SIX
Pavel réussit moyennant un pot-de-vin.
Personne n’en parla, mais Marta ne voyait pas d’autre façon d’expliquer la rapidité avec laquelle la secrétaire était revenue sur sa décision irrévocable. Winton avait besoin de l’argent de Pavel pour financer son altruisme ; Pepík fut mis sur la liste et un autre enfant, éliminé. Les Bauer n’en disaient pas un mot, pas plus que de l’infinie quantité d’avenirs pouvant être assurés, ni de ce qui risquait d’être perdu depuis que Pepík était trouvé. On ne discutait pas non plus du destin de Marta. L’heure n’était pas aux questions existentielles ; tout cela se passait tellement in extremis qu’ils avaient dû sauter aussitôt dans les préparatifs.
Ils reçurent une liste décrivant en détail le rude climat britannique et envoyèrent Marta commander au tailleur des pantalons de voyage neufs et un anorak pour Pepík. La semelle élimée de sa botte gauche l’obligea plusieurs fois à s’arrêter en chemin pour ajuster son bas à l’intérieur. Lorsqu’elle revint à l’appartement, elle trouva Anneliese penchée sur son dictionnaire tchèque-anglais. Marta chercha du regard Pavel ou Pepík, mais ne les vit ni l’un ni l’autre. C’était la première fois depuis longtemps que les deux femmes se retrouvaient seules ; pourquoi Anneliese l’évitait-elle ? Anneliese leva la tête sans quitter le dictionnaire du regard. « Je vais prendre une tasse de café », lança-t-elle avec un détachement feint, mais Marta devina à son ton qu’elle appréhendait elle aussi le fait de se retrouver seules ensemble.
Marta se déchaussa et frotta l’ampoule arrondie qui s’était formée sous le talon mal ajusté. Elle posa sur le dessus du vaisselier le paquet enveloppé de papier brun avant de se rendre dans la cuisine où elle moulut très finement le café et découpa une pomme en tranches minces, comme elle savait qu’Anneliese les aimait. Ravie de pouvoir faire quelque chose — n’importe quoi — pour elle. Une masse de culpabilité bouillonnait maintenant en permanence dans le ventre de Marta. Elle avait empêché les Bauer de partir ; tu les intentions d’Ernst ; sans compter ce nouveau rapprochement avec Pavel. Elle aimait Anneliese, l’adorait même. Marta s’était toujours perçue comme une victime passive, dominée par la volonté d’un corps étranger, mais elle s’aperçut soudain qu’Anneliese se sentait menacée. Pavel était une contrée envahie par Marta. Et Anneliese était comme les citoyens tchèques. Sacrifiée.
Marta retourna au salon et déposa le café sur la table avec précaution.
« Vous croyez que c’est bien que Pepík s’en aille ? » demanda-t-elle, s’efforçant de faire la conversation. Mais Anneliese sembla ne pas savoir comment répondre. S’il fallait traiter Marta comme une domestique ou en égale.
« Ce n’est pas pour très longtemps, finit-elle par affirmer. Jusqu’à ce que l’orage soit passé.
— Vous croyez que les Alliés pourraient encore venir à notre secours ?
— Jusqu’à ce que toute cette histoire de judaïté soit passée. » Anneliese passa un doigt sur le bord de sa tasse en porcelaine.
« Il est si petit », soupira Marta, puis elle se dit que cela paraissait sans doute naïf et provincial de sa part. « Vous avez voyagé étant enfant, madame Bauer ?
— Voyagé, bien sûr, répliqua Anneliese d’un ton coupant. Avec mes parents, en famille. Mais à cinq ans ? Toute seule ? Bien sûr que non ! » Devinant qu’Anneliese était plutôt inquiète qu’en colère, Marta décida de ne pas lui rappeler que son fils avait six ans depuis peu et lui demanda plutôt : « Comment allez-vous le lui annoncer ? »
Anneliese s’appuya la tête sur une main, mais la releva aussitôt : elle revenait du salon de coiffure et n’avait pas envie de gâcher sa mise en plis. Elle regarda Marta avec un mélange étrange de défi et de vulnérabilité. « Je n’avais même pas pensé à ça », soupira-t-elle. Elle réfléchit un instant. « Vous pourriez peut-être le dire à Pepík. »
Marta aurait dû s’y attendre. On lui laissait toujours les tâches les plus difficiles, mais, en quelque sorte, cela lui faisait plaisir qu’elle lui confie cette responsabilité. Pourtant, il y avait là-dedans quelque chose qui clochait. Elle porta les doigts à sa fossette et répondit : « Bien sûr, madame Bauer. Volontiers. Mais je me demande s’il ne vaudrait pas mieux que ce soit… »
Les mots sa mère restèrent suspendus entre les deux femmes.
Anneliese hocha la tête : « Oui. Mais je vous laisse lui présenter l’idée. Pour qu’il l’apprivoise un peu. » Elle souffla sur son café.
