Chapitre VIII

L’IMPASSE

Les négociations pour la paix qui s’ouvrent à Ryswick au début de 1697 ont suscité une immense espérance dans le monde huguenot, particulièrement en Languedoc. N’est-ce pas le triomphe de Guillaume d’Orange, le « nouveau Josué », vers qui s’est effectué un transfert de légitimité ? La reconnaissance que le Grand Roi est prêt à accorder à Guillaume d’Orange comme souverain d’Angleterre est d’excellent augure. Mais les protestants durent bientôt déchanter, d’abord parce que, une fois encore, le Refuge se divisa entre zélateurs et loyalistes1. Les zélateurs, autour de Jurieu — le Comité des huit —, n’avaient plus aucune confiance en Louis XIV : le protestantisme ne pouvait être rétabli en France qu’imposé par les puissances protestantes et principalement grâce à l’intervention de Guillaume d’Orange. De l’autre côté, le Comité des dix regroupait les loyalistes autour de Basnage. Toujours fidèles à leur théorie absolutiste, et n’ayant pas perdu espoir dans une rentrée pacifique, ils ne comptaient que sur la bonté du Grand Roi « mieux informé » et ils ne voulaient surtout pas faire appel à ses ennemis. Ils avaient l’appui des réfugiés d’Angleterre et de ceux de Lausanne, tandis que ceux de Genève soutenaient le Comité de Jurieu. Or une partie des alliés se méfiait des théories de Jurieu sur le droit des peuples face aux tyrans. Au-delà des conflits politiques et territoriaux, ou même des clivages religieux, il existait une véritable solidarité des pouvoirs royaux qui en Allemagne défendaient le principe du souverain imposant sa religion : les agents de Louis XIV surent en profiter.

Autre paradoxe, Louis XIV et Guillaume d’Orange s’entendirent relativement vite. Une fois de plus, le vrai problème était le rapport avec l’Empereur et la rivalité pour la primauté dans l’Europe catholique. Début août 1697, Guillaume III, ayant obtenu ce qu’il voulait, signait une paix particulière avec Louis XIV, sans le moindre article sur les huguenots. Le seul lieu où le culte réformé était rétabli était la principauté d’Orange, restituée à son ancien possesseur, mais sans que les huguenots du royaume puissent s’y rendre. Le Comité des huit finit par obtenir la transmission d’un mémoire aux négociateurs français que ceux-ci refusèrent tout d’abord d’accepter, pour raison d’ingérence dans les affaires intérieures du royaume. Finalement ce texte fut transmis à Versailles en même temps que le traité définitif : il recommandait à l’autorité royale les protestants français avec le souhait que ceux-ci obtiennent la liberté de conscience et que les prisonniers et galériens soient libérés. De l’autre côté, les loyalistes imprimèrent une requête au roi où était rappelée la doctrine traditionnelle de l’absolutisme : ils avaient peine à croire que le roi ait eu connaissance des violences qui leur avaient été faites, ils rappelaient que celui-ci aurait des comptes à rendre à Dieu et le suppliaient de délivrer leurs frères et sœurs des galères, des prisons et des couvents.

Rien de surprenant à cet abandon des huguenots français. Quel intérêt avaient les alliés à obtenir la liberté de conscience pour les protestants français, à plus forte raison le premier d’entre eux, l’emblématique Guillaume d’Orange ? Grâce à la politique suivie par Louis XIV, ce dernier avait à sa disposition de fidèles officiers qui risquaient de l’abandonner pour rentrer en France, tel l’ancien Député général Ruvigny, devenu Lord Galloway, un des brillants vainqueurs de la bataille de la Boyne, en Irlande, en 1690, qui avait assuré son triomphe définitif sur Jacques II. Même avantage pour l’Électeur de Brandebourg, qui bénéficiait en outre d’excellents cadres économiques. Ajoutons que la rancœur accumulée par les réfugiés français entretenait dans toute l’Europe des foyers d’hostilité à Louis XIV. Le seul qui avait intérêt à abolir l’édit de Fontainebleau était Louis XIV lui-même, comme l’avait parfaitement démontré Vauban, mais le Grand Roi pouvait-il le reconnaître, alors que ses plénipotentiaires cherchaient à le présenter comme le meilleur défenseur du catholicisme dans ces négociations de Ryswick ?

Ryswick préfigure l’attitude des puissances protestantes vis-à-vis du retour des huguenots en France. Un grand pasteur et théologien de Neuchâtel, auteur d’un catéchisme promis à un grand succès au Désert, Jean-Frédéric Ostervald, avoue son scepticisme au Comité de Genève qui l’a sollicité d’intervenir en 1707 à partir d’une juste analyse géopolitique :

Une partie des réfugiés ne sont pas loin de partager ce point de vue. Lorsque le fils du célèbre amiral Duquesne, mandaté par ses compatriotes du Refuge suisse, demande à l’Église française de Londres son appui pour une intervention auprès de ces mêmes Puissances afin d’obtenir le retour des huguenots, le consistoire refuse nettement car la plupart des fidèles sont naturalisés anglais3.

