VOUS avez peur de nous car vous savez

que nous vaincrons.

Vous dites n’avoir peur que de Dieu,

en vérité vous craignez tout sauf le bon Dieu.

Où étiez-vous quand l’armée rasait nos villages ?

Où étiez-vous quand les Barbures violaient nos sœurs sur leur passage ?

Vous êtes tous des trouillards et des planqués,

Nous sentons votre frousse,

la frousse de nos souffrances qui vous accablent

et de nos cris qui vous déchirent.

Vous vous bouchez les oreilles lorsque vous nous entendez

psalmodier les noms

de nos enfants martyrs

Walid lid lid lid lid

Walala lilli

Lilililililililililililililililililili !!!

Vingt ans après sa mort nous crions toujours aussi fort,

Nous sommes la voix du vent du deuil et de la révolte,

Nous sommes la voix du vent qui se souvient des cerfs-volants.

Écoutez nos prières avant de fourbir vos armes ou vos slogans.

Écoutez — voici les noms de celles qui marchent d’est en ouest dans la poussière

en brandissant une lame dans l’orbite de la Lune.

On nous appelle Amina, Bachra, Djamila, Fairouz, Halima, Intissar, Kenza, Latifa, Malika, Maya, Mouna, Nada, Samia, Soraya, Zina,

mais entre nous le mot camarade suffira,

nous abolirons les rompez et les garde-à-vous,

toutes les femmes du monde seront les bienvenues dans nos rangs.

Nous vous parlons du proche et du lointain, nous vous parlons d’un archipel métaphorique, nous vous parlons d’un matin d’automne, nous vous parlons du mitan d’un siècle aveugle.

Écoutez le récit de notre longue marche en zigzag :

au bout du petit matin nous avons quitté les fiefs des femmes libres

pour venir vous réclamer les restes

de tous les orphelins

qui n’ont pas de mère

pour les porter en terre.

Nos pères, nos frères et nos maris nous ont laissées partir.

S’ils refusaient nous nous faufilions dans les trous de la nuit,

entre les ruines de nos villages dévastés par la guerre,

à la courte échelle nous franchissions les murs des fermes.

Nous avons marché et la nuit et le jour,

harcelées par les cymbales du soleil

qui cognaient notre nuque

et cuisaient nos chevilles.

Déguisées qui en touriste, qui en bédouin,

dissimulant notre sexe

entre les plis des dunes et les bosses des dromadaires,

nous foulions les oueds à sec

et la terre craquelée gémissait sous nos pas.

Vos villageois nous prenaient pour les fantômes des réfugiés,

Vos colons s’enfuyaient sur notre passage

croyant venue la résurrection des morts.

Nous avons embarqué à bord de barques et de canots,

ramé des heures et des heures

sur les flots noirs

de la mer d’asphalte,

navigué d’île en île, de crique en crique et de cap en cap,

cherché des sources taries au creux des rochers,

cueilli dans les buissons d’épines

des figues de Barbarie.

Nous avons défié et la faim et la soif,

défié dans le désert le froid glacial de l’aube et du crépuscule,

Vers midi le vent qui se levait gonflait nos voiles,

Nous contournions vos murs de sable et vos barrages volants,

Vous nous guettiez partout mais nous avons trompé

la vigilance de vos drones et de vos miradors,

Certaines d’entre nous sont tombées d’épuisement,

d’autres ont perdu les eaux sur la route,

nous avons vu nos camarades

vomir dans les ravins,

succomber au dard des scorpions,

se tordre de douleur

sous la morsure des serpents,

D’autres encore se sont noyées en traversant à la nage

ces détroits barbelés qui nous séparent de notre histoire.

Hier nous avons bivouaqué toute la nuit au pied du grand barrage.

Ce matin vous ne voyez que nous mais derrière nous viendront des milliers de femmes et d’enfants.

Demain nous ouvrirons les vannes du vieux partage,

Demain nous faucherons vos dalles de béton

dressées comme des tombes,

Demain nous cueillerons les fruits que vous avez laissé

pourrir sur les branches de la paix,

Demain nous replanterons les oliviers

que vous avez déracinés,

Demain nous irriguerons la terre

de cris et de sanglots,

Demain nous moissonnerons la lune et les étoiles

tombées dans le puits de l’oubli,

Après quoi nous marcherons encore et encore

jusqu’à la grande mer,

jusqu’au jour où nous pourrons danser

pieds nus

sous vos palmiers.