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Il aurait dû s’y attendre. Pourtant, quand il ouvrit la porte de sa chambre d’hôtel et trouva Harry assis dans le fauteuil sous la fenêtre, il lâcha un « Wouohhh ! » qui se prolongea dans un souffle, portant la main à son cœur comme pour l’empêcher de bondir de sa poitrine.

Harry lui jeta un regard noir, se contentant de lever l’index pour lui indiquer qu’il était au téléphone. Graham alla s’asseoir au bout du lit et, poignets joints, se frotta les yeux.

Difficile de déduire quoi que ce soit de la conversation de Harry et, lorsque celui-ci abaissa enfin son portable, tous deux gardèrent le silence. Graham inclina légèrement la tête pour jeter un coup d’œil à son agent avachi dans son fauteuil, par-delà l’océan de chaussettes sales, de fringues éparpillées, de boîtes de pizza vides et de plateaux de room-service oubliés. Harry avait les cheveux ébouriffés (ce qu’il en restait, du moins) et il portait des lunettes au lieu de ses lentilles habituelles. Un PC portable trônait sur la table basse à côté de lui. Pas besoin de vérifier sur l’écran pour voir ce qu’il avait cherché, même si Graham avait du mal à croire que la nouvelle ait pu se propager si vite.

Pourtant, Harry était bel et bien assis là devant lui, et, de toute évidence, parfaitement au courant de la situation. Et donc d’événements qui s’étaient produits… moins d’une heure auparavant. Or, si Harry était au courant, il y avait de fortes chances pour que le reste de la planète le soit aussi.

— Comment t’as fait pour entrer, déjà ?

Harry se pinça l’arête du nez.

— J’ai dit au réceptionniste que tu étais ivre mort, probablement en plein coma éthylique.

Graham fronça les sourcils.

— Pourquoi t’aurais inventé un truc pareil ?

— Parce que je ne voyais pas pourquoi tu serais allé t’amuser à tabasser des photographes, sinon.

Harry plaisantait, c’était clair. Toutefois, lorsque ce dernier tourna la tête pour croiser le regard de Graham, il y avait, dans ses prunelles, un manifeste agacement. Et pour cause. Ce vieux renard du show-biz chevronné savait ce qui les attendait : un véritable ouragan médiatique.

— Eh bien, non, tu vois, je ne suis pas bourré, lui répliqua Graham sans un sourire. (Il désigna le PC du menton.) C’est déjà en ligne ?

— Pas encore.

— Mais alors comment tu… ?

— Mitchell m’a appelé.

Graham le regarda sans comprendre.

— Le mec de la promo qui est toujours fourré avec les photographes, lui expliqua son agent. Ça ne va pas traîner.

Au même moment, le portable de Harry sonna dans sa main. Il regarda le numéro et posa son Smartphone sur la table. Du couloir leur parvint le bruit de la porte voisine qui claquait : la famille d’à côté sortait de sa chambre. Ils étaient arrivés quelques jours plus tôt et, quand Graham les avait croisés, peu après, ils en étaient tous restés cloués sur place. Le père avait été le premier à se reprendre, poussant tout son petit monde en avant, tandis que la plus jeune des filles se plaquait la main sur la bouche pour étouffer les mots qui lui échappaient quand même : « Oh la la ! Oh la la ! Oh la la ! » Cette subite apparition l’avait mise dans tous ses états : elle hallucinait. Même une fois qu’ils s’étaient tous entassés dans l’ascenseur et que les portes métalliques s’étaient refermées derrière eux, Graham avait encore entendu les piaillements extatiques des deux filles de l’autre bout du couloir. Il n’avait pas pu s’empêcher de sourire.

Maintenant, il essayait de ne pas imaginer ce qu’elles allaient penser, lorsqu’elles verraient sa photo en première page d’un des journaux locaux qui traînaient toujours dans le hall de l’hôtel. Si ce n’était pas pour aujourd’hui, ce serait sans doute pour demain. La photo serait sombre et de mauvaise qualité, surmontée d’un gros titre stupide, racoleur et mélo à souhait genre « Le gentil magicien était un vil sorcier : le vrai visage de Larkin enfin dévoilé ».

— Ça ne te suffisait pas de bousiller son appareil ? pestait cependant Harry.

Pour toute réponse, Graham grogna et se mit à contempler le plafond.

— … Il fallait aussi que tu lui casses la gueule ?

— Je sais. Mais il me prenait la tête. Ils me cherchaient tous autant qu’ils étaient. Ils ne voulaient pas nous lâcher.

Harry plissa les yeux.

