie. C'est trop triste... Mais un des privilèges de ce dangereux métier de pilote de chasse est de pouvoir se tuer en plein vol et de mourir jeune. Mon fils repose, au milieu de ses camarades tombés comme lui, dans ce petit carré de sable du cimetière de Meknès réservé aux aviateurs et déjà surpeuplé, chacun plié dans son parachute, comme des momies ou des larves qui attendent chez les infidèles, pauvres gosses, le soleil de la résurrection.

SES CITATIONS A L'ORDRE DE L'ARMÉE AÉRIENNE :

« Pilote brave et courageux. Le 17 mai 1940, a attaqué un Dornier 17, l'empêchant d'accomplir sa mission, l'a poursuivi sur une longue distance et a réussi à ramener au terrain son appareil atteint par les projectiles et désemparé. »

« Pilote valeureux et enthousiaste, animé d'un bel esprit combatif. Le 19 mai 1940, au cours d'une mission de reconnaissance à basse altitude au-dessus des colonnes blindées ennemies, a, grâce à son sang-froid et à ses qualités manœuvrières, réussi à poser dans les lignes ennemies son appareil très gravement atteint par la D.C.A. A été fait prisonnier avec son équipage. »

NOTES DE SES OFFICIERS :

« Pilote calme et régulier... Accrocheur... Sérieux et docile... Excellente tenue... Esprit gai et ouvert... »

LETTRE DE SON COLONEL :

« ... Ce que je puis vous dire c'est qu'il a emporté avec lui d'unanimes regrets. Il comptait pour nous parmi les meilleurs. Son allant dont il a fourni de multiples preuves, son coup d'œil précis, sa classe comme pilote, sa sûreté de réflexes, tout semblait le mettre à l'abri. Cependant le 26 novembre, au cours d'un exercice de tir aérien, son avion accrochait l'avion-cible et c'était, brutale, la catastrophe... »

LETTRE DE L'UN DE SES CAMARADES DE COMBAT :

« ... N'ayez aucun regret. Un accident d'aviation ne se discute pas. Si Rémy s'est tué, la faute en est à l'amour passionné qu'il avait pour le vol et le métier de pilote de chasse. Rémy est venu volontairement dans la chasse, juste à la veille de la mobilisation de septembre 1939. Je plains sa jeune femme de tout cœur. Mais toute épouse de pilote sait très bien qu'elle ne peut posséder qu'une partie du cœur de son mari, la meilleure part restant fidèle à l'aviation... »

SA DERNIÈRE PETITE CARTE POSTALE :

« Meknès, le 4-11-45. – Mon cher Blaise, Mon boulot est de plus en plus intéressant et j'en suis ravi. Tout est beau, mon travail, le temps, le ravitaillement (dattes, oranges et mandarines) et j'espère bien rester ici jusqu'à Pâques, revenir en France avec la belle saison. J'espère que de ton côté tout est également O.K. Baisers. Rémy. »