« Bien sûr, madame Bauer.
— Mais ne le lui annoncez pas vraiment. Laissez-moi m’en charger. » Puis elle ajouta : « Je suis sa mère. »
Comme si c’était elle qui y avait pensé la première.
Tandis qu’elles parlaient, le soir était tombé ; Marta se représenta de quoi elles avaient l’air vues de la rue : deux silhouettes dans une petite flaque de lumière artificielle, deux sœurs sans doute, échangeant des confidences. Vingt-trois et peut-être vingt-six ans. Toute la vie devant elles. Elle aimait concevoir sa vie comme une histoire dont elle serait l’héroïne : un mauvais départ, quelques écueils, mais elle allait finir par tirer parti de son potentiel naturel. Elle le devait bien à Anneliese. Et à elle-même.
« Autre chose », reprit Mme Bauer. Sa tasse cliqueta lorsqu’elle la reposa sur la soucoupe. « Voudriez-vous rester à notre service en tant que cuisinière ? Quand Pepík sera parti ?
— Bien entendu ! » répondit hâtivement Marta avant d’hésiter. Elle lissa le devant de sa robe : « Enfin, si vous voulez de moi. »
Comment, se demanda-t-elle, faisait Anneliese pour se montrer si magnanime ? Alors qu’elle disposait d’une excuse en or pour se séparer de Marta sans avoir à lui fournir d’explications, elle choisissait de ne pas le faire. C’était peut-être, se dit Marta, parce que tout était chamboulé par l’occupation. Tout bougeait, se dissolvait, se transformait. Sur qui Anneliese pouvait-elle s’appuyer ?
Marta se leva pour débarrasser le café. « Avez-vous besoin d’autre chose, madame Bauer ?
— Peut-être un petit détail… » Anneliese posa sur le dictionnaire un ongle écarlate parfaitement formé. « Comment dit-on trahison en anglais ? Je ne trouve pas ce mot là-dedans. »
Marta rougit : « Là, je ne peux rien faire pour vous. »
Anneliese secoua tristement la tête. « C’est bien ce que je pensais », soupira-t-elle.
* * *
Marta suivit le long corridor. Le parquet sentait la cire. Aucun bruit ne venait de la chambre de Pepík et, quand elle ouvrit la porte, elle vit qu’il s’était endormi au milieu du tapis, entouré par la boucle de son chemin de fer. Il avait baissé ses bretelles ; près de ses épaules gisaient plusieurs soldats de plomb éparpillés. Marta posa le paquet du tailleur sur la commode et se pencha sur lui. Il dormait la tête rejetée en arrière et une mince couche de transpiration luisait sur son front. Le va-et-vient rapide de ses yeux derrière ses paupières lui donnait l’air de suivre un combat épique. Elle s’accroupit et tenta de le soulever sans le réveiller, mais il remua et ouvrit les yeux.
« Désolée, miláč
ku », chuchota-t-elle.
Pepík cligna des yeux et frotta son visage tout rose plissé par le sommeil. Elle tira sur la courtepointe qui recouvrait le lit du bas, le cala sur l’oreiller de plumes et se pencha pour déboucler ses souliers.
« Je veux pas, souffla Pepík.
— Je regrette, mon chéri, mais l’heure de ton dodo est déjà passée.
— Non, marmonna-t-il encore à moitié endormi. Je veux pas monter dans le train. »
Marta leva les yeux de ses souliers. « Tu ne veux plus jouer avec ?
— Je veux pas monter dedans. »
Ses yeux s’étaient refermés. Les cils sombres sur son visage pâle. Marta lui secoua doucement la jambe. « Ce train-là ? » lui demanda-t-elle en montrant du doigt les wagons Hornby immobilisés sur leur petit tronçon de rails. « Tant mieux, parce que tu es si grand que tu ne rentrerais jamais dedans, mon garçon ! »
Pepík lui retira son pied d’un coup. « Je veux pas monter dans un vrai train », précisa-t-il d’une voix chevrotante, hésitant entre faire un caprice et retomber dans l’inconscience. Comment avait-il fait pour savoir ? Les avait-il entendues parler ? Impossible…
Marta souleva un après l’autre ses bras ballants et lui enleva son petit chandail de laine aux renforts de cuir qu’elle avait cousus elle-même. Elle boutonna rapidement sa chemise de nuit pour que le courant d’air ne le réveille pas de nouveau. Il s’était presque complètement rendormi quand Anneliese entra dans sa chambre. « Bonne nuit, Pepík », lança-t-elle d’une voix joviale ; l’enfant ouvrit brusquement les yeux et cria :
« Je veux pas partir dans un train ! »
Anneliese lança à Marta un regard interrogateur, pas tant en colère que blessée à l’idée que Marta soit allée si clairement à l’encontre de ses vœux. Plus tard dans la soirée, Marta essaya de lui expliquer que Pepík semblait avoir deviné ce qui se tramait, qu’elle ne lui avait rien dit du tout. Mais elle vit bien qu’Anneliese ne la croyait pas. Une deuxième trahison, un petit supplément. Ce qui allait leur nuire à toutes les deux.
