Il était arrivé deux mois plus tôt. Pour ne pas se faire repérer, il ne logeait pas dans un hôtel de Bois-Joli. D’ailleurs, cette ville lui donnait plutôt envie de vomir. La trentaine tout juste passée, Rudy Poller ressemblait à n’importe quel jeune cadre dynamique. Les cheveux toujours bien coiffés, le rasage impeccable, il arborait avec fierté des costumes signés Armani et des chaussures faites sur mesure. L’affaire tournait bien. Il faut dire que l’argent de papa-maman l’avait bien aidé au début, il n’était pas vraiment ce qu’on pouvait appeler un “self-made-man”, mais il travaillait dur. Au début, cette affaire avait tout pour lui plaire.
Tout avait commencé par un appel, un soir, au cabinet. Bien avant l’assassinat d’Aurore.
— Monsieur Poller ?
— Lui-même. À qui ai-je l’honneur ?
— Mon nom ne vous dira rien. Je ne compte pas vous le communiquer. Il ne vous sera d’aucune aide. Appelez-moi Sam. Sam, ce sera pratique.
— Le client a toujours raison. Sam. Que désirez-vous ?
— Que vous suiviez un homme. À partir de demain. Pas ici. Mais à Bois-Joli. C’est en région parisienne. Près de Mantes. Une banlieue. Des cages à poules, des flingues en pagaille. Des bougnoules. Vous voyez le tableau ?
— Je le vois très bien, Sam. Qui est cet homme ?
Rudy avait pris des notes. Bois-Joli, banlieue parisienne, à la frontière de l’Eure. Campagne, mais banlieue difficile.
— C’est là qu’est le problème.
— Le problème ? Y a jamais de problèmes chez Poller, avait-il dit d’un ton commercial peu convaincant.
— Si, il y en a un. Le mec est un flic. Un spécialiste de la filature. Un flic sur ses gardes. Votre boulot consistera uniquement à le suivre et à me raconter ce qu’il fait de ses journées. Où il traîne. Qui il voit. Ce qu’il fait. S’il commet des actes répréhensibles ou non, aux yeux de la loi, j’entends. Je vous donnerai un numéro de téléphone pour me contacter tous les soirs. Je dis bien tous les soirs. Ne vous inquiétez pas, je paie bien.
Sam avait immédiatement versé une somme à cinq chiffres sur le compte de son agence. Une somme incroyable pour une si banale affaire. Poller s’était méfié : on ne donne pas autant de fric pour une simple filature. Il avait pris toute son artillerie : un petit calibre indétectable dans les aéroports, couteau de chasse, lunette à infrarouge. Tout l’attirail de base du bon petit espion. Sauf que Rudy Poller ne faisait pas vraiment dans l’espionnage. C’était un simple détective privé.
Il avait changé huit fois d’hôtel en deux mois. Toujours des hôtels distants de Bois-Joli. Il fallait changer, pour ne pas se faire remarquer, mais il importait surtout de rester dans le secteur.
Depuis qu’il avait commencé à suivre Longbey, il donnait quotidiennement un compte-rendu sur le portable de Sam. Le plus souvent, il tombait sur sa messagerie. Rares étaient les moments où il lui parlait en personne. Il ne savait pas qui était Sam. Il ne savait pas quand la filature s’arrêterait. Mais, malgré la somme versée sur son compte, il commençait sérieusement à regretter d’avoir accepté ce travail.