La déception des huguenots français est immense, d’autant plus que le rétablissement du culte dans la principauté d’Orange ne s’accompagne pas d’une certaine tolérance pour les huguenots voisins, cherchant à fréquenter le culte, bien au contraire. Bâville prend soin de faire des exemples spectaculaires ce qui entraîne un nouveau courant d’émigration. Les autorités royales ne surent pas profiter de ce désarroi pour au moins établir un modus vivendi tenant compte des réalités. Elles eurent cependant conscience de la nécessité d’avoir une réflexion d’ensemble sur le sujet en organisant une grande consultation sur l’attitude à l’égard des nouveaux convertis.

LA CONSULTATION DE 1698,
UNE NOUVELLE OCCASION MANQUÉE

Menée par l’archevêque de Paris, le cardinal de Noailles et l’ancien intendant du Languedoc d’Aguesseau, tous deux hostiles aux méthodes de Bâville, la consultation débuta en avril 1698. D’entrée de jeu était écartée la discussion sur le bien-fondé même de la Révocation posée par Vauban, il s’agissait seulement de savoir jusqu’où aller dans la contrainte pour la pratique du culte de la part des « nouveaux convertis ». L’accord se fit rapidement sur la fragilité des résultats obtenus : les mémoires rédigés pour l’instruction du duc de Bourgogne la même année en portent tous témoignage. Il serait fastidieux de multiplier les citations. Il suffit de mettre en valeur les plus significatives : ainsi, pour l’élection de Meaux, le diocèse de Bossuet, avec mille cinq cents familles huguenotes : « il en est sorti mille familles, il en est resté cinq cents dont la plupart vivent comme ils vivaient avant4 ». Avec un certain aveuglement (mais était-il sincère ?), Bâville, dans son mémoire, reprenait, quinze ans après, l’illusion de Madame de Maintenon : « Les enfants qui n’ont point vu ni temples, ni ministres seront plus disposés à recevoir les bonnes impressions qu’on leur donnera5. » Quatre ans plus tard, il affrontait la guerre des Camisards. Un général plus lucide expliquait l’erreur commise par l’intendant :

Mais à partir du constat, la stratégie sur la manière d’obtenir des conversions réelles divergeait gravement, en particulier sur le signe que constituait l’assistance à la messe. Bâville et les évêques du Midi, à l’exception des prélats jansénistes Percin de Montgaillard à Saint-Pons et Colbert de Croissy à Montpellier, estimaient qu’il ne fallait pas relâcher la rigueur sous peine de compromettre les quelques résultats obtenus. Noailles et d’Aguesseau, appuyés par les évêques du Nord et Bossuet, préconisaient une certaine modération. Ce fut eux qui l’emportèrent. La Déclaration du 13 décembre 1698, tout en rappelant d’entrée de jeu que l’édit de 1685 devait être appliqué, précisait que les nouveaux convertis devaient être exhortés, mais non forcés, d’assister à la messe. Les médecins devaient prévenir les curés des maladies graves de ceux-ci, afin qu’ils puissent recevoir « le secours des sacrements », mais sans que soit précisé le degré de pression. Des instructions secrètes adressées aux intendants en janvier 1699 désavouaient plus clairement la rigueur de Bâville puisqu’elles recommandaient d’éviter le sang et de ne pas faire traîner sur la claie les cadavres des nouveaux convertis sans le dire clairement : il fallait continuer, en effet, à le « laisser craindre ». Le danger en effet serait de faire croire que les autorités étaient susceptibles de revenir en arrière. Une fois de plus s’appliquait un double langage d’une totale inefficacité, ce que l’administrateur rigoureux et implacable qu’était Bâville mit clairement en valeur.

La victoire du parti modéré n’était d’aucune utilité et n’eut aucune influence. Elle venait d’abord trop tard, mais surtout son influence fut faible sur le terrain principal : là où les nouveaux convertis étaient les plus nombreux, le Midi de la France, les évêques et plus encore l’intendant Bâville étaient les plus fermes partisans de la rigueur et continuèrent la politique qu’ils avaient défendue, dans la mesure où le désaveu restait secret et ne comportait pas de claire condamnation. Ce fut bien visible dans le Languedoc oriental où Bâville avait fait exécuter Brousson en novembre 1698 et s’était débarrassé de tous les prédicants. Ajoutons qu’un peu partout les troupes libérées de la guerre devenaient les auxiliaires très efficaces des convertisseurs.

