Quand Cassie entrouvrit les yeux, la première chose qu’elle sentit fut la chaleur générée par le corps de Damian. Collés l’un contre l’autre, les deux amants bouillaient encore de leurs échanges passionnés. Elle tourna la tête et le regarda. Il dormait si paisiblement… Pourtant, elle se rappelait avoir été la première à sombrer. Dès que Damian avait passé un bras sous sa nuque et déposé un baiser sur son front, ses paupières s’étaient fermées et elle avait plongé dans un sommeil réparateur, sans cauchemar, sans peur. Elle s’était sentie si bien, tellement en sécurité ! Elle n’avait aucune idée de ce que lui avait fait, lorsqu’elle s’était laissée glisser dans un monde silencieux. Probablement avait-il fixé le plafond d’un air songeur, comme si les réponses à ses questions s’y trouvaient inscrites en lettres d’or.
Damian se tourna sur le côté, n’offrant plus que la vue de son dos nu à Cassie et, alors qu’elle le pensait toujours endormi, il ouvrit les yeux. Son regard s’abîma dans la contemplation du mur qui lui faisait face. Une paroi sans vie, recouverte d’une peinture écrue de piètre qualité. Son assoupissement avait été émaillé de cauchemars. Chaque nuit, depuis son hospitalisation, ses souvenirs s’étoffaient de détails, mais ce n’était pas tant les images de sa lutte contre les Solths qui retenaient son attention, c’était plutôt tous ces flashs sans queue ni tête qui le troublaient et le détournaient de la réalité.
Pendant qu’il avait fait l’amour avec Cassie, ces sombres visions s’étaient invitées dans son esprit. Celle où Seven et Cassie s’embrassaient fougueusement devant lui avait été la plus saisissante de vérité. Il avait mis d’autant plus d’ardeur à sa tâche, mais n’était pas parvenu à chasser cette image de ses pensées. Et ce moment plaisant, qu’il désirait tant, avec sa petite amie, était presque devenu une torture. Il avait ressenti une folle envie de la gifler mais s’était contenu. En pleine confusion mentale, il n’avait pas réussi à faire la différence entre une réalité passée et une hallucination. Comment démêler le vrai du faux ? Certainement pas en le demandant à Cassie.
Ses réflexions furent interrompues par le cliquetis de la molette du briquet qu’elle manipulait de l’autre côté du lit ; s’ensuivit cette odeur de tabac dont il n’était pas friand, puis il se replongea dans ses interrogations silencieuses. Son frère et Cassie ensemble, ce n’était pas possible ; et pourtant, il éprouvait un ressentiment, c’était plus fort que lui. Il avait toujours estimé que Seven ne ferait jamais rien contre lui, ce n’était pas dans son caractère. Son petit frère était trop honnête, trop à cheval sur les principes. Pourquoi, alors, le doute persistait-il en lui ? Peut-être parce que, intérieurement, il n’était pas dupe du jeu de Seven. Il avait cru déceler au fond des yeux de son cadet une attirance refoulée pour la jeune fille.
Plusieurs coups retentirent subitement contre la porte. Les deux amants sursautèrent. Ils se redressèrent en même temps dans le lit, leurs regards se croisèrent. Cassie comprit alors que Damian était éveillé depuis déjà un bon moment. Un air suspicieux flotta sur son visage. Pourquoi faire semblant de dormir ?
— Pourquoi est-ce que tu…
— Tu attends quelqu’un ? l’interrompit-il.
— Non… Bien sûr que non.
Elle attrapa son string sur le sol, puis enfila sa nuisette et, tandis qu’elle traversait la pièce, Damian s’habilla. Cassie se dirigea vers la porte et l’entrouvrit. Seven la poussa d’un coup sec et entra. Son regard croisa celui de Damian, torse nu. Comme s’il s’était attendu à le trouver ici, il se contenta de laisser échapper un soupir désabusé et secoua la tête d’un air désapprobateur.
— Je savais bien que tu serais là.
— Vraiment ? rétorqua Damian en passant son tee-shirt.
— Tu ne peux pas t’en empêcher, hein ? Tu as failli mourir et, toi, tu te barres de l’hôpital.
— Je n’ai pas de comptes à te rendre.
— Je ne t’en demande pas tant… Juste un peu de respect pour ceux qui s’inquiètent pour toi.
