Chapitre 13

Comment peuvent-ils vivre ainsi ? Leurs demeures les toisent de haut, tels des maîtres cruels, leurs rues sont si bondées qu’il est impossible d’y respirer et leur nourriture est fade. Il n’est guère étonnant qu’ils aient le visage si gris.

Auum, Arch des TaiGethen

 

Ils avaient atteint la cité avec moins de victimes à déplorer que ne l’avait redouté Auum. Trois Il-Aryns avaient été tués et cinq autres blessés sans trop de gravité. Un TaiGethen était mort et trois autres souffraient de sérieuses blessures. Auum ne s’attendait pas à les voir passer la nuit, malgré les soins des meilleurs mages de Julatsa.

Grafyrre était arrivé, accompagné de ses hommes au complet, environ deux heures plus tard. Ils avaient rampé jusqu’au mur d’enceinte, qu’ils avaient escaladé, non sans surprendre un ou deux défenseurs, avant de gagner le collège pour y profiter d’un repos bien mérité.

Le collège en lui-même était dominé par sa tour, qui abritait le Cœur de Julatsa, de plus en plus important, le centre de la magie de la cité. À l’intérieur de cet édifice, Auum se sentait oppressé par l’atmosphère, ce qu’il savait dû à la pression de la concentration de magie créée par le Cœur.

Après avoir pris un bain et s’être appliqué divers baumes afin de soulager quelques douleurs musculaires et de résorber l’entaille qui balafrait son visage, Auum avait été conduit dans une vaste salle circulaire située en hauteur, dans la tour. Du balcon qui en parcourait la circonférence, il bénéficiait d’une vue d’ensemble sur la cité. D’une superficie environ deux fois moindre que celle d’Ysundeneth, Julatsa lui donnait l’impression de manquer de place. Tout y était entassé à l’intérieur de la muraille, les bâtiments s’élevaient sur trois ou quatre niveaux et il y régnait un incessant tohu-bohu.

Le mur d’enceinte et les tours de garde étaient remplis d’épéistes, d’archers et de mages formant une puissante défense face aux Ouestiens qui les assiégeaient, pourtant l’ambiance était à l’angoisse. Il est vrai que les réserves de nourriture ne tarderaient sans doute pas à s’épuiser, sans oublier qu’il fallait toujours craindre ce que l’on entendait sans le voir.

L’arrivée des elfes avait provoqué une vive agitation et, lui avait-on dit, mis du baume au cœur à tous les habitants. L’apparente facilité avec laquelle ces renforts avaient franchi les rangs ennemis laissait croire à la population que la victoire était envisageable. De son côté, Auum n’appréciait guère le rôle qui était échu à son petit groupe de soldats. Ils n’étaient pas venus ici pour sauver la race humaine.

Il méditait encore à ce sujet lorsqu’il fut invité à s’asseoir à une longue table ovale, en compagnie d’elfes et d’humains pour la plupart vêtus de robes luxueuses illustrant probablement quelque statut particulier au sein du collège et de la cité. Étaient également présents des soldats chevronnés. Auum s’assit entre Stein et Drech d’un côté, et Takaar de l’autre. Ulysan s’était installé sur une chaise, derrière son Arch, tandis que Gilderon avait fait de même derrière Takaar.

Au total, vingt personnes assistaient à cette réunion. Le tour de table destiné à faire les présentations donna le tournis à Auum. Grand mage, maire, premier conseiller, général de la milice, général de l’armée du collège…, ainsi qu’une iad Il-Aryn nommée Kerela, qui en avait terminé avec sa formation et avec qui Auum estimait indispensable de s’entretenir en privé. La réunion se déroula en elfique et en humain, des interprètes penchés à l’oreille de ceux qui éprouvaient des difficultés à saisir l’une ou l’autre langue.

— Avant tout, veuillez m’excuser de vous empêcher de rejoindre vos lits ou de vous en avoir tirés, commença Sipharec, le grand mage, un homme entre deux âges impeccablement rasé, grand, svelte – presque maigre – et doté d’un regard bleu perçant où transparaissait une certaine tristesse. Ce dont nous devons discuter ne peut attendre l’aube, qui verra les Ouestiens redoubler leurs efforts en vue d’abattre notre mur d’enceinte, que nous avons défendu plus de dix jours durant sans recevoir d’aide de l’extérieur, jusqu’à aujourd’hui. Auum, Drech et Takaar, ainsi que tous les vôtres, soyez les bienvenus, et merci de nous offrir un nouvel espoir. Stein, j’ai douté du succès de votre entreprise et je m’en excuse.

