DES COMPTES À RENDRE

Moraggen et Anthony étaient assis dans un confortable salon privé.

Comme convenu, Adalbald avait fait rassembler les nobles restés fidèles à l’héritière, afin qu’ils participent à une séance d’explications. La Régente était enfermée, surveillée par Kheldrik et d’autres membres de la garde royale.

Avant d’aller rejoindre ses amis et ses sujets, Moraggen avait demandé de passer un moment seule avec celui qu’elle venait de sauver de la potence. La conversation qu’elle désirait avoir avec lui n’aurait rien de romantique: il devrait justifier certains de ses actes. Moraggen, maintenant qu’elle avait le contrôle de Kamazuk, devait prendre des décisions. Certaines d’entre elles dépendaient des réponses que lui donnerait son amoureux.

Le jeune homme avait l’air nerveux, ce qui fit sourire la princesse.

— Qu’y a-t-il? demanda Anthony.

— La tête que tu faisais. On te conduit à l’échafaud et tu restes d’un calme parfait. Je te convoque en tête à tête et tu en trembles presque.

Il sourit à son tour. Moraggen sentit son esprit s’évader un instant et s’efforça de rester concentrée.

— J’ai peur, avoua Anthony, à la grande surprise de Moraggen, de ce que tu vas m’annoncer. Depuis Eldel, c’est la première fois où nous avons un moment pour discuter de notre avenir.

— Crois-tu que je vais t’abandonner?

— Tu en aurais le droit. J’oserais même dire que ce serait une bonne idée.

— Pourquoi?

C’était au tour de la princesse de sentir l’inquiétude se loger dans son ventre.

— Anthony, reprit-elle, savais-tu qu’Alemeï voulait me voler mon trône, lorsque tu es entré à son service? As-tu fui Eldel parce que vos plans venaient de s’effondrer ou parce que tu m’aimes? Je t’ordonne de me dire la vérité.

Le traître repenti se redressa sur son fauteuil. Il tendit la main pour prendre celle de Moraggen, mais suspendit son geste. Il se leva et commença à arpenter la pièce. Moraggen le suivait des yeux sans bouger.

Anthony commença à expliquer en détail ce qui s’était passé pendant son exil ainsi que les raisons qui l’avaient poussé à trahir l’Asapmy auparavant. Moraggen lui trouva l’air tendu, mais confiant. Il ne chercha pas à nier qu’il connaissait les plans des Elfes, mais affirma qu’il ignorait l’identité de la fiancée d’Alemeï. Bien sûr, rien ne prouvait l’honnêteté d’Anthony, mis à part l’émotion dans sa voix et une lueur dans ses yeux. La future reine ne connaissait aucun royaume qui avait remporté une guerre grâce à une émotion et à une lueur.

— Je veux rester avec toi, déclara Moraggen, mais tu dois me prouver que je n’ai pas tort de te faire confiance.

— Mais tu as tort de me faire confiance, répliqua Anthony.

— Pourquoi? Je commence à te connaître. C’est moi qui détiens ce que tu veux. Tu étais prêt à servir Gnôrga Hs’an et Alemeï Trenassen simplement pour être à l’ombre du pouvoir. Moi, je t’offre beaucoup plus. Tu ne me trahiras pas.

Le jeune homme se sentit insulté, mais fut forcé d’admettre que la logique de Moraggen était implacable.

— Anthony, je ne veux pas te perdre. Malgré tout ce que tu as fait, je désire partager ma vie avec toi. Mais si tu veux que ça soit possible, tu devras faire tes preuves.

Anthony saisit furieusement la dernière chance qu’on lui laissait.

— Je t’aiderai à gagner la confiance de tes gens. Je connais les stratégies de la Gnomalie et de Novgorar. Je témoignerai aussi contre Tiarana. Tu verras, je peux encore servir l’Asapmy.

— Bien sûr. C’est pourquoi tu nous as révélé les intentions des Elfes dès que tu as été en mesure de le faire sans compromettre ton rôle d’espion.

— Que veux-tu dire? demanda le jeune homme, déconcerté.

— N’as-tu pas infiltré la cour d’Eldel sous mes ordres, suivant les conseils de Poléus et d’Adalbald, dans le dessein de connaître les plans de nos ennemis?

Un éclair de compréhension passa sur le visage d’Anthony.

