Assis sur la banquette arrière de l’Aston Martin, Damian entrouvrit un œil, puis le second. Il tourna la tête vers la vitre recouverte de buée. La luminosité du soleil lui brûla les rétines une seconde. Il battit des paupières avant de se préoccuper de la crampe qui endolorissait son bras droit. Cela devait être dû à une mauvaise position prise pendant son sommeil. Sa voiture avait beau être confortable, elle ne l’était pas au point d’apprécier y passer une nuit entière en position assise.
Blottie contre lui, Cassie semblait profondément endormie. Son rimmel avait coulé le long de ses joues et laissé de longues stries sombres sur sa peau diaphane. Elle n’avait plus rien en commun avec cette adolescente qui se donnait des airs menaçants. Lorsque Damian l’avait portée jusqu’à la voiture, complètement épuisée d’avoir tant pleuré, il s’était promis de veiller à ce que rien de fâcheux ne vienne troubler le repos de sa compagne, mais, pétri de fatigue, il avait fini par rendre les armes. C’était le bruit de la circulation, ce matin-là, qui l’avait tiré du sommeil. Les courbatures, conséquence de ses derniers combats, n’y étaient sans doute pas étrangères non plus. Il essaya de se redresser, ce qui eut pour effet de réveiller Cassie, toujours cramponnée à lui. Elle aussi, gênée par la lumière du jour, dût battre des paupières à plusieurs reprises avant de réussir à voir le sourire doux que Damian lui adressait.
L’esprit encore noyé sous les souvenirs de son horrible nuit passée, elle s’étira. Elle n’avait cessé de revivre la terrible scène avec Anna, et si Damian s’était finalement endormi, aidé par tout l’alcool qu’il avait ingéré et une fatigue accumulée depuis plusieurs jours, elle n’était parvenue qu’à de courtes pauses entrecoupées de cauchemars. Elle sentit l’angoisse la reprendre. Aussitôt, comme pour empêcher cette pénible sensation de l’envahir à nouveau, elle glissa une main glacée sous le tee-shirt de Damian. La chaleur dégagée par sa peau lui procura un sentiment de soulagement immédiat. Il était comme un puit dans lequel elle tentait de puiser force et réconfort. C’était si bon.
— Tu crois vraiment que c’est le moment ? lui demanda-t-il.
Sans se soucier de l’expression d’étonnement qui apparaissait sur le visage de son amant, elle chercha sa bouche avec frénésie. Elle voulait sentir ses lèvres contre les siennes. Oublier le goût de celles de Seven. Damian caressa sa joue. Les baisers de sa compagne se firent plus pressants et brusques. Malgré tout, il ne dit rien et abandonna son torse à la douceur des doigts de Cassie. Elle ôta son top encore humide de l’averse de la veille et Damian laissa le désir monter en lui comme la sève dans un arbre. Il aimait cette sensation de volupté et la chaleur du corps qui se trouvait si près de lui. Les gestes de Cassie se firent plus brutaux. Alors qu’elle desserrait la ceinture de Damian, leurs regards se croisèrent, il lui adressa un nouveau sourire bienveillant qu’elle ne lui rendit pas.
— Eh, doucement, princesse, chuchota-t-il.
Elle le fixa comme s’il s’agissait d’une proie prise dans sa toile. L’expression qui s’affichait sur ses traits n’avait rien de plaisant. Cela rappelait trop à Damian l’attitude d’un rapace prêt à fondre sur sa victime. Il n’y avait pas la moindre trace d’émotion sur son visage. Un à un, elle fit sauter les boutons du jean de son compagnon.
— Laisse-toi faire, j’en ai envie, murmura-t-elle dans un soupir.
Elle s’installa à califourchon sur lui, arracha son tee-shirt et planta ses ongles dans sa chair. Damian ne trouva rien d’agréable dans ses étreintes. Il sentit son désir s’amoindrir et les battements de son cœur ralentir. Les doigts de Cassie se crispèrent sur la peau du jeune homme. Sans se soucier des cicatrices qui rayaient le torse de son amant, elle accentua ses caresses à la limite de la bestialité. Damian grimaça et lui saisit brusquement les poignets.
— Doucement, je t’ai dit.
Elle se dégagea de son emprise et enfourna sa langue dans la bouche de Damian tout en lui lacérant le cou. Elle effectua des mouvements de va-et-vient sur son entrejambe sans la moindre tendresse. Damian se sentit de plus en plus mal à l’aise. Elle était trop brutale. Elle ne se souciait plus de lui, comme si son plaisir ne passait que par la possession d’un corps vide. Il émit une plainte lorsqu’elle lui entailla un peu trop profondément la chair.
— Arrête, Cassie !
Mais elle n’écoutait pas. Comme possédée, elle se colla à lui au point de l’étouffer. Elle cherchait désespérément le contact de sa peau brûlante. Elle voulait se fondre en lui, aspirer sa force intérieure, mais il résistait, se crispait. En même temps qu’il essayait de la contraindre à calmer ses ardeurs, Damian détourna la tête pour esquiver ses baisers. Le message était pourtant assez clair ; elle aurait dû comprendre, mais au lieu de s’adoucir, elle bloqua son visage entre ses doigts et le dévisagea froidement.
— Tais-toi donc et profite, dit-elle.