* * *
Ils reçurent une lettre de la famille qui allait accueillir Pepík.
Il s’avéra qu’ils étaient écossais et non anglais. Un message bref, mais généreux, où ils se présentaient et disaient attendre Pepík avec impatience. Ils avaient un fils sensiblement du même âge, prénommé Arthur et obligé de garder le lit. Ils espéraient que la présence de Pepík contribuerait au rétablissement d’Arthur, ce qui inquiéta un peu Marta, mais comme les Bauer n’en firent pas mention, elle non plus. Ils finissaient leur lettre en disant que ces cinquante livres représentaient un sacrifice, mais qu’ils croyaient profondément à l’importance de perpétuer les bonnes œuvres du Christ. Ici, Pavel, qui avait tout lu à haute voix, s’interrompit pour lancer à sa femme un regard accusateur. « J’aimerais que le rabbin vienne bénir Pepík, lança-t-il. Avant qu’il parte en voyage. » Il tira inconsciemment sur la peau de son menton comme pour évoquer une longue barbe.
« Bien sûr, mon chéri », répondit Anneliese. Marta attendit qu’elle termine sa remarque, mais comme rien d’autre ne venait, ce fut elle qui finit par demander prudemment : « Et le baptême ? »
Les Bauer se tournèrent vers elle, formant un esprit à deux visages. Leur expression commune lui enjoignait de laisser tomber.
Marta s’aperçut brusquement que la relation qui unissait les Bauer recelait de nombreux éléments qui lui échappaient, qu’elle ne comprenait pas, qu’elle ne comprendrait jamais.
Les préparatifs du voyage de Pepík allaient maintenant bon train. Anneliese avait sorti et mesuré sa valise, à la suite de quoi, comme il lui manquait deux centimètres pour atteindre la taille permise, elle avait envoyé Marta en acheter une plus grande au magasin Sborowitz. Elle était rouge, doublée de tissu beige à carreaux et mesurait plusieurs centimètres de trop, mais Anneliese déclara qu’elle était prête à prendre ce risque. Qu’ils auraient des choses plus importantes à faire sur le quai de la gare que de mesurer les valises des enfants.
Anneliese entreprit de rayer les articles qui figuraient sur la liste de trousseau, remplaça sa culotte courte par un pantalon de laine plus long et ses sandales à boucle usées par une paire de petits caoutchoucs. Le tailleur était en train de coudre un veston qu’il pourrait porter par-dessus des manches courtes en été et un tricot en hiver.
« De toute façon, il sera de retour avant la neige », assura Anneliese à Marta.
En plus des vêtements, la liste de trousseau mentionnait les « objets ayant une valeur sentimentale ». Dans la poche latérale de la valise, Anneliese glissa une photographie protégée par une petite enveloppe. C’était le portrait de famille pris après la naissance de la petite fille : Marta derrière Pepík, les mains sur ses épaules, Anneliese sur le côté avec ses lunettes de soleil baissées, Pavel tenant le petit paquet dans ses bras. Marta s’étonna qu’Anneliese ait choisi celle-ci, trouvant que cela risquait de dérouter Pepík, qui ne se souvenait pas de sa petite sœur. « C’est juste pour la postérité », répondit Anneliese, et Marta se demanda ce qu’elle voulait dire. Anneliese avait beau répéter sur tous les tons que cette séparation ne serait que brève et temporaire, elle faisait les bagages de son fils comme si elle s’attendait à ne plus jamais le revoir et veillait sur cette valise comme si c’était une question de vie ou de mort. On aurait dit un corps ouvert sur une table d’opération, à qui on retirait des organes pour les remplacer à volonté. Cela faisait deux fois en seulement deux mois qu’Anneliese préparait les bagages de Pepík, et Marta observa que cette fois-ci elle était décidée à bien faire les choses ; à croire qu’elle s’imaginait qu’il lui suffisait de les remplir correctement pour que Pepík voyage sans encombre.
Pepík observait le vidage et le remplissage de la valise comme on assiste à une opération chirurgicale compliquée : avec un mélange égal de curiosité et de dégoût. Marta, qui avait pris Anneliese au mot, attendait que celle-ci annonce à Pepík ce qui se préparait — après tout, les enfants ont besoin de savoir à quoi s’attendre. Mais, cinq jours avant la date du départ, Marta le surprit en train de sonder les profondeurs de la valise. « Est-ce que Maminka s’en va ? » Il s’interrompit. « Est-ce que tu t’en vas, toi ? » Sa prémonition de l’autre fois s’était évanouie de son esprit tel un cauchemar au réveil.