— Lâche-moi.
Seven ne répliqua pas, sinon, il le savait, le ton serait vite monté et il avait autre chose à faire que de se mettre son frère à dos. Après tout, c’était couru d’avance, Damian n’écoutait jamais personne ; pourquoi aurait-il fait une exception avec un médecin ? Seven tourna alors la tête vers Cassie.
— J’ai besoin de toi.
— Pour ?
— Choper ton copain.
Damian les observa tour à tour. Ils avaient l’air de s’entendre étonnamment bien pour des personnes qui se détestaient. La vision qui l’avait obsédé une bonne partie de la nuit rejaillit dans son esprit, et il éprouva un sentiment de malaise. Il plongea ses mains dans les poches de son jean et s’adossa contre le mur.
— Qu’est-ce que vous comptez faire ? demanda-t-il.
Seven le regarda d’un air gêné. Il aurait préféré s’entretenir avec Cassie sans que son frère traîne dans les parages. Damian ne pourrait pas s’empêcher d’essayer de diriger les opérations, comme il le faisait toujours.
— C’est vrai que tu as raté pas mal de choses, depuis que tu as été blessé.
— Justement… J’aimerais que tu m’expliques tout, du début à la fin, rétorqua Damian.
Il attrapa une chaise, la tourna et s’installa à cheval sur celle-ci. Les bras posés sur le dossier, il désigna du menton le siège face à lui. Seven haussa un sourcil ; Damian avait sa tête des mauvais jours, ce n’était pas le moment de le braquer. Docilement, il s’assit. Damian ouvrit la bouche quand, tout à coup, il réalisa que Cassie s’emparait d’une chaise pour se joindre à eux. Il remarqua aussi la façon dont son cadet reluquait la jeune fille et cela ne fit qu’accentuer sa contrariété. Un instant, il se posa la question de savoir s’il n’était pas en train de rêver, ou plutôt de cauchemarder.
— Va t’habiller, s’il te plaît, lui dit-il.
— Ça ne te gênait pas, tout à l’heure !
— Tout à l’heure, on était en privé… S’il te plaît.
Elle hésita. Pourquoi lui aurait-elle obéi ? Elle n’était pas sa propriété, et la façon dont il venait de formuler sa demande ressemblait plus à un ordre qu’à une requête. Elle se doutait que sa tenue vestimentaire n’était pas la véritable cause de son rejet. N’était-ce pas plutôt tout simplement parce qu’il désirait l’éloigner de leurs affaires de famille ? Contrairement à ses habitudes, elle ne riposta pas, se contenta de hausser les épaules et se dirigea vers la salle de bain. Les mâchoires crispées, Damian continua à observer son frère qui suivait Cassie du regard.
— Ça va, la vue te plaît ?
Seven tourna la tête vers Damian et fit mine de ne pas comprendre. En tant qu’homme, il appréciait ce que sa vue lui offrait. Il est vrai qu’il avait eu rarement l’occasion de croiser Cassie dans une telle tenue.
— Tu es sûr que tu te sens en forme ? demanda-t-il, histoire de noyer le poisson.
— Je vais bien. C’est quoi, cette histoire de choper le copain de Cassie ? Et de qui s’agit-il, d’ailleurs ?
— Je peux te poser une question, Damian ?
Damian fronça les sourcils. Si Seven commençait à répondre à ses questions par d’autres questions, ils n’étaient pas prêts d’en sortir. Il n’avait jamais brillé pour sa patience, mais depuis qu’il avait quitté l’hôpital, Damian avait l’impression que c’était pire qu’avant. Cette sensation d’être différent, de ressentir les choses plus froidement, s’accentuait en lui et cela l’inquiétait.
— Tu veux savoir si je suis capable de pisser droit à nouveau ? ironisa-t-il pour dissimuler le trouble qui l’étreignait, tant par la réaction de Seven que par la sienne.
— Très drôle… Non, j’aimerais que tu me dises quelque chose concernant Chelsey et Anna.
À ces mots, les traits de Damian s’obscurcirent. Son frère s’aventurait sur un terrain glissant. S'exprimer à propos de leurs sœurs était un sujet sur lequel Damian n’avait pas la moindre envie de discourir, et encore moins depuis qu’il était la proie de leurs doubles maléfiques. Un instant, il considéra Seven avec attention, détaillant chaque parcelle de son visage, puis plongea son regard dans celui de son cadet. Gêné par son insistance, Seven toussota.