— Crois-tu que les nobles vont avaler ça? demanda-t-il, le sourire aux lèvres.

— Allons vérifier…

Moraggen et Anthony, main dans la main, se dirigèrent donc vers la Petite Salle du Conseil. C’était là que le roi rencontrait quotidiennement ses plus proches conseillers afin de régler les affaires d’État. Moraggen trouvait que l’ambiance intime de cet endroit convenait plus à la rencontre du jour que la vaste pièce où se réunissaient tous les trois ans les membres du Grand Conseil. La Petite Salle du Conseil se trouvait au premier étage et était adjacente à la Salle du Trône. Les fenêtres de la pièce offraient une vue sur les jardins. Devant elles, une table ronde d’un bois sombre aux reflets rouges occupait l’espace. La princesse remarqua en entrant que des carafes de vin et des gobelets d’argent déjà à moitié vides reposaient sur la table.

Les seigneurs se levèrent pour accueillir le jeune couple.

Moraggen ne fut pas étonnée de reconnaître les visages de ceux qui lui étaient restés fidèles. Le complot de la Régente était un sujet de débats depuis le départ de la délégation asape pour Novgorar et la mort suspecte de Poléus avait éveillé des soupçons. Ainsi, lorsque Tiarana avait commencé à exercer son emprise sur Kamazuk, certaines gens s’étaient-ils montrés moins collaborateurs. Il y avait là quelques membres de l’ancienne délégation, bien sûr, soit Ihmon, Velfrid et Arbustus, en plus d’Adalbald, de Vikh et d’Elsabeth. Eneko et les mercenaires de Kâ’sham, dirigés par Kheldrik, veillaient sur Tiarana et ses alliés.

Trois autres seigneurs étaient présents à Kantellän lors de la pendaison et avaient accepté de rencontrer leur future souveraine, contents de la voir reprendre les choses en main.

Le premier était l’Intendant Irius de Kuvaldin, qui dirigeait la métropole à la place de Poléus de Nathandel. Le Duc Damon, frère aîné de Poléus, était mort depuis des années sans avoir laissé d’héritier. Les terres familiales étaient donc revenues à l’intendant du roi, qui, en raison de ses obligations à Kantellän, avait nommé quelqu’un pour gérer la région en son nom. Aujourd’hui, Irius s’était déplacé pour régler diverses affaires de succession liées à la mort de son seigneur. C’était un homme nerveux d’une cinquantaine d’année, élancé, mais visiblement plus rond au niveau du ventre. Ses cheveux reculaient sur son front; en revanche, il entretenait une barbiche dont il pouvait être fier.

Le deuxième seigneur se nommait Chamblain Karëlla; il dirigeait Qussaï, la capitale de la province du Grenier. Il était d’imposante stature, grand et gras, vêtu d’un manteau de fourrure malgré la saison chaude. Ses cheveux longs, épais, étaient d’une couleur qui hésitait entre le blond et le brun, tout comme son impressionnante moustache et sa barbe qui tombait jusque sur sa large poitrine.

Enfin, la Duchesse Théa Piksön de Meneshëm avait elle aussi été invitée à participer à la rencontre. Depuis la mort de son époux, elle dirigeait la capitale du Soir, importante ville de la côte ouest. La vieille veuve refusait toutes les demandes en mariage et défendait farouchement ses terres. Elle s’était déplacée en personne à Kamazuk afin de réclamer l’aide de la Régente. Plusieurs de ses gens avaient affirmé apercevoir des vaisseaux gnomes non loin de la côte et Dame Théa avait espéré obtenir des hommes pour aider à la défense du Soir. La duchesse était une femme droite et respectable, mais ventrue et de petite taille. Elle avait des yeux bleu nuit et des cheveux gris, qu’elle remontait en un lourd chignon.

Anthony tira un fauteuil pour Moraggen avant de prendre place. Le Duc Chamblain posa une question presque immédiatement:

— Maintenant que nous sommes entre nous, j’aimerais tirer un point au clair, commença le seigneur de Qussaï. Ce que Mademoiselle Elsabeth a annoncé tout à l’heure, concernant une certaine prophétie, est-ce donc la vérité? Ne sont-ce pas là des farces pour gagner l’appui du bon peuple?