Marta le souleva dans ses bras : son poids émouvant. La boucle de sa bretelle s’enfonçait dans son flanc ; elle l’appuya sur sa hanche, l’emporta dans la chambre, l’assit sur ses genoux dans la chaise à bascule et lui annonça sans réfléchir : « J’ai une grosse surprise pour toi, miláč
ku, tu pars en voyage ! »
Le petit sourire qui avait éclos sur le visage de Pepík quand elle l’avait pris dans ses bras se fana.
Marta poursuivit : « Tu as vu tous ces soldats dans la rue ? Les méchants nazis ? Tu vas nous aider à les combattre. Depuis l’Écosse. Tu vas te replier pour mieux défendre les bons. Elle ne s’arrêta pas malgré le tremblement de la lèvre inférieure de Pepík. Tu vas habiter avec une famille formidable, les Milling. Dans une belle maison ! Au bord de la mer. Sa bouche s’était mise à déverser des mensonges comme si c’était quelqu’un d’autre qui parlait. Ils ont un chien ! s’entendit-elle déclarer ; où elle avait pris ce détail, elle n’en avait pas la moindre idée. Et un garçon du même âge que toi, qui s’appelle Arthur. Ça te fera quelqu’un avec qui jouer aux petits soldats. »
Le visage de Pepík s’illumina : « Un autre petit garçon ? » Cela faisait si longtemps qu’il était privé de tout compagnon de jeu.
« Oui, répondit-elle, mais. » Elle s’interrompit et, s’apprêtant à divulguer un renseignement ultrasecret, leva le doigt : « Arthur est malade. Il ne peut pas sortir de son lit. Alors on va te confier une mission très importante. Tu seras chargé de l’aider à guérir.
— C’est ma mission ?
— C’est ton devoir. Tu vas y arriver ? »
Il hocha la tête, solennel. « Promis. »
Plus tard, elle se dit qu’elle n’aurait pas dû aborder les choses de cette façon. Elle n’avait pas eu l’intention de placer ce fardeau inutile sur les petites épaules de Pepík. Mais lorsqu’elle finit par s’en rendre compte, il était trop tard.
* * *
Pepík était mort. Marta en était sûre.
Elle entra dans sa chambre au matin et ouvrit le store vénitien aux lamelles de bois ; des lattes de soleil s’abattirent sur le parquet. Elle prononça son nom une fois, puis une autre, plus fort. S’accroupit et lui souffla doucement sur le front, ce qui en temps normal le faisait sortir du sommeil en riant, mais il ne broncha pas. Pour finir, elle dût lui agripper le visage et lui crier pratiquement dans l’oreille ; il ouvrit les yeux et la regarda, perdu, les joues rouges.
Il ne la reconnaissait pas.
Elle appliqua le dos de sa main sur son front. Il était brûlant.
Marta se dit que leur conversation de la nuit précédente avait dû le bouleverser et qu’il suffirait de le distraire de son départ imminent pour qu’il se rétablisse, mais dès qu’il parvint à se tenir debout, non sans s’accrocher à son coude, il se pencha et vomit sur ses pantoufles.
« Oh là là, fit Marta. Tu es mal en point, mon lapin. »
Les genoux de Pepík cédèrent, il s’effondra sur le lit et se cogna la tempe contre l’échelle qui reliait les deux couchettes.
Il dormit le reste de la matinée. À croire qu’en lui parlant d’Arthur qui ne quittait pas le lit, elle avait donné à Pepík une idée ou deux. Marta passa la journée dans la chaise à bascule, au chevet de Pepík, le regardant émerger du sommeil et y replonger, bois flottant ballotté sur la berge. Elle se sentait affreusement responsable, comme s’il avait été en son pouvoir d’éviter qu’il ne tombe malade en lui parlant de l’Écosse avec plus de tact. Il détrempait ses chemises de nuit plus vite qu’elle ne pouvait les changer. Elle finit par décider de le laisser nu, un linge froid sur le front, un sur la nuque et un juste au-dessus de son petit pénis circoncis. Son sommeil était ponctué de grognements, de gémissements. Il s’éveilla autour de minuit, posa sur elle un regard vide et réclama une échelle de corde. Ne sachant que répondre, Marta ne dit rien, pensant qu’il allait retomber dans l’inconscience, mais il fronça les sourcils et répéta sa demande avec force, ajoutant à la fin le nom de Vera. « Mon échelle de corde ! Vera ! »
Il retomba sur son oreiller, mais ses gémissements redoublèrent. Faisait-il allusion à sa cousine Vera, qu’il n’avait pas vue depuis des lustres ? Et une échelle de corde ! Où avait-il trouvé ça ?
Le lendemain, la fièvre ne donnait aucun signe de répit. Pavel vint prendre de leurs nouvelles à tous les deux ; il traversa la chambre et vint se tenir tout près de Marta. Elle sentit sa lotion après-rasage. Quelque chose de vif et de sucré, comme des cèdres au soleil. « Est-ce qu’il va un peu mieux ?