En juillet 1699, les affaires des « religionnaires » finissant par occuper la plus grande partie des débats du Conseil des Dépêches au détriment de tous les autres problèmes. Le roi décide donc de créer un conseil dédié uniquement à ce sujet et qui se réunit sous sa présidence une fois par mois et, tenue tous les quinze jours, une « assemblée » se tenait chez le Chancelier pour préparer ce conseil en recevant les informations et en s’efforçant d’uniformiser les instructions données6. Amère revanche pour le « petit troupeau » : sa résistance est si forte, si diversifiée dans l’ensemble du royaume, si inattendue aussi, qu’elle est devenue la principale préoccupation de la politique intérieure du Grand Roi. Cela n’améliore pas pour autant la situation. L’évêque de La Rochelle doit avouer l’échec complet de la mission qu’il a faite en 1701 à Moncoutant, bien connu pour ses assemblées clandestines de 1687. Les intendants doivent toujours proposer autant d’enfermement dans les couvents. Rien apparemment n’a changé. Mais le pire est encore à venir : en Cévennes et en Bas-Languedoc, la réussite de la politique de Bâville, la destruction d’une résistance non violente avec l’exécution des derniers prédicants, a laissé la place libre au prophétisme apocalyptique à l’origine d’une explosion de violence inattendue.

L’ÉTRANGE RÉVOLTE

Le prophétisme vivarois n’a jamais disparu, mais il restait caché dans les familles, on l’a vu7. À l’automne 1700, alors qu’il n’y avait plus de prédicants, une tailleuse d’habit transmit l’inspiration à quelques jeunes gens et jeunes filles du sud du Vivarais. Parmi eux Raoul Vagnas, de Vallon, près du Rhône, commença à réunir des assemblées près d’Uzès. Le mouvement se répandit très vite, à la fois à l’Ouest, dans les Cévennes, et au Sud, dans la plaine languedocienne. Bâville reprit les méthodes qui lui avait réussi : emprisonnements et exécutions. « L’unique secret, écrit-il à Fléchier le 7 mars 1701, est de faire arrêter les prophètes et les prophétesses au moment qu’ils paraissent8. » Le prophétisme, qui avait repris à ses débuts le même langage que celui du Dauphiné et du Vivarais, repentance et rétablissement miraculeux de la religion véritable, devint beaucoup plus violent et appelle à la vengeance. Désormais les prophètes étaient l’instrument direct de la colère divine et « l’épée de l’Éternel ». L’un d’entre eux, Abraham Mazel, modeste peigneur de laine de Saint-Jean-du-Gard, dans une vision, aperçut des bœufs noirs dans un jardin qu’une personne lui ordonne de chasser. L’Esprit lui donna bientôt l’explication de cette vision : les bœufs noirs étaient les prêtres qui dévoraient l’Église. D’autres inspirations lui disaient de se « préparer à prendre les armes ». Peu après, les choses se précisèrent ; l’Esprit lui commanda d’aller délivrer des protestants emprisonnés dans une bourgade au pied du mont Lozère, Le Pont-de-Montvert, par un inspecteur des missions, agent direct de Bâville, l’abbé du Chaila, qui par son zèle avait concentré la haine sur lui. Avec d’autres inspirés, il se rendit au Pont-de-Montvert et délivra les prisonniers ; l’abbé du Chaila fut assassiné. C’était le 24 juillet 1702 : la guerre des Camisards était commencée. Ce qu’avait prédit Vauban allait se réaliser, mais pas comme il le prévoyait sous forme d’une nouvelle Guerre de Religion conduite par des nobles : il s’agit d’une révolte populaire, menée par des prophètes et inspirés, mais tout aussi dangereuse.

Voilà pourquoi, au début, Bâville n’était pas inquiet : « Il n’y a pas d’apparence qu’il [ce meurtre] soit suivi d’un soulèvement du pays », écrit-il au secrétaire d’État à la Guerre quatre jours plus tard, d’autant plus que l’un des chefs de l’expédition se faisait bientôt surprendre. Pendant quelques semaines, il s’agit d’actions de représailles contre les « persécuteurs », anciens catholiques ou renégats. Peu à peu cependant des groupes réguliers se mettent en place, grossissent, territoire par territoire, autour de quelques figures locales. L’une d’entre elle, un modeste garçon boulanger, Jean Cavalier, réussit en décembre 1702 à mettre en fuite aux portes d’Alès sept cents soldats. Quinze jours plus tard, il réalise l’exploit d’obliger le comte de Broglie, trop faiblement escorté, à fuir à son tour. L’affaire commence à être connue à la Cour et en Europe. Toutes les Gazettes et les Mercures diffusent l’information, sans parler des « occasionnels ». Le comte de Broglie est remplacé par le maréchal de Montrevel et des troupes sont envoyées en renfort. Mais la situation n’évolue guère, d’ailleurs Montrevel se décourage vite. Les campagnes sont abandonnées aux insurgés, les curés s’enfuient et se réfugient dans les villes. L’intendant et le commandant des troupes emploient alors des grands moyens. En avril 1703, deux villages, Saumane et Mialet, trop favorables aux Camisards, sont déportés, et en octobre les populations dispersées des Hautes-Cévennes sont rassemblées dans les bourgs et leurs maisons sont incendiées ; le seul résultat est d’accentuer la solidarité des populations à l’égard des insurgés et de susciter de nouvelles vocations de combattants. Des catholiques, face à l’inefficacité des troupes royales, forment des bandes de partisans qui se nomment Cadets de la Croix, Camisards blancs ou Florentins. Celles-ci, complètement autonomes, ouvrent un nouveau front que doivent aussi gérer les autorités9. Les violences répondent aux violences : le pays est à feu et à sang.