Stein haussa les épaules.

— C’était sans aucun doute une tentative désespérée, mais j’ai eu de la chance.

— Auum, je sais que vous avez des questions à nous poser, reprit Sipharec, dans un excellent elfique. Peut-être pourriez-vous lancer le débat ?

L’Arch des TaiGethen inclina la tête avant de répondre.

— Mes questions sont plutôt simples. Beaucoup de points me sont encore obscurs et je n’ai pas l’intention d’engager mon peuple dans un combat que je ne comprends pas. Nous sommes arrivés à bon port et avons mis nos mages en sécurité, ce qui me satisfait pleinement, tout comme le fait que nous ayons un ennemi en commun. D’un autre côté, je m’inquiète et reste perplexe à propos de l’alliance que vous avez nouée avec les autres collèges, tout comme je m’interroge sur ce que deviendra ce pays, quand les seigneurs Wytch auront été vaincus.

— Je ne suis pas sûr de comprendre vos inquiétudes, dit Sipharec, les sourcils froncés. Après le départ des seigneurs Wytch, nous retrouverons la paix et pourrons recommencer à nous développer en tant que collèges. Julatsa cherchera à renforcer ses liens avec les elfes et agira de façon dissuasive afin d’empêcher toute nouvelle invasion de Ouestiens. À l’heure où je vous parle, tout cela n’est encore qu’un rêve, néanmoins je ne vois pas en quoi cela peut soulever des inquiétudes.

— Je vais m’expliquer, dit Auum. Les seigneurs Wytch vous ont envahis parce qu’ils veulent mettre la main sur AubeMort, le sort qui démontre pour toujours la stupidité des recherches en magie humaine. Que deviendra-t-il après la défaite des seigneurs Wytch ?

Sipharec lança un regard noir et chargé de venin en direction de Stein.

— Les recherches se poursuivront, répondit le grand mage, sur un ton égal. Nous ne devons pas laisser ce sort tomber entre de mauvaises mains.

Auum soupira, le poids de la magie plus lourd que jamais sur ses épaules.

— Le seul fait de vouloir posséder ce sort fait de ceux qui le désirent de « mauvaises mains », dit-il. Dites-moi : que comptez-vous en faire, si vous le retrouvez ?

— Le maintenir hors de portée de ceux qui voudraient le récupérer pour s’en servir afin d’imposer leur pouvoir, répondit Sipharec, avec un sourire indulgent.

— Ces gens que vous craignez œuvrent pour… qui donc, Xetesk et Dordover ? Ils se battront pour s’en emparer ! Vous ne le comprenez pas ? La fin d’une guerre ne sera que le prélude d’une autre, tant que vous vous battrez tous au nom de quelque chose qui ne devrait pas exister. En outre, posséder ce sort nous fait courir un risque immense à tous. La vie des innocents de Calaius et de Balaia ne dépendra que des caprices de quelques mages. Nul détenteur de ce sort ne pourra éternellement résister à son attrait. Aucun elfe ne peut tolérer cette situation.

Auum se tourna vers Kerela, qui fut incapable de soutenir son regard.

— Tu as quelque chose à dire, Kerela ?

— Vous ne saisissez pas à leur juste valeur les motivations de ce collège, répondit l’iad.

— Vraiment ? En tout cas, je sais qu’il est le seul à être assiégé. Il me semble par conséquent que les seigneurs Wytch le considèrent comme celui qui représente le plus grand risque. Pourquoi donc ?

— Non, non, non, intervint la voix de basse d’Harild, le général du collège, un homme âgé au corps encore ferme et aux yeux brillants. La présence des Ouestiens devant nos murs s’explique par deux raisons, ni l’une ni l’autre n’étant la volonté de leur part de trouver des indices pour localiser AubeMort. Premièrement, nous sommes le premier collège sur le chemin d’une force d’invasion ayant contourné les monts Noirépine par le nord. Par ailleurs, notre cité abrite des elfes, que les seigneurs Wytch haïssent profondément, allez savoir pourquoi.

Harild leva les sourcils et Auum esquissa presque un sourire.