— Peut-être un petit peu.
— Je voulais lui apprendre quelques mots d’anglais avant qu’il parte.
— Hello ? mot que Marta avait appris récemment.
— Good morning.
— Et Where is the toilet ?
— Pas mal.
— I’m hungry.
— Et peut-être aussi I love you ? »
Pavel s’écarta en détournant les yeux.
L’estomac barbouillé de Pepík s’était de nouveau manifesté et Pavel voulut redresser son fils sur ses oreillers pour l’empêcher de s’étouffer avec son vomi. Le petit corps était difficile à manipuler, comme si son propriétaire avait vidé les lieux et laissé à sa place un lourd mannequin de plomb. Pavel et Marta mirent plusieurs minutes à l’installer en travers des oreillers démesurés. Opération pendant laquelle leurs mains se touchèrent deux fois : deux décharges électriques dans le bras de Marta.
La fièvre brûlait entre eux.
« On ne devrait pas appeler le pédiatre ? demanda Marta.
— C’est déjà fait. »
Marta attendit.
« Notre appel est resté lettre morte. »
C’était la question juive. Pavel ne le dit pas, mais Marta savait.
Toujours pas d’amélioration la troisième nuit ; toute la famille se retrouva autour du lit où Pepík reposait sur le dos, un thermomètre planté à angle droit dans la bouche comme dans un rôti de porc. Sa fièvre s’élevait à 39,4° et Marta se serait crue auprès d’un feu de camp, un phénomène suffocant et dangereux, craquant et crépitant. Pepík semblait conscient de leur présence : ses hallucinations gagnèrent en force, comme s’il brûlait les planches devant eux, en comédien chargé de capter l’attention d’un vaste public. Il recracha le thermomètre, gonfla les joues en tirant dessus et se mit à réciter Der Struwwelpeter d’un ton aigu et pleurnichard. Il repoussa ses draps, fit mine de se dresser sur le lit et, quand Pavel tenta de le recoucher sous les couvertures, il mordit la main de son père.
* * *
Le temps avait paru élastique à Marta au plus fort de la maladie, mais comme il ne restait que deux jours avant le départ de Pepík, il reprit brusquement son rythme. Anneliese dut se fixer sur le contenu final de la valise : elle opta pour envoyer le pyjama d’hiver à pieds, mais pas le maillot de bain à bretelles ni le bonnet de caoutchouc. Elle glissa également la montre à diamants dans la poche latérale de la valise. Marta lut le mot : Pour mon grand garçon qui sait lire l’heure. Quel geste charmant. Tout de même, se dit-elle, c’était un bien gros cadeau pour un si petit enfant. À moins qu’Anneliese ait d’autres raisons de vouloir s’en débarrasser.
On chargea Marta de mettre un pique-nique dans le sac à dos de Pepík : deux pommes rainettes, un morceau de saucisse, un petit pain noir tchèque. Elle colla sur un flacon d’aspirines un billet recommandant que Pepík en prenne une toutes les trois heures. Billet qui ne s’adressait à personne en particulier, et il n’y aurait personne dans le train pour les lui faire prendre, mais cela semblait rassurer Anneliese qu’il soit là, et Marta dut bien admettre qu’elle éprouvait le même sentiment. Il y aurait peut-être une grande fille qui, voyant que Pepík était malade, le prendrait sous son aile. Cela revenait à lancer une bouteille à la mer, sans savoir si elle atteindrait son but.
« Marta. » Anneliese tira sur les cordons du sac à dos. « Je crois qu’il y a quelque chose que je devrais vous dire.
— Les aspirines sont périmées ? »
Anneliese se tut le temps de s’approcher. Marta vit qu’elle avait de nouvelles rides au coin des yeux. « C’est juste que… », commença Anneliese, mais elle s’interrompit car Pavel entrait, chargé de la valise. Il tripota le verrou pendant plusieurs minutes avant de la déposer sur la table du salon où elle passa la nuit tel un cadavre avant les obsèques.
* * *
C’est Marta qui passa la dernière nuit avec Pepík, dans la chambre qui avait été celle de son oncle Max. Elle dénicha dans l’arrière-cuisine un plateau blanc au motif de moulins à vent bleus et lui apporta dessus un bol de soupe au poulet, avec pour dessert un petit plat de cerises confites. « Tu as faim, mon chou ? » lui demanda-t-elle.
Elle n’attendit pas sa réponse. « Tu pars demain matin ! Quelle chance tu as, lança-t-elle. Et nous, ensuite, nous irons te rejoindre en Écosse. »
Pepík hocha gravement la tête. Son regard s’était éclairci et il avala rapidement sa soupe, tel un homme affamé.
« Tu vas venir me voir ? » lui demanda-t-il, la cuiller suspendue à mi-chemin de sa bouche.
« Ta Maminka et ton Tatinek viendront dès qu’ils le pourront.