Pendant quinze mois, les Camisards tiennent tête au pouvoir royal avec des alternances de succès et des défaites jusqu’en mars 1704 où Cavalier réussit à battre en rase campagne, non loin d’Alès, un des meilleurs régiments de Montrevel. Celui-ci est alors rappelé mais, avant de partir, il détruit la plus grande partie des troupes de Cavalier, devenu trop confiant et, mieux, un de ses lieutenants découvre les magasins secrets du chef camisard. L’un des plus illustres chefs militaires de Louis XIV, le maréchal de Villars, remplace Montrevel ; bénéficiant de la lassitude de la population et de l’affaiblissement de Cavalier, il entame des négociations avec ce dernier en mai 1704. Les insurgés se divisent alors et Cavalier ne parvient pas à convaincre les autres chefs qui espèrent obtenir la liberté de conscience, alors qu’il ne leur est proposé que de pouvoir partir à l’étranger sans perdre leurs biens, ou éventuellement de servir le roi dans les armées. Il part donc seul, avec une centaine de combattants. Quelques semaines plus tard, l’autre grand chef camisard, Rolland, qui, après avoir hésité, s’est décidé à poursuivre la lutte, encouragé par un envoyé des Puissances alliés, est surpris et tué (août 1704) : découragés, les autres se rendent par petits groupes, les derniers en octobre de cette même année. Quelques irréductibles se cachent et s’efforcent de 1705 à 1710, en vain, de relancer l’insurrection avec l’aide des Puissances alliées et d’une partie du Refuge.

Une première surprise vient du contraste entre la faible surface où se déroulent les troubles et l’écho qu’ils suscitent, accompagnée d’une réelle inquiétude. Voilà une affaire qui ne s’étend même pas sur une généralité entière mais sur quelques milliers de lieues au sud du Gévaudan et autour de Nîmes et Uzès, concernant un peu plus de quatre diocèses, Nîmes, Alès, Uzès et Mende, et, dans l’ancienne organisation ecclésiastique réformée, la province des Cévennes et une partie du Bas-Languedoc, ce qui correspond aujourd’hui au sud du département de la Lozère et à l’ouest du Gard. Il n’y eut guère plus de mille cinq cents combattants permanents et recensés du côté des insurgés. Il est vrai que ce faible nombre est compensé par l’appui entier ou presque de la population, sans compter les participations épisodiques et la jeunesse des combattants, dont 54 % ont moins de vingt-cinq ans10. Grâce au recensement de Pierre Rolland, le caractère populaire soupçonné est clairement démontré. Quatre nobles seulement ont été compromis, dont deux pour des raisons profanes et romanesques. Le plus connu est le maire perpétuel d’Alès, subdélégué de Bâville et grand persécuteur des protestants, Mandajors, seigneur des Hours : il tombe amoureux d’une prophétesse en 1704, dont il a un enfant qui devrait être le sauveur du monde. Tous les deux, pour éviter le scandale, sont enfermés dans la Tour de Constance à Aigues-Mortes. Il faudrait aussi évoquer les sœurs Cornelly, Marthe et Catherine, de petite noblesse protestante, épousées au Désert ou amies du chef camisard Rolland et de son adjoint Malhier, cause involontaire de la mort des deux Camisards, puisqu’ils sont surpris en compagnie des deux jeunes femmes. La haute bourgeoisie est tout aussi peu représentée. La grande majorité se partage entre paysans et artisans, principalement du textile. Les paysans ne sont pas parmi les plus pauvres, les travailleurs de terre (actuels ouvriers agricoles) représentant seulement un peu plus du tiers.

L’écho suscité par la révolte11 et l’inquiétude des autorités sont parfaitement compréhensibles. Le contexte international n’est pas favorable : l’affaire éclate en pleine guerre de Succession d’Espagne, le terrain des troubles est proche de la Méditerranée, dans une zone sensible qui fut le dernier champ de bataille de Rohan. À juste titre, les autorités royales redoutent un débarquement anglais et la jonction avec les insurgés, jonction facilitée par les liens entre huguenots de l’intérieur et du Refuge. Une tentative eut bien lieu mais trop tard, en 1710, alors que la révolte était terminée. Les armées royales n’eurent aucune peine à repousser les alliés qui restèrent six jours sur le territoire français. Louis XIV eut la chance que ses adversaires n’aient compris qu’avec beaucoup de retard l’opportunité d’une intervention, et pour cause, car ils avaient fait preuve de la même cécité que Versailles, prisonniers du même schéma mental : comment de modestes paysans et artisans pouvaient-ils tenir tête à la plus grande armée d’Europe ? C’était un feu de paille qui ne durerait pas. Erreur aussi sur les motivations : ils n’imaginaient pas la force de la dimension religieuse et culturelle et cherchaient les mobiles fiscaux et économiques des autres révoltes populaires. Les quelques tentatives qui avaient précédé l’essai malheureux de débarquement prévoyaient d’unir catholiques et protestants autour de la diminution de la capitation !

