Rouge sombre.
Un noir à peine voilé par quelques flammèches dans le lointain.
La voiture banalisée roule à vive allure, longeant les barricades que les CRS ont positionné çà et là, pour prévenir les moindres débordements des jeunes de la Riviera.
Jaune, de temps en temps.
Des cocktails Molotov lancés sur fond de cité taguée. Une lumière dans le gris du béton.
Bellec est à la place du mort, pensif. Il revoit les cinq petites marches qui descendent dans le bunker. L’odeur épouvantable qui prend de plus en plus d’ampleur au fur et à mesure de sa progression. L’arme à la main, il prend la peine de lire les graffitis satanistes sur les murs poreux. L’humidité comprime ses poumons tandis que sa vision s’amenuise malgré les lampes torches tenues à bout de bras par ses collègues.
Et, au fond, la pièce.
Les deux cadavres. Mutilés, torturés. Immédiatement identifiés. Patrick Boischel et Raymond Fritz.
Les deux survivants. Torturés. Des traces de rasoir sur les seins et les yeux. De l’urine qui colle leurs pantalons à leurs jambes. Des excréments secs qui granulent leur anus d’une myriade de boutons urticants.
Des tas de viande posés sur le sol. Putréfiés.
Des menottes qui maintiennent des bras tremblants au-dessus de leur tête. Des yeux effarés.
L’odeur, qui envahit les narines sous une lumière blafarde.
Bellec repense à tout ça. Le coup de téléphone anonyme au commissariat : “Dans le Bois, à la sortie de la ville. Un flic vient de tuer un mec. Longbey. À côté d’un bunker. Un bunker rempli de cadavres.” La voix, essoufflée.
Et les sirènes qui hurlent. Comment est-ce possible ? Les gars ont relevé des empreintes, dans le bunker. Il espère, tout au fond de lui, que ce ne sont pas celles de Longbey. Pourtant, il n’y a presque pas de doute. Bernard n’a rien dit. Il ne s’est pas défendu.
Bernard est à l’arrière, et il sait que c’est lui qui a tué les deux hommes du bunker. Il écoute distraitement le grésillement de la radio qui conte les derniers événements de la Riviera. L’affrontement est de plus en plus musclé. Pour la première fois, il ressent une sensation de vide. Jamais, auparavant, même après le départ de Virginie, il n’avait eu ce sentiment d’abandon. Cette impression d’être réellement seul et inutile. Abandonné.
Il regarde par la fenêtre tandis que ses poignets semblent de plus en plus douloureux. Une mèche blonde jaillit de nulle part, atterrissant sur le sol et gerbant des flammes gigantesques. Juste à côté, une patrouille de CRS monte la garde. Il faut trouver le connard qui a buté Aurore. Celui qui, sans doute, a envoyé ce Poller à ses trousses. Celui qui, ce soir, l’a fait arrêter en appelant la police. Celui qui a tué Poller. Celui qui allait dans les salles échangistes des Anges avec Aurore. Sam.
D’un geste brusque de la main, Longbey ouvre la portière et saute en plein virage.