— « Nous » ? répéta-t-il, en arquant un sourcil. Attends, laisse-moi deviner…

Graham le regarda bien en face.

— Pas la peine.

Harry se rembrunit. Il se passa nerveusement la main sur la nuque, aggravant son hirsutisme localisé. Graham pouvait presque le voir ravaler ces mots qui lui brûlaient la langue : « Je te l’avais bien dit. » C’était là, dans ses yeux, de toute façon. Et Graham savait que Harry avait raison. Il aurait dû garder ses distances avec Ellie. Pourtant, il ne regrettait rien. Il se fichait de la mauvaise presse que ça allait lui faire. Il n’arrivait même pas à se soucier de la réaction de Mick, quand il l’apprendrait. Il n’avait qu’une chose en tête : Ellie. Tout ce qu’il voulait, c’était qu’elle n’ait pas d’ennuis.

— Et alors, qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? s’enquit-il, en se redressant. Il n’y a pas moyen d’étouffer l’affaire ? Ou de l’arranger à notre sauce, d’une manière ou d’une autre ?

— Je m’y emploie. Si seulement il n’y avait que les photos !

Inutile de lui demander ce qu’il entendait par là.

— Si je ne lui avais pas mis mon poing dans la figure, tu veux dire.

Le portable de Harry recommença à sonner. Cette fois, il se le colla contre l’oreille en aboyant « Oui » et se tut pour écouter.

Graham se leva pour aller dans la salle de bains. Il tourna le robinet pour s’asperger d’eau froide, comme si le choc thermique pouvait suffire à effacer les événements de la soirée.

Il posa les mains sur les bords du lavabo, se penchant en avant. Qu’est-ce qui lui avait pris d’aller sur cette plage, aussi ? Il s’en voulait tellement, maintenant. Mais, quand il avait vu son dessin encadré dans la vitrine, exposé au milieu des poèmes, quelque chose l’avait poussé droit vers la crique. Il ne parvenait pas à regretter ce qui s’était passé là-bas. Pas même une seconde. Il le sentait encore, comme une empreinte sur sa poitrine : l’endroit où Ellie s’était blottie contre lui.

À la lumière des néons, il examina sa main, là où son poing était entré en contact avec la pommette de ce crétin. Dans la pièce voisine, il entendait la voix de Harry, de plus en plus forte à mesure que son agent s’emportait.

— Ça a déjà fait le tour, lui annonça ce dernier, peu après, en s’encadrant dans la porte de la salle de bains. Ils se sont tous rués dessus.

Graham leva les yeux du jet d’eau qui coulait sur sa main endolorie.

— Et elle ? (Il s’efforça de garder un ton neutre.) Est-ce qu’ils ont réussi à obtenir un cliché assez net ? Un nom ?

— « Une mystérieuse inconnue », lui répondit Harry. Pour le moment, en tout cas.

— Parfait. (Il recommençait à respirer.) Est-ce qu’on peut s’assurer que ça restera comme ça ?

— Je vais faire de mon mieux.

— Je sais, lui affirma Graham, en fermant le robinet pour attraper une serviette. Et je sais que je n’aurais pas dû. Tout est ma faute.

— C’est pas moi qui vais te dire le contraire…

Mais, tel que Harry était là, appuyé contre le chambranle de la porte, il y avait une étonnante douceur dans ses prunelles. Il aurait dû être furax. Graham l’avait vu péter les plombs pour moins que ça : un PV de stationnement, une attachée de presse pas très coopérative, un producteur trop gourmand et même, une fois, pour un acteur haut comme trois pommes qui adorait jouer des tours pendables.

Jusqu’à présent, Graham s’en était toujours sorti sans trop faire de scandale. Harry avait donc toutes les raisons d’être fou de rage : c’était bel et bien lui qui allait être obligé de négocier avec les avocats et tâcher de convaincre le photographe de ne pas porter plainte. Lui qui, durant les jours à venir, allait devoir échafauder un plan de bataille avec les attachés de presse et amadouer les journalistes. Lui qui allait devoir persuader Mick que la star de son film était toujours parfaitement concentrée sur son rôle. Lui qui allait devoir s’efforcer de garder les secrets d’Ellie et tenter, pour ce faire, d’endiguer la moindre bribe d’information qui pourrait filtrer. Comme s’il ne savait pas que ça vous filait entre les doigts, ces trucs-là. Autant vouloir retenir les chutes du Niagara !

Et il y avait de ça dans la crispation de ses mâchoires et dans le tic nerveux qui faisait palpiter sa paupière : une colère noire qui couvait, juste sous la surface. Mais il y avait aussi quelque chose d’inhabituel, chez lui : une certaine modération, un self-control dont Graham lui était reconnaissant.