Un éclair de colère passa dans les yeux de Damian. Cette fois-ci, c’était plus qu’il ne pouvait en supporter. Ses mains se refermèrent sur les hanches de sa compagne et il la repoussa sur la banquette.
— Maintenant, ça suffit ! tonna-t-il.
— Mais pourquoi ?
Tout d’abord choquée d’avoir été aussi sèchement éconduite, elle inclina la tête vers le plancher du véhicule, avant de reporter son regard sur Damian. La lueur de désespoir qui brillait au fond de ses pupilles était pareille à une supplique, mais il fit mine de ne pas le voir et la toisa en silence. Elle ne comprenait pas pourquoi Damian refusait de se laisser aller. Ce contact physique lui était indispensable pour apaiser sa peur. Comme un animal sauvage, elle ne voulait que le sexe pour le sexe. Juste un irrépressible besoin de se sentir exister.
— Qu’est-ce qui te prend, Cassie ? finit-il par lâcher.
— J’en ai besoin.
La réponse de la jeune fille le troubla plus qu’il ne le fit paraître. Il continua à la dévisager d’un air perplexe. Cassie en profita pour retenter sa chance. Elle agrippa les épaules de son amant et entreprit de remonter sur ses genoux. Une fois de plus, il la repoussa.
— Tu te comportes comme une chatte en chaleur… Tu es pathétique !
Il se rhabilla et s’extirpa du véhicule, claquant la portière si fort que le rétroviseur intérieur manqua de se décrocher. Cassie regarda une longue seconde Damian qui, à l’extérieur, lui tournait désormais le dos. Un gémissement s’échappa de ses lèvres tremblantes tandis qu’elle enfouissait sa tête entre ses mains. Les dernières paroles de son amant résonnaient cruellement dans son esprit. La jeune fille luttait pour réprimer le nouveau torrent de larmes qui menaçait de se déverser sur ses joues. Comment avait-elle pu en arriver là ? En matière de conception de l’amour, un fossé la séparait de Damian. Chacun voyait les choses sous un angle si différent qu’elle se demanda s’ils finiraient par s’entendre un jour. Elle l’aimait, mais éprouvait de plus en plus de mal à supporter qu’il la rejette. Était-ce parce qu’elle avait un comportement qui ne correspondait pas à ce qu’il attendait d’elle ? Sa façon de vivre et de penser à lui n’était pourtant pas meilleure que la sienne. Pourquoi fallait-il que Damian mélange tout ? Et surtout qu’il lui assène des paroles aussi dures dans un moment où, justement, elle avait besoin de soutien ?
Damian shoota dans un caillou avant de s’adosser contre la carrosserie de l’Aston Martin. Il fourra ses mains dans les poches de son jean et regarda les voitures défiler, non loin de l’allée dans laquelle il était stationné. Cassie était passée d’un état à un autre en si peu de temps qu’elle l’effrayait. Tout d’abord petite fille apeurée sous la pluie, elle s’était muée en une bête sauvage, uniquement guidée par ses pulsions. Ses mouvements brutaux et vides de toute émotion avaient refroidi Damian. Il décida finalement de la déposer à son studio. Peut-être que, là-bas, elle prendrait conscience de son comportement et en tirerait des leçons. Sans doute avait-elle aussi besoin de repos, tout comme lui. Il avait beau essayer de lui trouver toutes les excuses possibles, il ne réussissait pas à calmer la colère qui grondait en lui.
Tous ces évènements qui s’enchaînaient les uns derrière les autres ne lui laissaient pas de répit. Les moments qu’il passait en compagnie de Cassie étaient les seuls à lui procurer un certain apaisement ; mais ce qu’elle venait de faire accentuait sa confusion intérieure. Il se remémora cet instant où, la veille, il avait volontairement placé son arme sous son menton et il regretta de ne pas avoir été jusqu’au bout. S’il avait eu le cran… Juste une seconde de courage. L’unique fait de penser à l’amour qu’il portait à Cassie l’avait fait renoncer. Et tout ça pour quoi ? Une fille qui le prenait pour une simple marchandise ? Ne l’avait-elle jamais aimé pour ce qu’il était plutôt que pour son physique ? C’était exactement le genre de réflexions qu’il refusait de voir s’immiscer dans son esprit au risque de perdre plus rapidement son humanité. Il suivit du regard un camion-benne. Il lâcha un soupir, puis se concentra sur le nuage de condensation qui venait de passer le barrage de ses lèvres. La fraîcheur du matin le décida, finalement, à remonter dans la voiture.
Cassie sursauta lorsqu’il s’installa derrière le volant. Sans un mot, il redressa son rétroviseur intérieur, mais, au grand désarroi de la jeune fille, fit en sorte de ne pas la regarder dans le miroir. Il mit le contact et, les yeux rivés droit devant lui, laissa tourner un instant le moteur. Il enclencha le ventilateur au maximum en position air chaud, alluma l’autoradio sur un discours ennuyeux, puis desserra le frein à main. Son pied s’enfonça sur l’accélérateur et l’Aston Martin quitta son emplacement. Prostrée sur la banquette, Cassie l’épiait en respirant lentement. Elle essaya à plusieurs reprises de capter son attention dans le rétroviseur intérieur, mais rien n’y fit, c’était comme si elle était devenue transparente.