— Cela n’explique pas votre souhait de posséder AubeMort. D’après Stein, personne ne sait où se trouve cette chose. Est-ce exact ?

— Oui, répondit Kerela. Le Presbytère de Septern a été totalement détruit lors de l’assaut donné par les Ouestiens lancés à la recherche d’AubeMort. Nous supposons que ses secrets sont cachés par là-bas, malheureusement ils se dérobent encore à notre regard.

— Ce sort est assurément à sa place en ce moment, c’est-à-dire hors de portée de tous. Serait-il naïf de ma part de vous suggérer, si vous souhaitez réellement aller de l’avant, de vous mettre d’accord pour ne pas chercher à le retrouver et à déclarer l’endroit où il est censé être zone interdite ? Montez la garde autour s’il le faut. Si personne ne détient ce sort, alors personne ne pourra s’en servir. Et en ce qui me concerne, je dormirai plus tranquillement.

— C’est un plan réjouissant, hélas Xetesk n’interrompra jamais ses recherches. Ses habitants sont terrifiés à l’idée qu’un autre collège, et en particulier celui de Dordover, le trouve le premier.

— Pardonnez-moi, mais cette question est-elle pertinente, vu notre situation du moment ? fit Sipharec.

— Quel collège possède la plus importante armée ? demanda Auum, sans tenir compte de l’intervention du grand mage.

Le général Harild haussa les épaules.

— Xetesk, et de loin. Pourquoi ?

— Et malgré cela, ils n’ont pas envoyé le moindre détachement, fût-il symbolique, pour vous aider ? Pas le moindre mage ?

— Ils ont leur propre invasion à gérer, rappela Sipharec, les mains écartées.

— Ce tunnel est donc large au point de nécessiter les forces armées de trois collèges pour repousser un ennemi qui cherche à le franchir ?

Auum fut consterné lorsqu’il s’attarda sur les expressions des personnalités installées autour de la table.

Seul Stein comprit où il voulait en venir.

— Un grand chariot et son attelage passent largement par le tunnel de Sous-la-pierre, dit-il.

Auum haussa les épaules.

— Et vous appelez ça des alliés ? J’ai plutôt l’impression qu’ils sont en train de vous sacrifier. Une fois que vous aurez été éliminés, cela fera toujours une main de moins à chercher à se saisir du sort, pas vrai ?

Il avait raison et il le savait, même si personne ne voulait le reconnaître. Sipharec échangea un regard avec Kerela, puis avec Harild.

— Qu’en concluez-vous ? demanda-t-il. Allez-vous nous aider ?

— Les seigneurs Wytch doivent être anéantis, sans quoi ils détruiront Calaius, où se trouvent les forces capables de les vaincre. Cependant, je ne tolérerai pas que nous courions un risque encore plus important à l’issue de leur défaite. Je ne me battrai pas aux côtés de Xetesk, dont les motivations réelles ne sont que trop évidentes. Il vous faudra donc décider à qui vous allier. Si j’apprends que nous servons à soutenir les ambitions de quiconque cherchant à s’approprier AubeMort, je retire l’intégralité de mes guerriers elfes et je rentre à Calaius. Nous nous défendrons là-bas.

Takaar, qui remuait d’impatience depuis l’entame des débats, s’éclaircit la gorge. Auum se raidit mais ne dit rien.

— Puis-je prendre la parole ? demanda Takaar.

— Vous êtes ici chez vous, lui répondit Kerela, avec un sourire chaleureux.

— Merci.

Takaar se leva et se mit à marcher autour de la table, ne s’arrêtant que pour poser une main amicale sur une épaule ou pour remplir une coupe de vin ou un gobelet d’eau. Il ne s’approcha pas trop d’Auum et se gratta à plusieurs reprises le bras gauche, du bout des doigts de la main droite. Auum se détendit et décida de profiter du spectacle et de le laisser dire ce qu’il estimait nécessaire. L’elfe fou finirait par faire un faux pas, du fait de son instabilité, à moins que son arrogance extrême ne joue contre lui.