— Je ne savais pas que vous aviez assisté à la pendaison, Karëlla, releva Théa Piksön. Comme c’est charmant. Je suppose que, puisqu’il vous était impossible d’empêcher cette exécution, vous avez estimé qu’il serait plus honorable d’assister en personne à l’assassinat public de votre neveu. Ou étiez-vous simplement curieux de voir un tel spectacle en Asapmy?

Chamblain Karëlla était le frère aîné d’Anaëlle de Nathandel et, de ce fait, l’oncle d’Anthony. Malgré ce lien de parenté, Karëlla s’était montré spécialement intransigeant face à tout ce qui concernait le jeune homme depuis le début de la réunion. Les seigneurs avaient déjà commencé à discuter avant que n’arrivent la princesse et son amoureux. Le commentaire de Théa suggérait à tous que le duc pouvait avoir accepté les méthodes de Tiarana.

Moraggen crut bon de s’interposer avant que l’homme ne réplique.

— Maître Adalbald, je vous saurais gré de bien vouloir confirmer au Duc Chamblain ce qu’Elsabeth a annoncé tout à l’heure.

Tous les regards se fixèrent sur le Mage de Kamazuk. Le vieillard se tourna quant à lui vers la divinus.

— Elsabeth, auriez-vous l’obligeance de nous réciter les termes de cette prophétie?

Celle que les dieux avaient choisi prit ainsi la parole:

À l’aube d’un nouvel âge, la Dame aux Yeux et au Sang de deux nations s’unira à Celui qui revient des Ténèbres. De cette alliance attendue des dieux seuls naîtra le Libérateur… Il nous sauvera des Barbares, mais ne pourra accomplir sa destinée si aide il n’obtient. Le Libérateur vaincra.

Anthony se permit de serrer la main de Moraggen sous la table, sans que personne s’en rende compte. Il n’avait jamais entendu la prophétie d’Elsabeth dans ses termes originaux et comprenait mieux le doute de la divinus. «Celui qui revient des Ténèbres» était une désignation bien vague. Comment Anthony pouvait-il affirmer avoir rejeté le mal, alors que, sans Moraggen, il aurait attaqué l’Asapmy aux côtés des Elfes? Le jeune homme ne laissa pas paraître son trouble.

— Il m’est avis, dit Adalbald, que cette prophétie concerne Moraggen de Kildhar et Anthony de Nathandel. Vous comprenez donc pour quelles raisons j’ai protégé ce garçon de mon mieux.

La salle se fit silencieuse, comme si elle attendait que le sorcier poursuive. Adalbald resta coi.

— Puisque cette prophétie nous y oblige, laissons-lui la vie sauve, finit par dire Chamblain Karëlla, évitant le regard d’Anthony, mais il n’est pas nécessaire de faire de lui notre roi. Même le titre de consort l’approche trop du pouvoir à mon goût. Cela n’est pas essentiel.

— Sire, pardonnez-moi si je vous demande de préciser votre pensée... commença Dame Théa, les sourcils froncés. J’ai cru comprendre que vous suggériez que la Princesse Moraggen et lui conçoivent le Libérateur hors des liens du mariage.

— Pourquoi pas? Aux dernières nouvelles, le mariage n’est pas un réel pré-requis à la reproduction.

— Quel outrage! s’exclama Arbustus.

— Sire, vous déshonorez votre reine par ces paroles insensées, s’offusqua Irius. Le Libérateur, bâtard d’un traître? Hors de question!

Moraggen et Anthony échangèrent un regard, visiblement autant amusés qu’humiliés.

Ce fut Velfrid qui prit la parole, en pesant chaque mot:

— En Novgorar, c’est Anthony de Nathandel qui nous a avertis du piège que nous tendaient les Elfes.

Moraggen profita de l’occasion pour mettre en pratique le plan qu’elle venait de concevoir. Elle comptait sur la fidélité de ses amis pour la soutenir. Le pari était de taille.

— Lorsque Tiarana a empoisonné mon père, elle a accusé Anthony à sa place. Par chance, grâce à l’aide de Maître Adalbald, Anthony a pu fuir la capitale et s’est ensuite dirigé vers Novgorar. Nous avions des doutes concernant les Elfes, à la suite de l’acte effroyable de ma mère, c’est pourquoi Poléus et moi-même avons cru bon d’envoyer quelqu’un infiltrer leur cour.