 

Est-ce le résultat d’une trop grande assurance ou la persistance de la démesure dans ce domaine ? On se rappelle la Déclaration du 29 avril 1686 ordonnant de faire procès de relaps à tous ceux qui après leur abjuration refusaient le prêtre à l’heure de la mort. On se souvient du scandale public causé par l’application de cette Déclaration, au point de l’atténuer, quand les secrétaires d’État ne conseillaient pas aux autorités locales de fermer les yeux. Vingt-neuf ans plus tard, le 8 mars 1715, Louis XIV récidive en élargissent la Déclaration de 1686 : désormais, tous ses sujets « nés de parents qui ont été de la R.P.R. avant ou depuis la révocation de l’Édit de Nantes » qui refuseront le prêtre seront considérés comme relaps « qu’ils aient fait abjuration ou non ». Il n’est plus utile d’apporter la preuve d’abjuration, en partant du principe qu’à partir du moment où tout exercice de la religion protestante a été aboli, le seul fait du séjour « est une preuve plus que suffisante qu’ils ont embrassé la Religion Catholique Apostolique et Romaine, sans quoi ils n’y auraient pas été soufferts ni tolérés12 ». Texte étonnant, en contradiction complète avec l’édit de Révocation. Faut-il rappeler encore que celui-ci n’expulsait pas les récalcitrants et interdisait au contraire l’émigration, mais qu’en contrepartie il tolérait l’existence de religionnaires à condition que ceux-ci ne manifestent en aucune façon leurs croyances ; un édit de novembre 1687 prévoyait même une forme d’état-civil13. D’ailleurs, en contradiction avec elle-même, cette Déclaration évoque clairement l’existence de ces religionnaires, puisqu’ils peuvent avoir eu des enfants « depuis la révocation » ! Nous ne sommes plus dans l’État de droit, même d’une monarchie absolue, mais dans l’arbitraire le plus total.

Le premier à le suggérer, sinon à le dire clairement, n’est point un protestant du Refuge mais le Procureur général du Parlement de Paris, d’Aguesseau, le futur chancelier de France, qui ne cache pas sa surprise. Il est très sévère sur la légalité de la Déclaration : « la justice ne punit point sur de simples présomptions et ce n’est point assez qu’un accusé soit réputé coupable. Il faut qu’il le soit en effet […] il faut que le crime soit prouvé pour pouvoir prononcer une condamnation. » Et il rappelle : « Le roi a bien aboli l’exercice de la R.P.R. par ses édits, mais il n’a point ordonné précisément aux religionnaires de faire abjuration et d’embrasser la religion catholique. » Il ne lui est pas difficile ensuite de montrer l’illégalité du texte : « L’on aura toujours bien de la peine à comprendre qu’un homme qui ne paraît point s’être jamais converti, soit cependant retombé dans l’hérésie et qu’on puisse le condamner comme si le fait était prouvé. » Il propose donc « pour ne pas porter atteinte aux règles de la justice » d’apporter au moins une preuve d’acte de catholicité, à défaut d’une preuve d’abjuration14. Mais cette proposition ne devait pas satisfaire le roi puisque cette preuve ne pouvait pas être apportée pour plusieurs de ces opiniâtres, qui ne fréquentaient jamais l’église. L’enregistrement fut suspendu un mois mais finalement effectué, avec un titre révélant à quel point Louis XIV assumait l’arbitraire juridique, malgré les observations du Procureur général : Déclaration du Roi qui ordonne que ceux qui auront déclaré qu’ils veulent persister et mourir dans la Religion Prétendue Réformée, soit qu’ils aient fait abjuration ou non, seront réputés relaps15. En être réduit à une fiction, supposer tous les protestants catholiques sans en chercher la preuve, était bien un aveu d’échec. Échec confirmé tous les jours dans l’ensemble du royaume.

Dans les bastions huguenots du sud de la France, le prophétisme subsistait au cœur des mas cévenols et vivarois. Le futur restaurateur des Églises réformées, Antoine Court, sans oser clairement l’avouer, fit sa première formation à l’intérieur de petites réunions où les femmes prophétisaient, avant de s’en détacher et de convoquer à son tour des assemblées plus traditionnelles, renouant avec les prédicants de la fin du XVIIe siècle. Il recevait le concours des derniers Camisards qui ne s’étaient jamais rendus et avaient réussi à échapper aux autorités royales, tel le brigadier de Cavalier, Jacques Bonbonnoux, qui apprit à lire et à écrire pour retenir des sermons et les répéter après la reddition de ses chefs16. Dix jours avant la mort de Louis XIV, le 21 août 1715, le jeune prédicant réussit à regrouper au sud des Cévennes quelques compagnons pour jeter les bases d’une nouvelle Église du Désert, dans ce qu’il n’hésita pas à appeler, avec audace, un synode.