— Et toi aussi ? »
Elle promit : « Et moi aussi. Moi aussi, miláč
ku. » Elle n’avait pas envie de penser au fait que Pepík s’en allait — qu’il s’en allait bel et bien —, mais elle ne voulait pas non plus rater l’occasion de lui dire au revoir. Le lendemain matin, il y aurait plein de parents, une foule d’enfants, l’équipage du train. Elle avait beau ne pas vouloir que ce soit vrai, elle savait que c’était sans doute le dernier moment qu’ils passaient ensemble, en tête à tête, avant longtemps. Des semaines, sûrement. Peut-être des mois.
« Montre-moi ta tête d’Atchoum », souffla-t-elle.
Pepík posa sa cuiller à soupe ; son bol était vide. Il éternua rapidement quatre fois dans son coude. Marta tapa des mains sous son menton et s’exclama : « Très bien ! Au revoir, Atchoum. »
Elle réfléchit une minute. « Ta tête de Timide. »
Pepík battit des paupières avec timidité, se couvrit le visage des deux mains et la regarda entre ses doigts. Elle lui embrassa le front et les deux oreilles : « Au revoir, Timide. Bon voyage ! »
Elle lui demanda ensuite sa tête de Simplet, sa tête de Joyeux et sa tête de Grincheux, qu’elle embrassa toutes longuement.
Le rituel terminé, Pepík retomba sur le gros oreiller de plumes, pâle et en sueur ; Marta regretta de l’avoir excité. Elle lui toucha le front : il avait toujours de la fièvre.
Elle resta assise à ses côtés quelque temps, lui caressant les cheveux, se demandant quoi lui dire. Comme elle ne pouvait déterminer avec certitude à quel point il comprenait ce qui se passait, elle ne voulait pas le bouleverser encore plus. Elle regarda son doux visage arrondi ; ses petites paupières se fermaient en frémissant. Elle se pencha à son niveau. « Je t’aime très fort », chuchota-t-elle à son oreille. Mais cela lui parut bien peu. Il y avait autre chose, pensa-t-elle, elle devait dire autre chose. « Ouvre les yeux, miláč
ku. »
Les larmes coulaient maintenant sur le visage de Marta. Elle cligna des paupières dans un effort pour les dissimuler à Pepík, mais elles jaillissaient vite, toutes chaudes. Il la regarda, interrogateur, leva une petite main et lui caressa le visage. « Mon trésor, souffla-t-elle, puisses-tu vivre vieux, très vieux et très sage. »
Elle n’eut pas sitôt parlé qu’elle regretta de ne pas pouvoir ravaler ses paroles : après tout, elle allait le revoir très bientôt et son intention n’était pas de l’inquiéter. C’est alors qu’il appuya son visage contre sa poitrine et se serra fort contre elle ; puis il leva les yeux et hocha la tête. Il avait compris ce qu’elle lui souhaitait : une vie longue et heureuse. Et il lui sembla — bien qu’il soit possible qu’elle l’eût imaginé —, il lui sembla qu’il lui souhaitait la même chose.
* * *
Dans la voiture, sur le chemin de la gare, Anneliese, les mains dans son giron, regardait dehors en déchirant la liste du trousseau en morceaux de plus en plus petits. Le trajet était court, mais Pepík posa la tête sur les genoux de Marta et s’endormit dès que le véhicule se mit en branle. Il s’éveilla lorsqu’ils arrivèrent et vomit sa bouillie d’avoine sur le plancher de l’auto. Anneliese fit celle qui n’avait rien vu. Ce fut Marta qui dut nettoyer le dégât avec son mouchoir.
Pavel serra le frein à main et tourna la clé pour éteindre le moteur. Il avait trouvé une place juste devant la gare Wilsonovo Nádraž
í, avec ses vitraux et ses visages de femmes sculptés, représentant Prague comme la mère des villes. Le quai de la gare était déjà très animé : une longue file d’adultes patientait devant une table tandis que des enfants faisaient la course près de l’entrée des toilettes publiques. Pavel s’appuya de côté contre la portière pour mieux voir à la fois sa femme, sur le siège du passager, et Marta assise derrière. Comme pour mieux les grouper, les guider. « Préparons un plan », lança-t-il aux deux femmes.
« Que veux-tu dire ? » voulut savoir Anneliese. Elle portait un chapeau cloche en velours à la Greta Garbo, une veste neuve à épaulettes et des gants de cuir.
« Comment va-t-on s’y prendre ? demanda Pavel.
— Ah, c’est dégoûtant. » Anneliese baissa sa vitre pour fuir l’odeur du vomi.
D’un signe de tête, Pavel désigna Pepík qui s’était immédiatement rendormi sur les genoux de Marta. « Est-ce qu’on le porte ?
— Bien sûr que non. S’ils voient qu’il est malade, ils ne voudront jamais le laisser monter.
— Je m’occupe de la valise.