La stupeur s’abattit sur la Petite Salle du Conseil. Chamblain Karëlla se pencha vers Ihmon de Krapul, l’homme le plus honorable qui soit. Heureusement, le chef des Légions de Kâ’Sham était aussi d’une loyauté sans égale.

— Qui de mieux placé que l’Allié pour devenir agent double? approuva Ihmon, au soulagement de la princesse.

Cependant, elle remarqua que Velfrid fronçait les sourcils. Ce mensonge ne serait pas facile à justifier.

Vikh parla à son tour, réprimant difficilement un sourire, ce qui lui donnait l’air quelque peu ahuri:

— Je crois que, par ce service rendu à l’Asapmy, Anthony a prouvé sa loyauté.

— Cela n’efface pas ses crimes! s’entêta le Duc de Qussaï.

— Il a remboursé sa dette en servant fidèlement son pays, décida Dame Théa. Si tout cela est vrai, je ne peux qu’approuver l’initiative de la Princesse Moraggen et de l’Intendant Poléus. Personne d’autre n’a eu la présence d’esprit de remettre en question les actions de la Reine Tiarana. Estimons-nous heureux d’avoir été mis en garde à temps contre les Elfes.

«Ça fonctionne!» jubila intérieurement Moraggen. Elle se sentait horriblement mal de mentir à ses sujets, alors qu’elle avait annoncé le matin même qu’elle ne le ferait jamais. Pourtant, toutes les épreuves qu’elle avait traversées en si peu de temps avaient fini par lui apprendre que, si elle voulait conserver le pouvoir et protéger Anthony, la droiture morale ne suffirait pas. Kheldrik aurait été outré de la voir agir ainsi. Elle s’attendait à ce qu’il la sermonne dès qu’il aurait vent de l’affaire. Il lui rappellerait qu’Obérius ne l’avait pas élevée ainsi, car lui-même plaçait l’honneur au-dessus de toute autre qualité. Mais la justice et la bonté n’avaient pas suffi à sauver Obérius. Il avait mal placé sa confiance et il était mort. Tout comme Poléus et Anaëlle de Nathandel. Moraggen ne se laisserait pas faire et ne sacrifierait pas Anthony.

— Vous entendez donc faire un roi de ce traître? se fâcha une fois de plus Karëlla.

— Je n’y vois pas de problème, répliqua Arbustus. Il est bien né. Nous parlons du fils de l’Intendant Poléus, pas du premier gentilhomme venu! Si je ne me trompe pas, il est également héritier légitime de Kuvaldin, puisque la fille du Duc Damon a renoncé à ses droits et que Poléus nous a quittés. Et puis, Chamblain, si le destin devait par malheur vous priver de votre fils, c’est également Anthony qui hériterait de vos terres!

Cette perspective déplut grandement au Duc de Qussaï, qui choisit de ramener l’attention sur Irius.

— S’il est le seigneur de Kuvaldin, Irius, pourquoi ne se trouve-t-il pas dans sa cité à l’instant?

— J’avoue l’avoir éloigné de ce choix, dit Adalbald. En faisant de lui mon apprenti il y a six ans plutôt que de le faire adouber, j’espérais le garder à l’œil à Kamazuk.

— La Reine Tiarana avait affirmé qu’il était mort, mais puisqu’il se trouve bel et bien ici, devant moi, je dois reconnaître qu’il est effectivement mon seigneur et maître légitime. Je lui donnerai volontiers mon appui, annonça l’Intendant de Kuvaldin.

— Vous perdez l’esprit, Irius! Cet homme, que dis-je? ce garçon est un traître avoué!

— Avoué et repenti! Allons, il n’a que vingt ans, nous faisons tous des erreurs à cet âge.

— Des erreurs! Il vend son pays aux Gnomes et vous, Irius, vous appelez ça une erreur?

Anthony se leva, fatigué qu’on parle de lui comme s’il ne se trouvait pas dans la pièce. Il s’adressa directement au Duc de Qussaï.

— Ma collaboration avec nos ennemis était effectivement une terrible erreur, mais, pour la centième fois, je vous assure que j’accepterai les conséquences de mes actes. C’est pourquoi, je vous le répète, je suis prêt à laisser le trône à Moraggen.