LES GALÉRIENS POUR LA FOI

Parmi les différentes formes d’affrontement entre le pouvoir royal et les huguenots, la galère est la moins importante quantitativement. Même dans les surévaluations du XVIIIe et du XIXe siècles, elle a concerné moins de cinq mille personnes ; aujourd’hui nous savons que le nombre est encore inférieur et dépasse à peine mille cinq cent hommes au total, même si les condamnations ont été plus nombreuses. L’essentiel, 1 419, concerne le règne de Louis XIV, un peu moins de 4 % de l’effectif total des galériens (38 038). C’est à peu près le poids des huguenots dans l’ensemble du royaume au temps de la Révocation.

Les deux raisons principales de condamnation aux galères sont la participation aux assemblées du Désert pour plus de la moitié et la sortie du royaume pour 30 %. Dans ce groupe se trouvent des catholiques complices soit par humanité, soit par corruption. Les condamnations se répartissent très inégalement selon les années avec quatre point forts. Le premier se situe au lendemain de la Révocation, à la fin de l’année 1685 et pendant 1686. Après une courte accalmie, une seconde poussée, la plus forte, intervient au début de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, en 1688 : les autorités craignent la liaison entre ce premier Désert déjà organisé et les puissances protestantes. La paix de Ryswick entraîne une recrudescence des condamnations, en particulier pour l’assistance aux cultes qui se tiennent à Orange lorsque la principauté a été rendue à Guillaume ; pour ce motif, l’intendant Bâville établit un véritable record en condamnant aux galères dans la journée du 26 septembre 1698 soixante-quinze hommes. La dernière et quatrième période correspond normalement à la guerre des Camisards17.

La place dans l’imaginaire et la mémoire huguenote est considérable, sans commune mesure avec ce petit nombre, non seulement parmi les huguenots de France et du Refuge, mais aussi dans toute l’Europe protestante. Plus que les assemblées clandestines, phénomène pourtant massif et qui s’étendait sur un grand espace géographique, mobilisant infiniment plus l’administration et l’armée royales, les galériens protestants contribuèrent à la défaite de Louis XIV dans la guerre de communication parallèle au combat sur le terrain. Leurs souffrances sont comparables dans la « guerre des images » aux dragonnades dont les victimes sont infiniment plus nombreuses.

D’abord, les galères frappent l’imagination par des personnages hors du commun, tel David de Caumont, d’une grande famille de Guyenne, condamné par le Parlement de Bordeaux en 1687 aux galères perpétuelles pour tentative d’émigration : il avait soixante-quinze ans. Après sa condamnation, il est promené enchaîné à Toulouse, puis mis au banc de la Grande Réale où, malade, il est gracié. Même motif de condamnation pour Louis de Marolles, conseiller du roi et mathématicien, qui continue ses recherches au bagne18. Le cas le plus célèbre est probablement un capitaine de bateau de commerce, Élie Neau19. Né en 1662, d’origine saintongeaise, il était parti aux Antilles en 1679 pour échapper à la pression religieuse mais, rattrapé par l’application de l’édit de Fontainebleau, il émigre dans les colonies anglaises voisines, à Boston, où il se fait naturaliser Anglais, ne serait-ce que pour continuer à commander des navires de commerce. En 1692, un corsaire de Saint-Malo s’empare de son navire et le fait prisonnier pour en tirer une rançon. Mais les autorités royales le considèrent comme un huguenot ayant émigré, sans tenir compte de sa naturalisation, et n’acceptent de le libérer que s’il abjure, ce qu’il refuse ; il est alors condamné aux galères à perpétuité et transféré à Marseille en avril 1693, sur deux galères successives. Comme par son attitude il conforte les autres galériens protestants dans leur foi, il est isolé quelque mois plus tard au fort Saint-Nicolas, puis au château d’If d’où il réussit cependant à faire parvenir des lettres « édifiantes » sur sa captivité qui connaissent un grand rayonnement. Sur l’insistance du roi d’Angleterre et de son ambassadeur Portland, il est libéré le 4 juillet 1698, à la suite de la paix de Ryswick. Il regagne alors New York après être passé par la principauté d’Orange, Genève, les cantons germaniques et Londres où il est reçu par le roi. À New York, il fut l’un des membres de l’Église huguenote et s’illustra en ouvrant la première école pour esclaves. Dès l’année suivant sa libération, on publie en anglais le récit de ses malheurs, traduit trois ans plus tard en français sous le titre Histoire abrégée des souffrances du Sieur Élie Neau, sur les galères et dans les cachots de Marseille, publié à Rotterdam en 1701. Ce récit est suivi de cantiques composés par le galérien pendant sa captivité. C’est, pour l’ensemble du monde réformé, répondre à la controverse catholique qui affirmait que les protestants n’avaient pas été capables d’avoir des martyrs comme les premiers chrétiens20.