— Dis-moi juste ce que tu veux que je fasse, lui lança-t-il.

Ça faisait un moment qu’il n’avait pas ressenti ça : qu’ils formaient une véritable équipe, que ce n’était pas seulement une histoire de business entre eux.

— Va mettre un peu de glace là-dessus, lui conseilla Harry, en indiquant du menton son poing déjà tout bleu. Et laisse-moi faire mon boulot.

Dans sa main, le téléphone recommença à sonner. Harry lui fit un clin d’œil, avant de le porter à son oreille, et retourna dans la chambre, déjà tout ouïe. Faute de mieux, Graham attrapa donc le sceau à glace posé sur une table près de l’armoire et sortit dans le couloir. Il s’arrêta cependant sur le seuil pour s’adosser contre la porte.

Il savait qu’il y avait des acteurs qui étaient abonnés à ce genre de comportement « borderline », et il ne leur serait jamais venu à l’esprit d’avoir des scrupules pour le souk qu’ils avaient mis ou vis-à-vis de ceux qui allaient devoir faire le ménage derrière eux. Et, encore moins, de s’angoisser pour le type qu’ils avaient amoché. Pourtant, même si les événements n’auraient pas pu se dérouler autrement, il n’avait jamais cassé la figure à quelqu’un avant et le bruit que ça avait fait (un épouvantable craquement, os contre os) résonnait dans sa tête, encore maintenant.

Il descendit le couloir à pas lourds, le seau à glace coincé sous le bras comme un ballon de foot. Planté devant la rangée de distributeurs, il surveilla l’avalanche fracassante et embuée des glaçons, puis plongea directement son poing dedans en grimaçant.

Quand il revint dans la chambre, Harry était plié en deux sur son PC. Son téléphone était posé à côté de lui en mains-libres et Graham entendit la voix familière de Rachel, son attachée de presse, qui débitait une liste de médias.

— Tous ? demanda Harry, d’une voix tendue.

— Dans moins d’une heure. L’appareil photo en miettes n’a rien arrangé non plus.

— Désolé, soupira Graham, en se laissant tomber sur le lit.

Il put presque la voir changer radicalement d’attitude, se mettre littéralement au diapason avec un stupéfiant sens de l’adaptation.

— Hé ! Bonsoir, mon chou, l’apostropha-t-elle. J’ignorais que tu étais là.

— Si. Je suis là, maugréa Graham.

— Que s’est-il passé ? lui demanda-t-elle d’une voix faussement enjouée. Toi qui es, d’habitude, un client sans histoires : le plus cooool de tous les clients.

Il ne devait pas avoir l’air le mieux placé pour répondre parce que Harry le prit de vitesse :

— On te rappelle, Rach, OK ? Tiens-nous au courant.

— OK. Essayez juste d’éviter les ennuis, si possible.

Quand elle coupa la communication, Harry se tourna vers lui.

— T’es dans un sale état. Pourquoi tu ne prendrais pas une petite douche ? lui proposa-t-il. La nuit va être longue.

Après avoir suivi ce judicieux conseil, Graham renfila le même bermuda et le même polo à rayures, toujours imprégnés par l’odeur saline de l’océan. Quand il sortit de la salle de bains, Harry était encore au téléphone. Il se rassit donc sur son lit, les paupières lourdes, pour écouter cette nouvelle moitié de conversation. Malgré tout ça (les intonations ascendantes et descendantes de la voix de Harry, la sonnerie intermittente du téléphone sur la table, l’incessant ronronnement de l’ordinateur), il ne mit pas longtemps à sombrer dans un sommeil profond.

Quand il se réveilla, il faisait encore noir dehors et, de l’autre côté de la pièce, Harry avait son ordinateur portable sur les genoux, le visage éclairé par le halo blafard de l’écran. Graham n’avait aucune envie de voir ce qu’il regardait, de découvrir ce qui était remonté à la surface pendant la nuit. Il se fichait de ce qu’on disait de lui, de toute façon. S’il se faisait du souci, c’était seulement pour Ellie.

— Du nouveau ? s’enquit-il, en se redressant et en se frottant les yeux.

Harry sursauta et tourna vers lui des yeux rougis au regard flou.

— Sur toi ? Des tonnes. Tu veux voir ?

Graham secoua la tête.

— Et sur elle ?

— Toujours rien, le rassura Harry avec un sourire las.

Une vague de soulagement le submergea.

— T’es génial.

— C’est pour ça que tu me paies un max.

— Absolument, acquiesça Graham, avant de se faufiler dans la salle de bains.