La dernière nommée quitta elle aussi sa chaise, toisant ses gens de ses yeux vairons.

— Si vous n’avez pas confiance en lui, c’est aussi de moi dont vous doutez. Comment pourrais-je espérer régner dans ces conditions? Il serait peut-être plus sage d’abdiquer en faveur d’Aarön de Kildhar.

Aarön de Kildhar était, après Moraggen, premier candidat à la succession du trône. De par son père, il était le cousin du Roi Obérius et arborait fièrement les couleurs de sa royale famille dans toutes les grandes fêtes. Ses terres se trouvaient dans la province du Nord, à l’ouest de la capitale. C’est chez lui que les Gnomes s’étaient repliés après la bataille de Kamazuk. Aarön était un piètre guerrier et c’est pourquoi Obérius avait envoyé des hommes reprendre le contrôle de sa région. Dès qu’elle l’avait pu, Tiarana avait rappelé ces soldats dans la capitale et le pauvre seigneur était aux prises avec les Gnomes depuis. Moraggen avait été enragée de découvrir cette autre manipulation de la Régente.

Il aurait été totalement absurde de le sacrer roi en pleine guerre et les suzerains rassemblés dans la Petite Salle du Conseil le savaient très bien. Ils laissèrent éclater leur frustration.

— Jamais Aarön de Kildhar ne sera roi, ce serait un désastre, lança tout bonnement Velfrid Kavalcan.

— Il nous ferait perdre cette guerre comme il a perdu les dix derniers tournois et supplierait ensuite nos ennemis de lui laisser la vie sauve, ajouta la Duchesse Théa de Meneshëm, avec dédain.

La porte s’ouvrit, laissant entrer Kheldrik, la mine grave et la mâchoire serrée. Il s’inclina devant Moraggen, qui trouva que son ami en faisait trop et le pria de se relever. Il portait toujours l’uniforme de la garde, ce qui continuait d’agacer la princesse.

— J’ai une terrible nouvelle à annoncer, dit le chevalier, d’une voix assez forte pour que tous dans la pièce puissent l’entendre.

— Aucun de ces traîtres ne s’est enfui, j’espère? voulut savoir Karëlla. Ils étaient sous votre responsabilité, jeune homme.

— Je suis convaincue que Sire Kheldrik les garde comme il se doit, assura la Duchesse Théa.

— Malheureusement, non. J’ai échoué. Tiarana nous a quittés.

— Quoi? Comment avez-vous pu la laisser s’échapper? s’écria Chamblain.

— Non, elle ne s’est pas évadée, elle… Elle s’est tuée.

Moraggen en eut le souffle coupé. Elle ne savait que penser, elle s’en voulait de ne rien ressentir. Elle ne souhaitait pas la mort de sa mère, mais elle n’irait tout de même pas jusqu’à la pleurer. Pas après tout ce qu’elle lui avait fait subir. Pas après Alemeï.

— Nous l’avons enfermée dans ses appartements, comme il convenait de le faire, avec plusieurs gardes postés devant sa porte. J’avais à peine quitté la pièce que j’ai entendu un affreux cri. Elle s’est jetée au bas de la tour.

— Bon débarras, souffla Théa, résumant l’opinion générale.

— Mais pourquoi aurait-elle fait une telle chose? demanda Arbustus, secouant la tête avec perplexité.

— Tiarana est loin d’être la première Elfe à s’enlever la vie pour préserver son honneur. En mettant elle-même fin à ses jours, elle a évité l’exécution par ses ennemis ou, si elle rentrait au pays, le rejet par les siens, expliqua Anthony, sans hésiter. Les Elfes ne doivent pas savoir un mot de cette histoire. Autrement, ils diront que nous avons assassiné leur princesse et nous leur donnerons le prétexte qu’ils attendent pour nous attaquer.

— Comme s’ils avaient besoin d’un prétexte, soupira Elsabeth.

— Anthony a raison, insista Ihmon. Mieux vaut garder la nouvelle secrète jusqu’au couronnement.

— Le couronnement? Je ne me souviens pas qu’une décision ait été prise à ce sujet, rappela Karëlla, faisant la moue.

— Non, mais il faudrait régler la question une fois pour toutes! s’exclama la Duchesse de Meneshëm. Qu’attendons-nous?