— Nous ne sommes pas tous de l’avis d’Auum, dit-il. Auum est un guerrier, le meilleur que les TaiGethen aient jamais eu l’honneur de compter dans leurs rangs, et par conséquent le meilleur à avoir jamais posé le pied dans votre pays. Il maîtrise à la perfection la vivacité et la puissance des armes et connaît cent façons de vous tuer avec son pied, son poing ou sa lame. Mais il ne comprend pas la magie. Il n’a aucune idée de la puissance que l’union de diverses magies est susceptible de générer. Les seigneurs Wytch redoutent celle des magies elfique et humaine, raison pour laquelle ils se massent au pied de vos murs. Ne pas combattre aux côtés de Xetesk serait clairement absurde. Ce n’est qu’unis que nous pouvons espérer vaincre l’ennemi.

» Et si les TaiGethen d’Auum sont à chaque combat une bénédiction pour ceux qui sont dans leur camp, leur importance n’en est pas pour autant cruciale. Contrairement à celle de mes Il-Aryns. C’est à moi qu’ils obéissent, et je leur ordonnerai de vous aider.

Drech se leva et frappa du poing sur la table.

— C’est moi qui commande les Il-Aryns, pas vous ! s’exclama-t-il.

Takaar conserva un visage de marbre un moment, puis il marmonna quelques mots en elfique ancien, sans doute adressés à son tourmenteur. Un sourire se dessina sur ses traits mais la colère qui imprégnait son regard était aussi brute qu’incontrôlée. Auum se carra sur sa chaise, satisfait que le discours de Takaar soit sur le point d’être réduit à des élucubrations sans queue ni tête.

— Tu es un administrateur, dit ce dernier, qui fit tranquillement le tour de la table pour s’approcher de Drech.

Auum remarqua que Kerela mourait d’envie d’intervenir mais ne savait pas comment s’y prendre.

— Tu dresses l’emploi du temps des cours, ainsi que le menu du réfectoire. Tu n’es pas un meneur, ni un chef de guerre. Tu n’es pas un visionnaire. Vers qui leurs regards se tournent-ils quand ils recherchent l’inspiration ou qu’ils ont besoin d’une aide spirituelle ? Pas vers toi, Drech, jamais vers toi. Tu es renfermé sur toi-même, tandis que moi, je suis ouvert.

— Il est vraiment surprenant de constater combien vous êtes aveugle, perché dans votre cabane, au sommet de la colline, riposta Drech. Nous admirons tous vos idées et votre enseignement. C’est vous qui comprenez le mieux les énergies de l’Il-Aryn. Cela étant, s’il vous est facile d’impressionner les jeunes, de les embobiner dans vos récits, ils ne vous suivraient pas dans un torrent pour aller faire trempette. Ils ont embarqué à bord des navires parce que je le leur ai ordonné. Vous êtes ici parce qu’ils vous aiment, comme ils aimeraient un grand-père charmant mais infirme. Mais ils ne vous suivront jamais. Vous avez perdu cet honneur sur Hausolis, et vous ne le retrouverez jamais.

La pièce était chargée de tension et Auum sentait le poids écrasant de la magie sur son dos et ses épaules. Kerela se leva d’un bond et fit le tour de la table en courant pour rejoindre Takaar.

Drech, quant à lui, ne quittait pas Takaar du regard, malgré l’effroi qui se lisait sur son visage. L’elfe fou tendit la main vers Drech, qui fut projeté en arrière et alla se fracasser contre Ulysan, lequel l’empêcha de chuter.

— Takaar, non ! hurla Kerela.

— Nous verrons bien qui détient la véritable force, cracha Takaar, poursuivant son tour de la table.

Drech se redressa en toute hâte et tendit les bras devant lui, tentant désespérément de se protéger grâce à quelque écran magique.

— Pas de magie dans cette pièce ! rugit Sipharec.

— Takaar, arrêtez ! s’écria Kerela, lui agrippant le bras.

Auum vit le courage de l’iad s’envoler lorsque Takaar la dévisagea. Elle recula d’un pas en titubant. L’Arch des TaiGethen choisit cet instant pour bondir sur la table et se diriger droit sur Takaar.

— Aide-moi, Gilderon ! lança-t-il.

Sans quitter Drech des yeux, Takaar s’arrêta, donnant l’impression de rassembler quelque chose dans ses mains, puis, lentement, il serra les poings. Drech se prit la tête à deux mains et poussa un hurlement. Auum plongea en travers de la table et plaqua Takaar à hauteur du torse. Les deux elfes tombèrent au sol et glissèrent jusqu’au pied d’un mur.