— Il peut marcher », décréta Anneliese.
Pavel ricana. « Le prince héritier ne paraît pas très apte à aller à pied. » Contre son flanc, Marta sentait le souffle de Pepík et la douce chaleur de son crâne.
Une heure avant le départ, le train était déjà entré en gare. Il se dressait sur les rails dans la lumière matinale, entouré de vapeur tel un mirage. Pavel se leva de son siège ; Marta entendit claquer le capot de la malle arrière, puis le bruit de la valise qui tombait sur le trottoir. Pepík s’assit, le regard vitreux. « Prêt pour ta grande aventure ? » lui demanda Marta.
Il se prit le ventre à deux mains et poussa un hoquet retentissant.
Cependant, avec un peu de soutien de la part de ses parents, il réussit en effet à marcher tout seul. Marta se retrouva reléguée à l’arrière-garde. C’était toujours comme ça, se dit-elle : elle habillait, préparait, consolait l’enfant dans les coulisses, puis le remettait à sa mère juste avant leur entrée en scène. Les Bauer pénétrèrent dans l’agitation effervescente de la gare, leur fils fermement coincé entre eux deux. « Ta cravate est de travers », entendit-elle Anneliese signaler à Pavel. Et le regarda l’ajuster, obéissant.
La première idée qui vint à Marta en entrant dans la gare fut qu’ils s’étaient fait tout ce souci pour rien. Pepík aurait pu être couvert de pustules sanguinolentes, personne n’aurait rien remarqué. Le quai était bondé de familles investies dans leur version personnelle de ce que vivaient les Bauer ; personne ne faisait attention à personne. Dans chaque coin, des femmes pleuraient dans leur mouchoir, des pères s’accroupissaient devant leurs enfants, leur distribuaient des conseils de dernière minute, s’efforçaient de rattraper des années d’absence. L’un des porteurs avait entrepris d’entasser quelques-unes des valises et un groupe de garçons tournait autour à toute vitesse, comme autant de chiots courant après leur queue. Tous ces cris, ces pleurs, ces conseils se mêlaient pour former un vacarme uniforme dans lequel seuls quelques mots ressortaient ici ou là ; derrière elle, Marta entendit quelqu’un promettre : « On se reverra dans une Tchécoslovaquie libre ! »
Mais c’était dit à voix basse ; la Gestapo patrouillait le quai.
Marta éprouva l’impression soudaine d’avoir oublié quelque chose. Mais elle n’avait pas la moindre idée de ce que cela pouvait bien être.
Trois files désordonnées se formaient devant les portes du train. Un sifflet déchira la lumière matinale, interrompant le chahut. Unissant tout le monde. Le moment se resserra, se consolida en boule de verre suspendue au-dessus d’eux, d’où jaillissaient étincelles et arcs-en-ciel, puis se brisa sur le sol de la gare. Les pleurs reprirent de plus belle, les injonctions précipitées, les voix aiguës des femmes feignant la gaieté. Et par-dessus tout retentirent alors les voix des chefs de train tâchant de rassembler les enfants dans les voitures de passagers. Les files s’ébranlèrent lentement.
En tête de chacune, quelqu’un cochait une liste et suspendait un numéro autour de chaque cou gracile. Beaucoup d’enfants étaient trop petits pour savoir comment ils s’appelaient.
Marta eut l’intuition soudaine de ce que cela devait signifier de renoncer à un enfant qu’on avait mis au monde. Elle mourait d’envie de toucher Pepík. Mourait d’envie de toucher Pavel.
Marta entendit une voix couvrir la clameur : « C’est incroyable, tout ce qu’on tenait pour acquis. » Elle vit Anneliese sourire poliment à un soldat en uniforme.
Tout les entraînait, les circonstances, le temps, la grande ruée de la foule en marche vers le train. On se bousculait vers l’avant de la file ; Marta se haussa par-dessus les têtes regroupées de plusieurs dames grisonnantes et reconnut Václav Baeck, l’ami des Bauer. Après avoir fait monter ses deux filles, Magda et Clara, dans le train, il semblait s’être ravisé. Il parlait à toute allure au planton de service, un jeune homme qui secouait la tête : Non.
Václav tenta de contourner de force le chef de train, mais on l’en empêcha. Il changea de tactique, se déplaça de plusieurs mètres le long du quai et s’adressa à une fillette qui se penchait par la fenêtre du train. La bousculade reprit ; un homme de haute taille portant un haut-de-forme bloqua le champ de vision de Marta. Lorsqu’elle put de nouveau regarder, les deux filles de Václav étaient à la fenêtre et Clara tenait maladroitement dans ses bras sa petite sœur Magda. Elle tendit le bébé à son père par la fenêtre : Václav leva les bras et accepta sa fille comme s’il recevait le reste de sa vie en cadeau.
Il retourna près de sa femme et ils envoyèrent des baisers à Clara, leur fille aînée, qui allait maintenant devoir voyager seule.
