Lettre de Hans Kraemer à son vieil ami Edmond de Lacarme.

Domaine de Kreuzburg, le 25 novembre 1898

Mon cher Edmond,

Plus de trente années se sont écoulées depuis que l'on s'est vu. Je me souviens comme si c'était hier de notre dernière rencontre ; des conditions dans lesquelles nous nous sommes séparés également. J'espère qu'après tout ce temps, tu ne me tiendras pas rigueur de cette dispute aussi futile qu'irraisonnée qui est parvenue à nous brouiller à l'époque.

D'importants problèmes m'amènent à quérir ton assistance par la présente. Comme tu t'es résolu à le faire toi-même, l'aventurier avide d'expériences – parfois aux frontières de l'étrange – que j'étais autre-fois a aujourd'hui fondé une famille. À dire la vérité, ces dernières années ont été, à n'en pas douter, parmi les plus heureuses de mon existence. Être père procure à bien des égards plus de satisfaction que je n'aurais jamais pensé. Récemment pourtant, une ombre funeste dont je préfère ignorer l'origine s'est abattue sur les miens. Plus précisément depuis que j'ai quitté la ville de Hambourg afin de m'installer dans ma nouvelle demeure de Kreuzburg. Je t'avoue qu'expliquer en quelques mots la menace planant sur ma femme et mes filles se révèle une entreprise par trop compliquée. Sache seulement que des gens autour de nous meurent de façon inexpliquée. Les nuits de Kreuzburg semblent dissimuler en leurs ténèbres des maléfices qu'il m'est impossible de citer par écrit.

Si je me confie ainsi, c'est parce que j'ai le sentiment… non, la conviction, que nul autre que toi n'est capable de venir en aide à ma famille. Ton érudition dans certains domaines qui échappent au commun des mortels pourrait certainement sauver des vies ici.

Au nom de notre ancienne amitié que j'espère toujours vivace, ta présence à nos côtés apaiserait grandement ma conscience, même si ton séjour parmi les miens ne saurait être que de courte durée.

J'espère sincèrement que tu répondras favorablement à mon invitation. Car, vois-tu Edmond, j'ai la certitude que des forces qui me dépassent sont à l'œuvre ; ici même où j'ai choisi de faire prospérer ma famille.

J'attends ta réponse avec impatience et te remercie par avance de la compassion que tu portes au vieux sentimental que je suis devenu.

Hans Kraemer