— Tu pourrais arrêter de me fixer comme si j’étais un poisson rouge ?
— Pourquoi ? Tu as quelque chose à te reprocher ? rétorqua Damian sans cesser de le regarder.
Seven préféra détourner la tête, le temps que son aîné comprenne le message. Finalement, Damian reporta son attention sur le rebord de la table.
— Elles sont mortes, je ne vois pas pourquoi je devrais revenir là-dessus ; c’est quoi, ton problème ? Tu ne chercherais pas à me mettre en colère, par hasard ? reprit-il sur un ton étrangement calme.
— Pas du tout, mais je crois que tu n’as pas été très franc avec Jess et moi.
Damian soupira, agacé et légèrement à cran. Il était évident que Seven essayait de le faire parler des spectres, mais Damian se refusait à aborder ce sujet. Il voulait garder ça pour lui, trouver seul une solution à ce problème qui ne concernait, à son avis, que lui-même. Pourtant, il ne put s’empêcher de s’interroger. Comment Seven avait-il réussi à comprendre ce qui se passait dans la tête de son aîné ? L’unique personne qui aurait pu l’orienter sur une piste sérieuse était Cassie, puisqu’elle était avec lui lors de cette soirée où les voix des spectres l’avaient rendu fou.
Il jeta un bref coup d’œil sur l’ampoule nue vissée au plafond. Sa lumière crue lui fit mal aux yeux, des points noirs se mirent à danser devant lui et il battit des paupières afin de dissiper cet effet. Pourquoi avait-il le sentiment très désagréable que tout restait flou dans son esprit et qu’il continuait à voguer entre imaginaire et réalité ? Lui seul avait eu affaire aux spectres de ses sœurs et il ne s’était confié à personne. Comment Seven ou Cassie auraient-ils pu savoir exactement de quoi il relevait ? C’était un mystère pour Damian. Il frotta son menton mal rasé d’un air pensif, puis reconsidéra son frère.
— Écoute, mec, je sors d’une chambre aseptisée. J’ai mal au crâne et au ventre, alors sois sympa… Abrège.
— Très bien, répliqua sèchement Seven. Pendant qu’on se battait contre les Solths, tu as vu Chelsey et Anna, dans une sorte de vision ou de cauchemar éveillé, et tu n’en as pas parlé.
— C’est une question ou une affirmation ?
Seven réfléchit un instant. Ce n’était pas comme ça qu’il aurait le dernier mot avec son aîné. À quoi bon lui demander quelque chose que ce dernier n’admettrait jamais ? Damian avait toujours refusé de s’exprimer sur la mort de leurs sœurs. Il éludait systématiquement les questions que lui posait Seven et se contentait en général de quitter la pièce pour clore la discussion.
— OK, Damian… Je vais résumer les choses plus simplement…
— Fais donc ça, oui.
— Une personne a effectué un puissant rituel dans l’intention de tuer Cassie ou, en tout cas, de lui nuire. Enfin, ça, c’est la version évoquée par Jess. Toujours d’après elle, ce sort aurait été dévié sur toi, pour une raison que nous ignorons. Le démon invoqué se nomme Anarazel. Tu connais peut-être, toi qui sais tout.
Vas-y, fais ton malin, petit con, lui répondit silencieusement Damian.
— Eh bien, figure-toi qu’il fait apparaître les spectres, c’est dingue, non ? reprit Seven.
— Fascinant.
— C’est pourquoi, que tu le reconnaisses ou non, je sais que tu as vu les doubles maléfiques de Chelsey et Anna. Et si tu veux éviter de continuer à faire les frais de cet envoûtement, on doit trouver le ou les responsables.
Damian hocha la tête, tout en étudiant l’expression satisfaite de son frère. Seven était un esprit très brillant, c’était indéniable. Son cadet devait être parti d’un infime détail pour parvenir à assembler les pièces du puzzle dans le bon ordre. Oui, il était vraiment très fort ; d’ailleurs, ce visage de winner qu’il affichait parlait de lui-même. Seven devait être très fier de lui avoir cloué le bec. C’était quelque chose qui exaspérait Damian, cette suffisance dont faisait preuve son frère quand il réussissait à comprendre certaines choses plus vite que lui.
