VOUS savez que la guerre n’a pas un visage de femme,
Alors pourquoi vouloir à tout prix nous faire porter des armes ?
Donnez-nous des fusils si vous y tenez, nous les retournerons contre vous,
contre vous les matons,
vous les gardes-chiourme,
vous les gardes-frontières,
vous les concierges du grand barrage,
et nous vous ferons reculer jusqu’à la crête des vagues.
Vous êtes des centaines de milliers,
nous sommes une poignée d’insoumises
mais nous avons la rage et l’espoir comme alliés.
Autrefois vous nous auriez fusillées les yeux bandés,
Mais vous avez préféré nous mettre au secret
les yeux bien ouverts.
Alors à travers les barreaux de nos cages
nous voyons affluer les femmes et les enfants,
Nous entendons les cris de tous les emmurés de la Terre,
Nous sentons vaciller les tombes du siècle borgne.
Nous vous parlons d’une vieille ville de pierre et de papier. Nous vous parlons du charnier natal entouré de murs. Nous vous parlons d’une prison qui s’agrandit et des mers qui se réduisent.
Nous sommes la sueur de la rage,
Nous avons apprivoisé la peur et son odeur,
peur des coups de feu, peur des alertes à la bombe, peur du pas-de-chance un jour de carnage, peur des sirènes qui hululent la nuit comme des hyènes.
Nous n’avons pas besoin de votre armée pour nous dépuceler du bonheur,
Nous n’avons que dix-huit ans mais nous connaissons déjà
le goût de la poudre, le sifflement des roquettes et l’odeur du sang.
Nous préférons marcher en rond dans nos pyjamas flottants
que défiler en rang dans la camisole de vos uniformes.
Nous préférons passer cinq mois les mains libres derrière des barreaux
que deux ans le doigt sur la gâchette derrière un checkpoint.
Vous nous demandez d’inventer des maladies imaginaires pour échapper à notre devoir de citoyennes spartiates,
Oui, nous sommes déprimées, déséquilibrées, dégénérées
si vous avez besoin de ces tares pour justifier vos procès.
Dans notre enfance nous combattions des hydres imaginaires,
Aujourd’hui, nous combattons une hydre bien réelle
et cette hydre est tapie dans nos entrailles
et cette hydre a des yeux des mains des lois qui nous entravent
et cette hydre s’appelle
l’oppression.
Vous nous avez jetées en prison pour avoir inscrit nos cinquante prénoms en bas d’une pétition :
Dafna, Diana, Eyal, Kela, Lior, Maya, Naama, Shira, Talia, Tamara…
et encore quarante autres appelées qui vous écrivent
NON
NON aux tortures NON aux bavures NON aux chasses
à l’homme NON aux assassinats d’adolescents !
Cinquante jeunes femmes refusant cette sale guerre de Cent Ans
menée depuis le fond du ciel
et qui bute un seul terroriste pour des dizaines d’innocents.
Vous nous demandez si nous n’avons pas peur de souffrir
dans les couloirs glacés des prisons.
Mais vous savez que cette souffrance n’est rien comparée à ce qu’endure
de l’autre côté du grand barrage
ce peuple frère que vous prenez en otage.
En écrivant NON sur un bout de papier
nous avons bondi hors du rang des meurtriers.
Mais vous ne voulez rien savoir,
Vous nous condamnez à deux cinq ou dix mois de réclusion,
Après quoi s’ensuivront vingt ans d’ennuis et de galère,
Dans ce pays celle ou celui qui n’a pas fait la guerre
est traité comme un pestiféré,
Dans nos familles nous faisons figure de moutons noirs,
Pas un seul de nos frères cette semaine au parloir,
Et nous savons déjà que demain
plus personne ne voudra nous embaucher.
Mais demain la couleur du jour sera rouge,
rouge du soleil levant, rouge de la rose et rouge de la rébellion.
Demain nous nous révolterons contre vos matons,
Demain nous nous évaderons de vos prisons,
Demain nous gravirons les grands murs de pierre qui nous embastillent
et nous rejoindrons ces femmes-frontières qui secouent les dalles de béton.
Frères qui croyez combattre en notre nom,
frères qui caressez les nuques des canons,
frères qui sillonnez les fentes des tranchées,
vous qui vous enivrez du parfum de la guerre,
vous qui êtes fiers de porter sur vos épaules
de conscrits le poids du monde entier,
vous qui vous levez ce matin dans vos casernes, vous qui vous rasez en souriant dans la glace à vos belles gueules de vainqueurs,
vous qui serrez les dents, vous qui serrez les poings, vous qui serrez vos sangles et vos ceintures, vous qui serrez vos flingues et vos grenades, vous qui serrez vos femmes, vous qui serrez la terre de l’ancêtre et du voisin,
pour une fois, par pitié, ne tirez pas, relâchez votre étreinte, car après il sera trop tard : dans la poignée de cendres et de sang mêlés que le vent dispersera vers le rivage, il ne subsistera que l’odeur amère
d’une terre
dévastée.