Il se planta devant le lavabo. Dans la glace, il aperçut ses yeux glauques, le bord des paupières rouge et le début de barbe qui ombrait sa mâchoire et qui lui donnait un air vaguement menaçant, comme s’il était vraiment le genre de mec qui passait son temps à envoyer les paparazzi au tapis. Il fut alors pris d’un asphyxiant besoin d’air.

— Ça t’embête pas si je vais marcher un peu ? demanda-t-il à son agent, en revenant dans la chambre.

Harry hocha la tête sans même lever le nez de son ordinateur.

— Va, va. Je contrôle la situation pour l’instant.

— Super, lui répondit Graham, en attrapant son sweat-shirt. Je ne serai pas long.

Il ferma la porte derrière lui avec un petit clic ! étouffé, se hâtant de remonter le couloir, de prendre l’ascenseur et de traverser le hall de l’hôtel, sans rien voir de ce qui l’entourait, pour émerger sur le trottoir, dans la fraîcheur du petit matin et dans un monde qui s’éveillait encore, sous un ciel peinturluré d’orange. Il inspira une grande bouffée d’air marin pour calmer les coups de boutoir dans sa poitrine.

L’hôtel se dressait tout au bout de la grand-place, perché sur une hauteur d’où il dominait les échoppes du bourg et le port. Quand Graham releva les yeux, il fut surpris de trouver la ville en pleine ébullition. Il savait que les festivités commençaient tôt, par un petit déjeuner collectif, pour ne s’achever que tard le soir, en apothéose, par un feu d’artifice. N’empêche, il s’était attendu à ne trouver que quelques pêcheurs et peut-être un ou deux joggeurs, à cette heure. Et voilà qu’il y avait des gens partout : certains, en train d’installer des tables près du kiosque et d’autres déchargeant des caisses de leurs voitures. Quelques gamins aux yeux encore ensommeillés virevoltaient sur la pelouse et un chien hurlait, attaché à l’un des lampadaires. Il lui fallut quand même un petit moment avant de s’apercevoir que c’était Bagel.

Il chercha Ellie du regard, soudain pris d’une inexplicable panique. S’il avait lu les nouvelles avant de quitter sa chambre, peut-être qu’il ne se serait pas senti si vulnérable. Mais, là, il avait l’impression que le monde entier devait savoir des trucs qu’il ignorait : tous ces détails de la soirée d’hier que les blogs et les journaux s’étaient fait un plaisir d’étaler sur leurs pages.

De l’autre côté de la place, une femme se débattait avec une nappe qui claquait au vent. Les couleurs du tissu (bleu, blanc et rouge vif) le ramenèrent brusquement sur terre.

On était le 4 Juillet : le jour de la fête nationale.

Un groupe de femmes tenant des plateaux de cookies et de cupcakes passèrent devant lui en coup de vent, trop pressées pour le remarquer, tel qu’il était là, toujours planté sur le trottoir, paralysé d’indécision. Il savait qu’il ferait mieux de retourner dans sa chambre pour faire le point avec Harry et voir exactement quelles parties de l’histoire avaient filtré et dans quel genre de galère il allait se retrouver. Il devrait examiner les photos, appeler ses parents pour que ça ne leur tombe pas dessus sans prévenir (il se liquéfiait rien que d’y penser) et se rencarder avec son attachée de presse pour savoir comment ils allaient la jouer. Il devrait expliquer à Mick ce qui s’était passé, aller présenter des excuses au photographe, prendre ses responsabilités, assumer ses actes.

Mais il n’avait qu’une seule envie : partir en courant.

Quand il aperçut Mme O’Neill, debout sur une chaise, en train d’accrocher une bannière au kiosque, le souvenir du plan qu’Ellie avait prévu de mettre à exécution aujourd’hui lui revint en pleine figure, façon boomerang. Sans se donner le temps de réfléchir, il se mit en marche. Il releva la capuche de son sweat pour cacher son trop célèbre visage, filant devant les gens du bourg qui préparaient les festivités, les mains au fond des poches. Au bout de la rue, il prit la route qui longeait les quais, passa devant les bateaux qui se balançaient mollement sur les eaux calmes du port. Tout le homard qu’il fallait pour une telle célébration avait déjà été pêché et les quais, d’habitude si animés à cette heure, étaient déserts. Nombreux seraient ceux qui, plus tard, prendraient la mer pour profiter au mieux du feu d’artifice. Mais, là, il était encore trop tôt et même le Go Fish se laissait bercer, savourant sa grasse matinée, dispensé, comme lui, de tournage pour la journée.