Les cris de douleur de Drech cessèrent instantanément. Regardant droit dans les yeux l’elfe fou, Auum lui assena un coup de poing sur le menton, puis il lui cogna la tête contre le sol dallé, jusqu’à lui faire perdre conscience. Soudain, il sentit une main lui agripper l’épaule et le tirer en arrière.

— Lâchez-le ! siffla Gilderon.

Auum se releva et se retourna.

— Tu as été trop lent, Gilderon, dit-il. Tu n’as pas su accomplir ton devoir envers lui. Que cela ne se reproduise pas.

— Ne le touchez pas.

— La prochaine fois qu’il menace un elfe, je ferai bien plus que le toucher. Sors-le d’ici et tâche de le calmer. Assure-toi qu’il se tienne tranquille.

Gilderon considéra un moment Auum, le visage crispé pendant qu’il se demandait s’il devait obéir, puis il repoussa Auum afin de l’écarter de Takaar, qui, toujours à terre, grognait et marmonnait. Gilderon le prit sur son épaule et sortit de la pièce.

Auum ne tint pas compte des Julatsiens et de Kerela, dont les regards semblaient exiger des explications. Ulysan tenait un gobelet d’eau pour Drech, qui, s’étant redressé, se frottait les tempes.

— Comment te sens-tu ? lui demanda Auum, qui, s’agenouillant auprès du maître Il-Aryn, remarqua que ce dernier était agité de tremblements.

— Je m’en remettrai, répondit Drech, malgré la peur que trahissait son regard.

— Qu’a-t-il fait, cette fois ?

— Il est d’une telle rapidité…, dit Drech, plus ou moins pour lui-même. C’est vraiment incroyable. Il a rendu l’air aussi dur que de la pierre et me l’a projeté dessus. Il a ensuite essayé de retirer le sang de mon cerveau. C’est un vrai danger, Auum.

— Je t’avais prévenu. Quoi qu’il soit pour ses chers étudiants, son ego ne supporte pas d’être égratigné. Il réagit comme un enfant dès qu’on le défie. Il est incapable de contenir ses émotions.

— Je suis désolé. Je pensais que cette expédition l’aiderait à retrouver de la cohérence et lui donnerait un rôle qui le satisferait. Ses dons sont immenses mais il n’a manifestement presque rien partagé. Vous avez vu ce dont il est capable lorsqu’il s’en donne la peine.

— Je l’ai vu détruire ce navire et j’ai entendu parler du mur d’argile, dit Auum. J’ai aussi vu ce qui vient de se produire. Il n’obéit qu’à ses pulsions. Personne, parmi nous, ne peut se permettre de le tolérer. Si tu n’es pas capable de le contrôler, il faudra qu’il s’en aille. Je m’assurerai que les Senseriis le conduisent à Korina. (Drech tendit la main et Ulysan l’aida à se relever.) Je parlerai aux Il-Aryns. Dis-leur que Takaar a besoin de repos et d’aide. Je suis certain que je parviendrai à leur faire comprendre ce qui se passe. (Auum prit le visage de Drech entre ses mains et lui embrassa le front.) Je suis navré que les choses en soient arrivées là, tout comme je suis désolé que tu n’aies pas réussi à le contrôler. Personne ne le peut.

— En tout cas, bienvenue au club des personnes que Takaar a tenté de tuer, dit Stein.

— J’aurais préféré ne pas m’inscrire, répondit Drech, qui parvint presque à sourire.

Sipharec s’éclaircit la gorge.

— Il me semble que vous devez des explications au conseil, dit-il.

— Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre Takaar, dit Kerela. Ses pouvoirs peuvent modifier le cours de n’importe quelle bataille !

— Vous ne pouvez pas vous permettre de payer le prix de ces pouvoirs, répondit Auum. Vous avez vu qu’il est en permanence au bord du gouffre. Il en est ainsi à chaque seconde. Il est capable d’anéantir mille ennemis en un instant et, aussitôt après, de massacrer nos meilleurs guerriers. Il faut qu’il s’en aille.

— Et que devenons-nous, dans tout ça ? demanda Sipharec. Que deviennent Julatsa et la guerre contre les seigneurs Wytch ?

— Eh bien, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais, à mon sens, la seule façon de faire sortir Takaar d’ici et de le mener à Korina est de briser ce siège. Entrer dans la cité est une chose, en sortir en est une autre. Demain, nous irons au combat.