Les Bauer, eux aussi, avaient remarqué la décision de Václav ; Pavel se pencha alors et prit Pepík par le bras. « Tu veux y aller ? lui demanda-t-il d’une voix calme. En Écosse ? »
Le rouge aux joues, Anneliese s’exclama : « Pavel ! Ce n’est pas juste. » Elle glissa une main sous sa veste et ajusta une de ses épaulettes.
« Je n’ai pas eu le temps de lui apprendre un seul mot d’anglais. Comment va-t-il s’en sortir ?
— Les Milling l’aideront. »
Mais Pavel scrutait le visage de son fils comme s’il tentait de lire l’avenir dans des feuilles de thé accumulées au fond d’une tasse. « Miláč
ku, souffla-t-il, dis-moi. Tu veux y aller ? Ou est-ce que tu préfères rester ici, avec Maminka et Tatinek ? »
Pepík semblait perplexe : le train rutilant l’attirait ; il était brûlant, dégoulinant de fièvre.
Anneliese, revenant à la charge, haussa le ton : « Arrête. » Elle agrippa son mari par l’épaule, mais il se dégagea d’une brusque secousse. « Je veux savoir, se défendit Pavel. Je veux faire le bon choix, faire ce qu’il veut.
— Pavel, ce n’est qu’un enfant. Ce qu’il veut, il n’en sait rien. »
Pepík lançait autour de lui des regards paniqués. On poussait derrière les Bauer ; plusieurs personnes les doublèrent. Ils gênaient la circulation : la file se mit à les contourner dans un entrechoquement de valises ; des enfants excités bondissaient autour d’eux. Mais Pepík ne partirait pas : Pavel avait changé d’avis.
Comme s’il avait longtemps retenu son souffle, le train émit un long chuintement.
Marta, qui sentait lentement monter en elle un mur de mal-être, n’avait pas dit un mot de toute la conversation. Elle passa brusquement à l’action. « Pavel », lança-t-elle. C’était la première fois qu’elle l’appelait à voix haute par son prénom, mais personne ne parut s’en apercevoir. « Mme Bauer a raison. On a dit à Pepík qu’il partait. Il faut le faire monter dans le train. »
Elle repensait en fait à la mauvaise action qu’elle avait commise en empêchant Pavel et Anneliese de quitter le pays. Mais elle avait encore une chance de se rattraper avec leur enfant.
Anneliese se croisa les bras sur la poitrine : « Parfaitement. »
Pavel ne regarda pas sa femme, mais Marta. Il doutait encore, mais son assurance fit pencher la balance.
« Si vous êtes sûre », soupira-t-il. Il se pencha sur son fils dont le menton pendait sur la poitrine. « Tu vas y aller, miláč
ku ? »
Marta voyait bien que Pepík n’avait pas suivi la discussion ; mais il hocha faiblement la tête et cela suffisait.
Les Bauer se réinsérèrent dans la file, qui les emporta rapidement en avant. Tout le monde pleurait ; les organisateurs avaient chargé une femme d’extirper physiquement chaque enfant des bras de ses parents. C’était du même ordre que de leur demander de se couper un membre : on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’ils le fassent eux-mêmes. Pepík leur fut enlevé avant qu’ils aient eu le temps de réaliser ce qui se passait. Son petit dos avalé par le train. S’efforçant de suivre du dehors son progrès d’une voiture à l’autre, Marta et les Bauer jouaient des coudes sur le quai parmi la foule dense des corps. Marta sentit l’odeur rance d’un vieil homme qui la suivait ; il bougea et elle reçut un coup de coude dans les côtes. Elle se détourna, cherchant Pepík des yeux, mais il y avait tant de parents qui appuyaient leur visage contre la vitre qu’elle n’arrivait pas à s’en approcher. « Où est-il ? » lança Anneliese, désespérée. « Vous le reverrez bientôt, lui dit Marta pour la consoler. Il sera de retour en un rien de temps. »
Le train poussa une plainte grave et s’ébranla lentement sur ses rails, entraînant la foule à sa suite ; l’air s’emplit soudainement de cent mouchoirs blancs.
Ce fut Marta qui finit par repérer Pepík : il avait réussi à se faufiler vers la tête du train et les appelait, penché par la fenêtre. Ses petites joues rougies par l’effort, ou par la fièvre. Elle se souvint brusquement de ce qu’ils avaient oublié : la bénédiction du rabbin, pour que le voyage se passe bien.
On aurait dit que Pepík venait de s’apercevoir de la même chose. Quelqu’un dut le bousculer ou le pousser dans le dos, car son expression changea comme s’il voyait dans l’avenir ou qu’il venait de se souvenir de quelque chose qu’il devait absolument leur dire.
Ce fut la dernière chose, le détail que Marta allait se rappeler : sa petite bouche grande ouverte, ce O de stupéfaction.