Le train n’arrivera jamais.

Il serpente à l’infini : voitures rouges étincelantes, wagons noirs, fourgons à bétail, l’un après l’autre. Une remorque rouge et une ancienne locomotive à vapeur. Les fourgons à bestiaux, lâchement arrimés comme la colonne vertébrale d’un long reptile. Il chemine vers un avenir inconnaissable, destiné à avancer perpétuellement, mais sans destination particulière.

Vu du ciel, il semble insignifiant : un ver creusant son passage sous la terre. Et les minuscules personnages qu’il transporte semblent également dérisoires, tous autant qu’ils sont : les postiers, les pâtissiers. Les mères et leurs enfants.

Les petits.

Toi.

J’ai vu ton visage pour la première fois en rêve. Si clair, si réel que notre rencontre en chair et en os, des dizaines d’années plus tard, m’a paru bien pâle en comparaison, je ne sais pas pourquoi. Tu te détachais, vacillant, contre ton image idéale. Un enfant, deux époques. Ici et là-bas. Avant et maintenant.

Tu adorais ce train. Je ne sais pas comment, mais je le sais. La boucle étroite de la voie ferrée, la façon dont le train passait et repassait sur le même terrain. Le sifflet qui bramait toujours la même alerte : Le passé te rattrape. Prépare-toi.

Tu n’aurais pas pu être mon enfant, mais je t’ai aimé comme si tu l’étais.

Pas mon enfant, non.

Celui d’une autre.