— Qui voudrait tuer Cassie ?
— Franchement, je pensais qu’il n’y avait que moi… Mais apparemment, elle a d’autres fans, renchérit Seven d’un ton sarcastique.
— Et tu as l’intention de faire quoi, exactement ?
— Le camarade de classe de Cassie a l’air d’en savoir un paquet sur ce démon, je vais essayer de lui tirer les vers du nez.
— Très bien. Je viens avec vous, dit Damian en se levant.
Seven l’imita aussitôt. Il se plaça face à Damian et lui barra le passage.
— Non, je suis désolé, tu ne viens pas.
Surpris par le refus catégorique de son cadet, Damian le jaugea du regard. Décidément, il voguait en pleine quatrième dimension. Comment son petit frère, jusque-là si docile et soumis, pouvait-il lui interdire de le suivre ? Il n’y comprenait plus rien. Tout ce qu’il savait, ou plutôt éprouvait, c’était ce ressentiment qui enflait de plus de plus en lui.
— Excuse-moi ? Tu me dis… À moi… Que je ne viens pas avec vous ? Et en quel honneur ?
— Pourquoi te mets-tu en colère, Damian ? J’essaye juste de nous sortir de ce merdier !
— Avec Cassie ?
— Et alors ?
— Il y a encore deux jours, tu ne pouvais pas la supporter, et maintenant tu as besoin d’elle à tes côtés ?
— Il y a deux jours, tu étais à l’article de la mort, les choses ont changé, Damian.
— J’en ai l’impression, en effet, répliqua-t-il sèchement.
— Mais enfin, qu’est-ce qui te prend ? Tu es jaloux ou quoi ? Depuis que tu as quitté l’hôpital, je te trouve…
— Tu me trouves quoi ? Allez, vas-y, crache le morceau.
Leur conversation houleuse s’interrompit au moment où la porte de la salle de bain claqua. Damian pivota vers Cassie. Il la vit poser un regard interrogateur sur Seven. Damian fit un gros effort pour contrôler la jalousie qui l’envahissait. Il avait le sentiment d’avoir raté quelque chose, de se trouver dans une réalité différente de la leur. Comment avait-il pu en arriver là ? Il se laissa retomber sur sa chaise, puis enfouit sa tête entre ses mains.
C’est un cauchemar, il faut que je me réveille, se martela-t-il, intérieurement.
Ses idées s’embrouillaient, se troublaient. Des centaines d’images se superposaient dans son esprit, il ne parvenait pas à aligner une pensée cohérente. Cassie s’avança vers lui et lui caressa la nuque. Lentement, il redressa la tête, les yeux perdus dans le vague.
— Ce n’est pas contre toi, mais les personnes concernées font partie du lycée.
— Et si tu interviens, tu risques de faire sauter ta couverture de professeur, ajouta Seven.
Damian toisa Seven. Également très en colère, ce dernier lui renvoya un regard qui ne fut pas tendre non plus. Lui aussi se demandait comment ils avaient pu en arriver là. Il trouvait Damian si différent depuis son séjour à l’hôpital !
— Tu veux m’éloigner alors que je suis le principal intéressé, Seven. Ce n’est pas comme ça qu’on fonctionne, toi et moi, tu le sais très bien.
— Non, Damian, ce qui te dérange, c’est surtout que tu ne puisses pas prendre les choses en main… Tu ne supportes pas l’idée de me laisser tenir les rênes… Et tu n’acceptes pas non plus le fait d’être une victime impuissante, pour une fois… Sauf que là, tu ne peux rien faire. Je suis désolé.
— Allez, dégage, chuchota Damian.
À nouveau, il se leva et affronta le regard frondeur de son jeune frère. Apparemment, Damian n’était pas le seul à avoir changé. Celui qui se tenait en face de lui était également devenu un étranger.
— Barre-toi, t’entends ! cria-t-il.
Sentant l’atmosphère à la limite de l’implosion, Cassie agrippa la main de Damian dans l’espoir d’apaiser sa colère, mais ce geste produisit l’effet inverse et il la repoussa.
— Toi aussi, barre-toi… Dégage !