Le temps qu’il arrive chez Ellie, la fraîcheur matinale avait passé la main et l’atmosphère s’était réchauffée. Il avait cru la trouver encore endormie ou déjà en route, à moins qu’elle ne soit occupée à l’intérieur. Aussi, quand il tourna pour s’engager dans son allée, fut-il surpris de la voir s’encadrer dans la porte ouverte du garage. Elle tenait un petit sac à dos et avait la main sur la portière de la voiture, une berline piquée par le sel qui devait avoir quelques bonnes centaines de milliers de kilomètres au compteur.

— Salut ! lança-t-il.

Elle se retourna d’un bloc, les yeux écarquillés et toute rougissante comme une gamine prise en faute. Quand elle s’aperçut que c’était lui, elle se détendit, laissant échapper un petit rire nerveux.

— J’ai cru que c’était ma mère, déclara-t-elle, en ouvrant la portière pour jeter son sac à l’intérieur de la voiture.

Elle portait un jean et un débardeur mauve. Une paire de lunettes de soleil retenait ses cheveux. Des milliers de nouvelles taches de rousseur constellaient ses joues, petit souvenir de son après-midi à la plage la veille.

— Ça m’arrive souvent, plaisanta Graham, en s’avançant pour aller se caler contre le coffre. À force, on finit par être catalogué.

Sa vanne tomba un peu à plat et le sourire d’Ellie s’évanouit.

— Tu as vu ?

Pas besoin de lui demander ce qu’elle entendait par là.

— Non, lui avoua-t-il en secouant la tête. Je n’ai pas pu. Mais Harry m’a dit qu’ils n’avaient rien sur toi.

Elle baissa les yeux.

— Pas pour le moment, en tout cas.

Ils restèrent un moment silencieux, et puis elle s’éclaircit la gorge.

— Il faut que j’y aille.

— Je viens aussi.

Elle réagit au quart de tour, le regard dur.

— Certainement pas.

— On part à quelle heure ? s’entêta-t-il, comme s’il ne l’avait pas entendue.

Ce qui ne lui valut guère qu’un froncement de sourcils. Elle plissa les yeux.

— Je vois, soupira-t-elle. Je comprends que tu veuilles prendre le large aujourd’hui. Mais, le truc d’hier soir, ça change tout. Là, c’est du sérieux. Et tu es beaucoup trop compromettant.

— Je te l’ai déjà dit : je vais me déguiser.

Ellie n’en secoua pas moins la tête.

— Désolée.

Lorsqu’elle se détourna pour rentrer dans la maison, il n’attendit pas qu’elle l’y invite pour la suivre.

— Qu’est-ce que tu veux qu’il arrive ?

Elle pivota brusquement pour lui faire face, le toisant de ses beaux yeux verts.

— Il peut se passer des tonnes de trucs : et si, quand on s’arrête pour prendre de l’essence, quelqu’un te reconnaît ? Une gamine de douze ans, assise dans la voiture d’à côté, pourrait jeter un coup d’œil en passant et se mettre à envoyer des textos à toutes ses petites copines. On pourrait se faire filer par des photographes à moto. (Elle secoua la tête.) Tu pourrais te faire filer par des photographes à moto. Ça va déjà être assez compliqué sans avoir, en plus, Graham Larkin comme copilote.

Cette façon qu’elle avait eue de prononcer son nom ! C’était comme si elle parlait de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Il était vexé. Mais il refusait de céder. Ils se trouvaient dans la cuisine, à présent, et elle ouvrit le frigo pour se mettre à examiner les étagères avec l’air d’avoir complètement oublié ce qu’elle était venue chercher. Il alla se poster à côté d’elle, assez près pour sentir le courant d’air froid sur ses jambes.

— Il faut que je fasse ça toute seule, lui expliqua-t-elle doucement.

D’où il était, il pouvait voir les taches de rousseur qui éclaboussaient son épaule, si blanche. Il pouvait percevoir l’odeur de son shampooing : un truc sucré, de la lavande peut-être. Il eut du mal à avaler sa salive.

Au bout d’un moment, elle répéta, secouant la tête de plus belle :

— Tu es trop compromettant.

Mais, cette fois, elle avait un léger trémolo dans la voix. Graham s’approcha d’un pas.

— Eh bien, on n’a qu’à pas prendre la voiture, lui rétorqua-t-il.

Une idée commençait à germer dans son esprit.

Elle se tourna légèrement, juste assez pour se retrouver de biais, coincée entre le frigo et lui.

— Comment tu veux faire, sinon ? s’étonna-t-elle.

Il sourit.

— On va y aller en bateau.