Le contraste est grand entre la prolixité des sources protestantes et le laconisme de l’encadrement des galères. Les galériens ont beaucoup écrit, ils ont eu la volonté de témoigner, ils ont été très soutenus par le Refuge qui leur a envoyé subsides et lettres, et qui a relayé leurs témoignages jusque très tard dans le XVIIIe siècle. L’un des mémoires les plus complets et les plus riches a été édité en 1757 par les soins de deux pasteurs, Superville père et fils, qui ont joué un grand rôle dans le soutien aux galériens. Il s’agit du récit de Jean Marteilhe, condamné aux galères en 1701 pour fuite au Refuge et libéré en 1713 à condition de sortir du royaume21. On sent le malaise des responsables de la chiourme : ils se savent surveillés par l’autorité royale et l’évêque de Marseille, ils comprennent mal cet enfermement. Certains ont même été tellement impressionnés par la dignité et le courage des galériens qu’ils finissent par les ménager. Marteilhe raconte ses bons rapports avec un dominicain qui lui empruntait des livres venus de Hollande et qui, un jour, lui évita la bastonnade en ne le dénonçant pas22. Celui-ci est accusé par ses confrères d’être hérétique et d’aimer les « prétendus réformés » ; il est convoqué par l’évêque d’Ypres et se défend en disant qu’il se refuse à imiter les autres aumôniers « qui martyrisent les pauvres malheureux ». L’évêque l’approuve et il revient sur la galère sans être sanctionné. Au moins l’un d’entre eux s’est converti, l’abbé Jean Bion, aumônier de la Superbe, qui a laissé des Mémoires expliquant son parcours23.

La force des galériens pour la foi venait aussi de leur cohésion et de leur organisation en réseau. Le réseau naissait à l’intérieur même des galères, où les condamnés établirent une véritable organisation, décrite dans des Règlements faits sur les galères de France par les confesseurs qui souffrent pour la vérité de l’Évangile24. Au centre, une sorte de consistoire fédérait différentes responsabilités : certains étaient chargés de diffuser les gestes de résistance, un autre groupe de galériens soutenait les huguenots, les Turcs (sous ce terme générique étaient compris tous les musulmans de l’empire ottoman) : ils constituaient la majeure partie de la chiourme. Les aumôniers devaient aussi chercher à les convertir, comme les protestants, sans trop d’espoir d’ailleurs, mais, à la différence des huguenots, ils avaient liberté de culte et on ne leur imposait pas la messe. Une sorte de solidarité des dissidents religieux s’établit entre les deux groupes, tout au moins avec ceux venant de Turquie même ; tous les témoignages des galériens protestants le confirment. Aide précieuse étant donné la position privilégiée des Turcs qui jouissaient d’une plus grande liberté que les autres galériens. C’est ainsi que Marteilhe, alors dans la chiourme de Dunkerque, chargé de recevoir et distribuer aux autres galériens les secours venus des Provinces-Unies, se servit de Turcs pour aller en ville chercher l’argent. Aucun ne voulut de faire payer, rivalisant pour occuper cette fonction, appelant les protestants « leurs frères en Dieu » ! Il conclut : « Ce sont ces gens que les chrétiens nomment barbares et qui dans leur morale le sont si peu qu’ils font honte à ceux qui leur donnent ce nom25. »

Les galériens huguenots avaient d’abord des complicités à Dunkerque, et plus encore à Marseille auprès des marchands officiellement convertis mais toujours protestants dans l’âme. Dans cette dernière ville, une famille se distingua particulièrement, les Sollicoffre, originaires de Saint-Gall en Suisse. Ceux-ci ne furent jamais inquiétés, même si leur rôle en la matière était bien connu des autorités, car ils occupaient une place trop importante. Au-delà, dans chaque pays du Refuge, existait un point d’appui ; le plus important était Genève avec le pasteur Calandrini26. Cependant la ville, étroitement surveillée par le résident de France, ne pouvait ouvertement se compromettre, d’où l’importance de l’appui de Zurich avec le très influent Henri Escher. En Hollande, les États généraux apportèrent officiellement leur aide en 1708. Les responsables politiques intervinrent auprès de Louis XIV pour obtenir la libération de galériens, en particulier le roi de Prusse, et plus encore la reine Anne d’Angleterre qui obtint cent trente-six libérations en 1713 et quarante-quatre en 171427.