Une moue agacée sur le visage, Seven ne se fit pas prier. Il ouvrit la porte en grand et quitta le studio. Cassie se dirigea à son tour vers la sortie sans cesser, cependant, de fixer Damian. Elle restait stupéfaite par la virulence de sa réaction. Ça n’avait ni queue ni tête ; pourquoi agissait-il ainsi alors qu’à son arrivée, il était heureux de se trouver avec elle ? Lorsqu’elle le vit amorcer un pas dans sa direction, les pulsations de son cœur s’accélérèrent. Elle se dit qu’il regrettait sûrement de l’avoir repoussé et qu’il allait la prendre dans ses bras avant de s’excuser. Il s’immobilisa sur le seuil de la porte, à moins d’un mètre d’elle.
— Bonne balade, murmura-t-il.
Sans qu’elle ait le temps de répliquer, le battant de bois se referma dans un claquement et Cassie resta figée sur le perron comme si elle avait pris racine dans le sol. Elle venait de se faire jeter hors de son propre appartement, sans raison. Sous le choc, elle ne parvenait même pas à trouver quoi que ce soit à dire.
— Amène-toi, il va se calmer, et on discutera de tout ça plus tard.
— Mais… Il a… Ce connard m’a virée de chez moi… réalisa-t-elle soudain.
— Il se sent mis sur la touche, ce n’est pas grave… Et qui sait ce qu’il voit dans sa tête en ce moment ?… N’oublie pas que notre priorité, c’est justement de lui éviter de subir à nouveau le sort. Les spectres ne le laisseront pas tranquille bien longtemps. Je vais appeler Jess pour qu’elle garde un œil sur lui.
Seven fourra une main dans sa poche. L’expression de son visage se modifia. Il affichait à présent une expression contrariée tandis qu’il se mordillait l’intérieur des joues.
— Merde, jura-t-il.
Cassie l’interrogea du regard.
— Quoi, qu’est-ce qu’il y a encore ?
— J’ai oublié la clé de la voiture dans ton appartement ! ragea-t-il.
Cassie marqua un arrêt et tourna la tête en direction de son studio. La vision de Seven en train de frapper à la porte afin de la récupérer lui arracha un sourire. Comme si Damian allait ouvrir et lui donner docilement ce qu’il voulait. Autant demander à un Solth de faire preuve de mansuétude. Elle-même n’avait aucun moyen d’entrer dans sa propre habitation si Damian s’enfermait à double tour, puisqu’elle n’avait pas eu la présence d’esprit de prendre son trousseau. Mais en possession de la clé de l’Aston Martin, elle se doutait que Damian ne traînerait pas bien longtemps dans le studio vide.
— Merde de merde… grommela Seven en regardant la voiture qui n’attendait que lui, sur le parking.
— Le lycée n’est pas loin, allons-y à pied.
— Comme si on avait le choix… Ce n’est pas ça qui me contrarie le plus, en fait…
— Quoi, alors ?
— L’idée que Damian puisse prendre le volant. Il n’est pas encore en état.
À nouveau, la jeune fille ne put s’empêcher de sourire. Ce n’était pas exactement les mots qu’elle aurait employés pour décrire l’état physique de Damian, en se remémorant leur dernière étreinte. Il était plutôt vif, même si elle l’avait senti un peu distant pendant qu’il lui faisait l’amour.
— Pourquoi maternes-tu ton frère comme ça ? C’est ton aîné, il n’a pas besoin qu’on lui dise ce qu’il a à faire !
— Mêle-toi de ce qui te regarde, répondit-il en haussant les épaules.
Il n’avait pas pensé que la discussion dégénérerait de cette façon, ni que Damian s’emporterait de la sorte, et surtout, il ne comprenait pas. Pour une raison qu’il ignorait, son frère était perturbé et sur la défensive. Était-il encore sous le choc de ses blessures ? Ou bien les spectres de Chelsey et d’Anna étaient-ils déjà de retour dans son esprit ? Le sort courait toujours, et que Cassie ait ramené Damian à la vie n’y changeait strictement rien. Seven était inquiet pour son frère. Pourtant, Cassie n’avait pas tort quand elle lui disait d’arrêter de materner Damian, il était bien conscient d’en faire parfois trop. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Pressé d’en finir avec l’interrogatoire de Brian, il accéléra le pas, talonné par Cassie.