Les galères, « théâtre punitif et baroque de la puissance du Roi-Soleil28 », étaient le lieu où se manifestait le plus visiblement l’échec de cette puissance. L’expression la plus parfaite de cette victoire des huguenots fut l’affaire des bonnets, connue à travers l’Europe entière, qui contribua à dégrader un peu plus l’image du Grand Roi. Tous les dimanches et les jours de fête, les aumôniers des galères disaient la messe à la poupe du navire. Les forçats devaient y assister à genoux et tête nue, le bonnet à la main. Les galériens pour la foi refusaient de se mettre à genoux et d’ôter leurs bonnets car c’était « adorer un Dieu de pâte », en d’autres termes reconnaître la « présence réelle du Christ » dans l’hostie élevée par le prêtre. Ils se couchaient sur leur banc en s’enveloppant dans leur pèlerine. La plupart du temps, les autorités de la galère fermaient les yeux, mais après la paix de Ryswick, les aumôniers voulurent obliger les protestants à respecter ces règles, sous peine de bastonnade. L’épreuve de force avait commencé, les Mémoires des galériens comme les lettres au Refuge sont remplies de confrontations verbales suivies de deux, trois, voire quatre bastonnades.

Un homme symbolise la résistance acharnée des huguenots, Alexandre Astier, modeste tisserand du Vivarais qui arrive aux galères à vingt-deux ans, condamné pour « assemblées illicites » le 25 juin 1689. D’entrée de jeu, il apparaît comme une forte tête, mais c’est dans l’épisode des bonnets qu’il va s’illustrer particulièrement, d’abord par l’audace de ses réponses, pieusement diffusées à travers tout le monde protestant européen. Il répond au major des galères, Bombelles, accompagné du chef d’escadre Montolieu, qui lui demande pourquoi il ne peut pas lever son bonnet :

La part de « mise en scène » dans ce dialogue, extrait de la Relation d’Astier lui-même, surtout dans la fin de l’échange, est évidente, mais elle révèle bien que l’obligation est royale avant d’être religieuse. Un fait est certain : les bastonnades répétées ont bien eu lieu. Le journal des galères l’atteste, qui signale trois séances de quatre-vingts coups chacune. Alexandre Astier fait partie des libérations de 1713 et, devenu célèbre par « sa fermeté extraordinaire », il est choisi comme Ancien de l’Église huguenote de Zurich. Doué d’une robuste constitution, malgré ses quatorze ans de galères il meurt à quatre-vingt-deux ans, en 174929.

La répétition des bastonnades finit par émouvoir d’autres forçats, d’abord les Turcs, mais aussi une partie de l’encadrement. Par exemple Astier, au plus fort des bastonnades qui lui sont infligées, est sauvé par son « comite » (gardien) qui dit au lieutenant : « C’est un bon homme pour la vogue. » Le chirurgien de garde, appelé par l’entourage épouvanté de son état, est pris de pitié et l’envoie à l’hôpital, où le galérien affirme avoir été très bien soigné. L’intendant des galères est obligé de reconnaître que « leur constance confirme les autres et ébranle les nouveaux convertis » et le secrétaire d’État à la Marine recommande à son tour de ne pas maltraiter les galériens protestants, mais simplement de les laisser enchaînés sur leur banc. Une fois de plus, la confrontation a tourné à l’avantage des huguenots. Ils savent ensuite faire connaître leurs combats et leurs victoires dans toute l’Europe30. Les galériens deviennent les héros du protestantisme européen, mais leur prestige dépasse les limités confessionnelles.

Il suffit de lire la fin des Mémoires de Jean Marteilhe, qui fit partie des galériens libérés en 1713. Il raconte longuement son voyage triomphal vers le Refuge : avec ses compagnons, il passe à Turin où le catholique duc de Savoie devenu roi, voulant les voir, en reçoit six à son audience en présence des ambassadeurs de Hollande et d’Angleterre ; le souverain les interroge longuement sur le temps passé aux galères, les raisons de leur condamnation et leurs souffrances ; il se tourne alors vers les ambassadeurs et leur dit : « Cela est cruel et barbare. » À Genève, une foule nombreuse avec des magistrats et des pasteurs accueille triomphalement les anciens galériens. Marteilhe se dirige ensuite vers les Provinces-Unies avec six compagnons ; à Berne ils sont reçus officiellement par un secrétaire d’État. Même accueil à Francfort où les magistrats leurs disent qu’« ils sont le sel de la terre », quelques-uns versant même des larmes. L’enthousiasme est identique à Rotterdam comme à Amsterdam, fin de leur voyage. Là, le groupe est présenté aussi bien au consistoire wallon qu’au consistoire hollandais et ils sont partout invités. Marteilhe fait enfin partie d’une délégation de douze anciens galériens envoyée à Londres pour remercier la reine Anne et intercéder pour ceux qui ne sont pas encore délivrés ; les membres de la délégation sont présentés à la reine qui les admet « à l’honneur de lui baiser la main ». Ils rencontrent même l’ambassadeur de France, curieux de les voir, qui les reçoit « très gracieusement » et les félicite de leur délivrance31 !

Cette contre-propagande offerte ainsi par les autorités royales à leurs adversaires huguenots à travers quelques centaines de galériens ne va pas, cependant, s’arrêter à la mort de Louis XIV. Ce n’est pas le moins surprenant.